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L’exposition Lingcun VII : l’encre traditionnelle dans l’art chinois contemporain

Dernière mise à jour : 24 mai 2021

par ZHANG Chengyu



Au début du mois d'octobre de 2020, j'ai eu la chance de participer à l’organisation d’une exposition organisée à Paris. L’exposition, consacrée à l’art chinois contemporain et intitulée « Lingcun VII : évolution et permanence - la succession et le développement de l’art de la nouvelle encre », a eu lieu à la Galerie 1618 du 6 octobre au 6 novembre 2020.


J'ai rejoint le projet d’exposition en tant que stagiaire pour l'agencement de l'exposition. Au début, j'ai participé à la traduction des matériaux de dizaines artistes (par exemple : Xu Ying, Wang Xiaolu, Sun Bo etc.) puis, à la mise en espace de l'exposition, à l'organisation du vernissage, et au stade ultérieur du démontage. L'exposition portait sur le rôle de la « nouvelle encre » dans l'art contemporain chinois et les problèmes rencontrés par le développement de la peinture à l'encre traditionnelle aujourd'hui. J'ai bénéficié de beaucoup de temps pour apprécier ces œuvres de près, qui expriment la compréhension personnelle à chaque artiste de la nouvelle encre et du lavis.


En tant que forme d'art traditionnel chinois, la peinture à l'encre occupe une place très importante dans l'histoire de l'art chinois. Mais comme l'art chinois a inauguré une puissante modernisation au XXe siècle, la catégorie de la peinture à l'encre est également confrontée au choix de la persistance ou du changement. Après la révolution culturelle à la fin des années 1970, de nombreux artistes ont tenté d'incorporer une série de formes de création artistique traditionnelles dans le processus de modernisation globale de l'art, et bien sûr l'encre et le lavis en faisaient partie. Avec cette exposition, le commissaire Liu Mohua voulait interroger la place de l'encre et du lavis aujourd'hui ? Sont-ils utilisés par l’art contemporain ? Et à l'avenir, continueront-t-ils à s'orienter vers des innovations plus expérimentales et plus radicales ? Ou constate-t-on un échec de la modernisation de l'encre et du lavis et un retour au mode créatif traditionnel ?


La peinture à l’encre dans l’art traditionnel


Avant de discuter de la nouvelle peinture à l'encre contemporaine, nous devons comprendre le statut de la peinture à l'encre dans l'histoire de l'art chinois et ses caractéristiques, afin de mieux analyser certaines œuvres d'art en lien avec la modernisation occidentale. La peinture à l'encre et lavis est l'une des principales formes de la peinture traditionnelle chinoise. L’encre permet de mettre l'accent sur le Xieyi, style expressif ou sans contraintes dans écriture des idées, qui favorise l'expression subjective de l'artiste. L'encre met aussi en avant le Yijing qui fait référence au lien étroit des scènes figurées avec les œuvres littéraires et l'expression de pensées et émotions.


Un nouvel usage des langages artistiques traditionnels


Les artistes présentés dans cette exposition sont professeurs et étudiants du Studio Transmédia de l'Université Renmin de Chine. L’œuvre du professeur Huang Huasan illustre un nouvel usage du langage artistique traditionnel.


Fig.1

Huang Huasan, Pêcheur caché dans la fumée, 51 x 51cm., Encre et couleur sur papier, 2020 ©le studio Transmédia de l’université Renmin de Chine


Dans Pêcheur caché dans la fumée (fig.1), l'artiste ajoute des figures plus concrètes à la forme de l'encre et du lavis. Habituellement, dans les peintures à l'encre de Chine, on pense que l'image d'une personne trop concrète affaiblira le Yijing généralement. Mais ici, l'artiste a utilisé de l'encre pour créer un effet brouillard sur le papier en arrière-plan. Ce type de "brouillard" brumeux est utilisé pour les espaces blancs, qui sont une technique fondamentale de la peinture traditionnelle chinoise. En outre, la ligne du regard du pêcheur guide la vision du spectateur hors du cadre en soulignant la diagonale de l'œuvre dont l'œil du pécheur forme le centre, en tension avec le troncage du bateau et de la canne à pêche qui guident le spectateur vers un développement latéral. En résumé, l'artiste exprime plus de détails à travers des représentations concrètes, tout en équilibrant la sensation originale de Xieyi. Ce type de langage artistique, principalement à travers l'encre et le lavis traditionnels, utilise encore des formes traditionnelles et des thèmes traditionnels, mais avec de nouvelles caractéristiques.


Encre et lavis combinés avec le langage de l'art contemporain


L'artiste Huang Huasan ouvre lui aussi sa propre voie artistique par une nouvelle interprétation de la tradition. La jeune génération d'artistes combine le plus souvent le langage de l'art contemporain occidental de deux manières : la combinaison dans la figuration ou la combinaison dans l'abstraction.


Fig.2

Li Yiling, Mémoire, 23 x 48cm., encre et couleur sur soie, 2019 ©le studio Transmédia de l’université Renmin de Chine


Fig.3

Wang Xiaoluo, Série "Géométrie de la vie" – Xiaoshan, 45 x 45cm., Encre et couleur sur soie, 2018 ©le studio Transmédia de l’université Renmin de Chine


Fig.4

Xu Ying, Paysage de montagne et de rivière, 50 x 50cm., Encre sur soie, 2017 ©le studio Transmédia de l’université Renmin de Chine


Combinaison avec la scène figurative


Dans les figures 2, 3, et 4, les artistes combinent les langages artistiques chinois et occidentaux à travers un contenu figuratif comme support. Dans la partie droite de la première œuvre, Mémoire de Li Yiling (fig.2), l’image du jouet de dessin animé peut être considérée comme l’évocation de la culture de masse d’aujourd’hui. L'artiste met en évidence l'image du jouet en laissant un blanc sur la gauche. Ainsi, il substitue les personnages des peintures traditionnelles, et crée un biais cognitif dans le regard du spectateur, afin de susciter une réflexion sur la relation entre l'art chinois et occidental, entre la tradition chinoise et l'art contemporain.


Xu Ying et Wang Xiaoluo abordent tous deux le thème de la montagne. Dans la catégorie du paysage, le thème de la montagne avec rivière est le plus important de la peinture à l'encre de Chine. Les deux artistes rendent cette scène d'une manière plus contemporaine. Dans l’œuvre de Wang Xiaoluo (fig.3), la montagne est rendue par les éléments géométriques. Le tableau adopte une composition circulaire dans son ensemble, ce qui correspond au concept chinois résumé dans la maxime « le ciel rond et la terre carré ». Dans l'œuvre de Xu Ying (fig.4), l'encre rouge se fond sur le vert, formant une image de pastèque. Grâce à l'effet de maculage de l'encre sur le papier Xuan (une catégorie de papier spécifique), les montagnes rouges semblent entourées de nuages ​​et de ruisseaux, bien que les détails soient variés.


Fig.5

Li Yiling, Chrysanthème01, 37 x 52cm., Encre et couleur sur soie, 2019 ©le studio Transmédia de l’université Renmin de Chine


Fig.6

Du Jian, Songerie dans la nuit, 60 x 206 cm., Encre sur soie., 2019 ©le studio Transmédia de l’université Renmin de Chine


Combinaison avec la scène abstraite


Dans la représentation de thèmes abstraits, les œuvres ont tendance à explorer le pratique du langage abstrait occidental à partir d'un thème traditionnel chinois. Dans Chrysanthème 01 (fig.5), l’artiste Li Yiling utilise les matériels de la peinture à l’encre pour créer une œuvre abstraite. Cette œuvre peut être considérée comme une expérimentation artistique dans la forme et le matériau artistique. Dans Songerie dans la nuit (fig.6) de Du Jian, le langage abstrait reprend le thème classique du brouillard, mais le traitement des lignes et des blocs diffère des méthodes habituelles de la peinture de paysage traditionnelle à l'encre et au lavis. Ainsi, l’artiste utilise des lignes tranchantes et non la technique de maculage habituelle utilisée dans la peinture à l'encre et au lavis ; pour la représentation des montagnes, l’artiste utilise des blocs lisses et, en même temps, il décrit les ombres par des nuances graduelles d'encre. Le raffinement abstrait de l'œuvre s'éloigne subtilement du raffinement de Xieyi de la peinture à l'encre traditionnelle. Comme l’artiste le dit :


« Cette peinture n'a que des montagnes abstraites, exprimant de riches images de paysages avec un langage formel simple »

(Site officiel de l’exposition : https://www.lingcunvii.com/enligne-fr)


L’interprétation contemporaine du concept Yijing


Le Yijing constitue l'une des caractéristiques qui distinguent la peinture et l'esthétique traditionnelles chinoises de la peinture occidentale. Il consiste à mêler des scènes et des sentiments expressifs. La peinture à l’encre permet de mettre l'accent sur un sentiment global exprimé par la combinaison de la scène et de l'émotion.


Fig.7

Du Weiwei, Série “nuage et vapeur 01”, 33 x 33cm., encre sur papier, 2016 ©le studio Transmédia de l’université Renmin de Chine


Fig.8

Ma Jun, un lointain vaporeux, 33 x 93cm., encre sur soie, 2019 ©le studio Transmédia de l’université Renmin de Chine


Dans l'œuvre de la Série nuage et vapeur 01 (fig.7), Du Weiwei, utilise l'encre et le lavis pour créer un effet de "double exposition" similaire à la technique photographique. Le paysage, dominé par des montagnes ou des pierres est méticuleusement dépeint à l’intérieur d’un contour du Bouddha. La statue de Bouddha est uniquement représentée par un contour approximatif. Il s'agit d'une méthode typique de combinaison de la virtualité et de la réalité. L'artiste crée un sentiment de tranquillité et de pureté sur le papier grâce à la technique de l'espace blanc, complétant la création de la conception artistique comme espace de projection de l'imaginaire. Dans une autre œuvre (fig.8), Ma Jun adapte l'image d'une figure solitaire à cheval -figure traditionnelle dans les peintures de paysages - en la faisant apparaître dans un cadre vague où il est difficile de distinguer le réel et l’irréel. Cette scène illusoire créé un fort contraste avec la représentation méticuleuse des détails du cheval et de l'homme.


Une innovation pour la préservation


L'exposition a ainsi démontré que la peinture à l’encre est entièrement modernisée aujourd'hui. Elle combine différents langages, chinois et occidentaux, pour former une toute nouvelle forme de peinture à l’encre, appelée aujourd'hui « nouvelle peinture à l’encre » ou « peinture à l’encre expérimentale ». Ces termes sont apparus sous la plume du critique d'art Huang Zhuan dans son catalogue Les artistes cantonais : le catalogue de la peinture à l’encre expérimentale de 1993 (Lu Peng, l’histoire de l’art chinois depuis 1979, Pékin, Groupe d'édition de jeunes chinois, 2011, p. 192). L'exposition de la Galerie 1618, montre que la peinture à l'encre est une forme d'art qui a une longue histoire, et qui s'est renouvelée aujourd'hui, même si elle a perdu sa place dominante pour devenir un moyen d'expression secondaire dans l'art chinois contemporain. La préservation de la tradition passe ainsi par des innovations qui renouvellent la valeur d'un geste traditionnel.





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