par Yago
Dans le quartier de la Perralière, là où les HLM attaquent le ciel, on trouve une poésie des arbres et buissons.
Par un beau jour ensoleillé, j’ai observé à Villeurbanne un quartier d'immeubles blancs appelé la Perralière. Il se situe entre l’actuel centre-ville les Gratte-Ciel et l’ancienne centre historique Grandclément. C’est un lieu est géométrique et un peu austère, or une poésie se dégage quand les végétations rencontrent l’architecture.
Le quartier résidentiel de la Perralière nait au début des années 1970, lorsque la Société française d’investissement et de gestion (SEFIMEG) décide de convertir l'espace des usines de la compagnie pharmaceutique Gillet en lieu d’habitation. Sa construction est alors dirigée par l’architecte Jean Dubuisson (1914-2011). La Perralière est achevée en 1978 et se compose de trois barres d’immeubles et de neuf tours. Ce grand ensemble accueille des bureaux et des logements. Disposés de façon à limiter les vis-à-vis, les immeubles, comme des draps blancs étendus, sont environnés d’espaces verts ; environ quinze espèces d’arbre y sont plantées.
Les immeubles de la Perralière se dessinent sous une lumière blanche. Leurs façades blanches contrastent avec le ciel bleu et les arbres sombres. Entre les constructions humaines et la nature, il y a une rupture. Puis, en abordant ce quartier par la rue du 1er mars 1943, les arbres et buissons sont superflus, on dirait qu'ils sont destinés à remplir le vide laissé par la bétonisation.
Dans son court-métrage L’amour existe (1960), Maurice Pialat faisait dire à une voix-off ceci : « Voici venu le temps des casernes civiles. Univers concentrationnaire payable à tempérament. Urbanisme pensé en terme de voirie. Matériaux pauvres dégradés avant la fin des travaux […] ». Depuis la fin des Trente Glorieuses, la société française se retrouve face à la stagflation, et parallèlement le nombre de critiques de l’architecture moderne augmentent, pointant du doigt l'architecture et l'urbanisation comme une des causes de l'appauvrissement de la population. Thierry Paquot le dit bien dans son livre Désastres urbains (2019) : « Le grand ensemble est incontestablement un des échecs majeurs de l’idéologie du modernisme. » parce « [qu’il] altère le site sur lequel il est bâti ».
Aujourd’hui, On regarde encore ces grands ensembles de façon négative. Mais déjà, en 1959, l’historienne de l’architecture Françoise Choay comparait ces habitats, qui avaient pour but de renforcer la démocratisation du logement, à des cages à lapin (Cité jardin ou cage à lapin).
Alors, pour pénétrer dans la Perralière depuis la rue du 1er mars 1943, je dois parcourir de longues allées droites, presque vides. Les blancs immeubles sur le fond, un silence règne dans un paysage plein de perspectives. Des cyprès, parfois, bordent ces allées, ils sont disposés par-ci par-là sur un sol goudronné. Le cyprès, Julien Gracq le décrit dans ses Carnets du grand chemin comme une figure « violemment protestataire », il exprime un « refus exemplaire de la flexion ». Pourtant, les cyprès de la Perralière s'apparent à des jeunes filles et garçons rangés. Comme les autres arbres, ils sont plantés pour rythmer l’espace : des lignes verticales sur une surface plate.
Quand on arrive au cœur de cette cité HLM, s'y trouve un parc, arboré de châtaigniers, boulots et liquidambars. Un peu autour, il y a d'autres arbres, mais aussi des buissons et gazons. On aperçoit que les espaces verts étaient des éléments originels du programme de l'architecte Jean Dubuisson.
La qualité de la nature et de la végétation était déjà considérée par les architectes utopistes du début du XXe siècle. Mais bien avant cela, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le paysagiste Frederick Law Olmsted a déjà pensé à l’intégration de la nature dans la trame urbaine. Le Central Park de New York (1857-1873) en est le plus connu des exemples.
Or, après la période dite de la reconstruction en France, se développent dans les années 1970 des préoccupations environnementales plus fortes afin de répondre aux critiques de l’urbanisation qui détruit démesurément la nature. La prise de conscience vient après coup : on se rend compte de l’importance du milieu naturel pour les humains. Il est sans doute vrai que Jean Dubuisson s’est efforcé, pour la construction de la Perralière, de mettre en place des ‘zones’ naturelles afin de compenser la ‘dénaturation’ de l’habitat. Un équilibre entre espace urbain et espace naturel était à trouver.
En observant de façon immédiate ces ‘parts naturelles’ qui viennent se rajouter à l’architecture, il est difficile d'observer un équilibre. La plantation et l’arrangement des végétations dans le programme de Dubuisson reste trop régulière et semble au contraire amplifier la rectitude de la du quartier de la Perralière.
Cependant, et de façon accidentelle, quelques ombres et des courbes frappent nos regards quand ils épousent les contours des grands immeubles ; par la photographie, j'ai voulu retranscrire cela. Ces végétations, dont la croissance vitale permettent le hasard des formes, répondent comme une poésie à l'environnement urbain. Ces impressions visuelles proviennent d’un point de vue particulier, et cela nous permet d'échapper à la rigueur de plan. Ces formes appellent notre observation comme si elles nous disaient qu’une certaine rencontre serait possible dans les lieux les plus banals de Villeurbanne
コメント