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Red Asia Complex: Chan-kyong Park au Museum of Modern and Contemporary Art de Séoul

Dernière mise à jour : 11 juin 2021

Par Keunhong KANG

L’exposition de l’artiste Chan-kyong Park (1965-), Gathering, reconstruit l’histoire de l’art contemporain coréen avec le soutien du MMCA (Museum of Modern and Contemporary Art) de Séoul.


- Teaser de l’exposition « MMCA Hyundai Motor Series 2019: Park Chan-Kyong – Gathering », ⓒMMCA de Séoul


Du 26 octobre 2019 au 23 février 2020, le MMCA organise une exposition temporaire « Park Chan-Kyong – Gathering ». L’exposition est constituée de huit nouvelles œuvres et de la recomposition d’une ancienne œuvre, produites spécifiquement pour l’occasion, celles-ci étant exposé dans la salle d’exposition 5 au MMCA. Cette exposition est réalisée avec l’intention d’introduire une structure propre à l’histoire de l’art contemporain coréen qui jusqu’ici découle de la doctrine méthodologique de l’art occidental.


L’interruption de la scénographie de l’exposition du musée d’art occidentalisé

Dans cette exposition, M. Park critique le fait qu’il existe des lacunes dans l'introspection du monde artistique coréen. Selon lui, le mouvement général de l’histoire de l’art vers une déconstruction de la norme et de l'institutionnalisation de l'art n’a pas été suffisamment repris en Corée. Pour M. Park, ce défaut de critique à l’égard de l'histoire de l'art occidental de la part des Coréens a constitué le noyau de la culture artistique de la Corée puisqu’il prenait bien plus en compte son passé colonial et y était particulièrement enraciné, celui-ci ayant également joué un rôle essentiel dans la modernité coréenne.

De ce fait, l'artiste Park a commencé à revendiquer une notion qu’il a nommé ‘Red Asia Complex' dans ses œuvres et dans son ouvrage critique dédié à la provenance de l’art contemporain coréen, puis le MMCA a soutenu ses travaux artistiques qui mettaient l'accent sur cette conception. Red Asia Complex combine deux notions, le Red Complex, qui est une carte mentale explorant la division de la culture coréenne issue des deux différents régimes pendant la guerre froide ; la seconde notion est l’Asia complex qui défend une perspective postcoloniale dans l’analyse de ce que Park avait sans cesse critiqué : les structures institutionnelles concrètes de la tradition, de la modernité et de l’art en Corée.

- Figure 1. une vue de la salle de l'exposition, ⓒ photo Cheol-gi Hong, MMCA


Mais comment se présente cette prise de conscience des problèmes dans les œuvres de Chan-kyong Park et dans l'exposition au MMCA ? Son intérêt pour l’histoire de l’art coréen, naît d’une déception à propos de l’espace d’exposition typiquement occidental du White cube. Ce « dispositif scénique » (Yves Klein), s’est imposé dans les arts visuels contemporains en Occident puis à l’échelle mondiale. Ce concept occidental est toujours utilisé dans la plupart des expositions coréennes d’arts. Pour proposer une alternative, Chan-kyong Park réfléchit à ce qui serait mieux représentatif de la Corée. Park fusionne ainsi une structure architecturale traditionnelle de la Corée [Fig.1], tels que des bas-murs, appelé Damjang, avec des baies qui permettent de voir au-delà du mur, et avec la mise en espace d’un jardin coréen, nommé Madang, et une toiture descendante atteignant les Damjang.


Une discussion radicale sur la source de l’histoire de l’art coréen

- Figure 2. Chan-kyong Park, Small Museum of Art, 2019, wall, photo, artwork on loan, text, folding screen, single-channel video (15:50), dimensions variables. Video Courtesy of MMCA, ⓒphoto : Cheol-gi HONG


Mais au-delà d’une alternative proprement coréenne à l’espace muséal mondialisé selon des normes occidentales, Chan-kyong Park interroge le discours sur l’histoire de l’art coréen. L’exposition commence par Small Museum of Art [Fig.2], qui crée un environnement à part entière où des paravents coréen, Byeongpung, structurent l'espace. Sur les murs, sont accrochées les œuvres d’art traditionnel empruntées à d’autres musées, mais les cartels imprimés sont remplacés par des textes de Park. La création de petits espaces renvoie à la réflexion sur les origines des lieux de réception des arts en Corée. En effet, en Corée, avant la mise en place du concept européen de musée, le public avait accès à l'art soit dans les temples bouddhiques, Jeol, soit sur les maisons consacrées aux esprits de la montagne, Sanshin Dang. Il s’agissait des seuls endroits ouverts au public pour admirer des peintures commandées aux artistes, cependant, ces peintures avaient pour rôle la transmission visuelle de l’histoire religieuse. Dans ces lieux, prévalait l'harmonie entre peintures et statues ainsi que la transition entre le monde terrestre et le monde ancestral.

- Figure 3. Chan-kyong Park, Water Mark, 2019, ciment, 5x 110x 110cm (15), 20x 110x110 cm(1), ⓒphoto : Cheol-gi HONG


Une fois achevée la visite de la création environnementale, Small Museum of Art, on atteint un espace qui permet de réunir tous les visiteurs, à l’instar du rôle des jardins coréens, Madang. Ici, on aperçoit un assemblage des seize pavés en ciment, Haein (Water Mark) [Fig.3]. Chan-kyong Park reprends ici un concept bouddhique. Hae signifie étymologiquement une mer ou bien un océan, et In renvoie à un sceau. La signification d’Haein est donc que toutes les créations du monde se reflètent sur la mer comme si on y apposait un sceau. Park s’est concentré sur le caractère de la mer en perpétuel mouvement, puis l’a gravé sur un matériau, le ciment qui se durcit au fil du temps, et ainsi l'artiste met en contraste deux éléments dont les caractéristiques sont diamétralement opposées. Ce geste vise à exposer la structure de l’histoire de l’art coréen, immobile depuis un long moment. Pour concrétiser sa volonté, il installe des bancs coréens, Maru, symboles de partage et de communication, autour de cette œuvre, puis il invite des chercheurs à s’exprimer sur la structure institutionnelle de l’art moderne et contemporain coréens. Les visiteurs peuvent partager ces communications enregistrées et projetées en s’asseyant à leur tour sur les Maru. La volonté de cet artiste d’utiliser un matériau en opposition avec le caractère de la mer se développe de manière sémantique dans ses autres œuvres.


Proposition d’un reversement du regard


Fukushima, Autoradiography est une projection alternative des images prises par le botaniste Satochi Mori, et le photographe Masamichi Kagaya, et de celles de Park prises à Fukushima. On peut apercevoir à la fois des photographies scientifiques en radiographie et des photographies des paysages printaniers de Fukushima. Le sujet de l’artiste est de tenter de démêler les vérités de la réalité post-désastre. Selon lui, la sémantique de cette œuvre, illustre le désastre issu de « l’impasse entre les images et les informations textuelles » (Chan-kyong Park) de notre ère. Park emploie donc la pratique alternative des images pour représenter cette rupture de bonne transmission sémiotique dans notre société ; la visibilité via les documentaires et l’invisibilité d’une réalité à travers les rayons-X.


Dans la même salle de projection, Sets, créé une chronologie fictionnelle, de la colonisation de la Corée à nos jours, par une vidéo enchaînant des photographies de différents endroits incluant le ‘Joseon Film Studio’ de la Corée du Nord, le set cinématographique du film coréen renommé, JSA (Joint Security Area), réalisé en 2000 par Chan-wook Park, et un vrai camp militaire coréen. Le set de la Corée du Nord imite l’environnement de Séoul, Corée du Sud, mais il provoque une désillusion pour le peuple nord-coréen, puis qu’il ne peut qu’imaginer l’existence de Séoul incompréhensible. Le studio de la Corée du Sud incompréhensible est édifié à partir du modèle d’un quartier pauvre actuel de Séoul, ceci nous donne l’illusion qu’il s’agit d’une partie territoriale de Corée du Nord du temps présent, ou bien de Séoul dans les années 1970. Dans ces images, l’absence de contexte et d’orientation géographique provoquent une distanciation avec la réalité. Par conséquent, le geste d’un reversement du regard créé à la fois l’illusion et la désillusion.


Les deux œuvres explorent le thème du désastre des temps présent, soit naturel, soit géopolitique. Son intérêt pour le désastre continue avec la question de la mort.

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La question de la mort et de la consolation commune


Avant de rentrer dans la salle de projection pour voir Belated Bosal, un film en négatif de 44 minutes, notre regard est instinctivement attiré par une configuration d’entrée composée de deux piliers gravés. Ce sont des modelages concaves de vrais piliers appelé Juryeon. Les Juryeon originaux se situent à l’entrée du MMCA et existent depuis l’origine du bâtiment qui a d’abord été l’annexe de l’hôpital de l’école de médecine de Kyungsung sous la colonisation japonaise (1928-1932), puis le siège de l’Office d’Administration Importante et Secrète de l’Armée Nationale de Corée (1933-2008)(Cultural Heritage Administration of Korea). Le modelage du pilier de gauche est carré et celui de droite, cylindrique. Park y a fait inscrire deux citations. Sur le modelage du pilier carré, on peut lire une phrase de Shakespeare en anglais : « Hell is empty, and all the devils are here » tirée de La Tempête. Sur le pilier cylindrique est apposée la phrase coréenne « l’enfer est vide, pour ceux qui le voient avec les yeux de la sagesse », tirée du Cheonsugyeong, l’un des écritures reformulée bouddhiste. Deux regards différents du Monde de l’Au-delà, de l’Occident et de l’Extrême-Orient, sont ainsi mis en conversation, le pessimiste et l’optimiste. Ces phrases servent d’indices pour la vidéo Belated Bosal.

- Bande-annoce de Chan-kyong Park, Belated Bosal, 2019, HD film, Black&white, four-channel sound, 55min. ⓒMMCA de Séoul


Belated Bosal, présente des personnages qui n’ont aucun lien les uns avec les autres : une randonneuse, une chercheuse sur la radioactivité, et de jeunes artistes, dans un lieu pollué par la radioactivité. Le comportement de chaque personne n’a pas non plus de rapport avec le contexte du film ; un conteneur chargé sur un cargo entre dans le port. Personne ne sait ce qu'il y a à l'intérieur du conteneur. Ce n'est qu'un des nombreux conteneurs. Une femme d'âge moyen, Bosal, escalade la montagne, tandis que Gahye mesure le degré de contamination radioactive à l'intérieur de la zone montagneuse. De jeunes hommes peignent et fabriquent des objets. Bosal cherche l'endroit où le conteneur sera placé. Gahye contemple sa propre vie passée dans un temple sur la montagne. Enfin, Bosal arrive à l'endroit où se trouve le conteneur. D'autres personnes se rassemblent également à cet endroit.


Il s’agit là de l’intention délibérée de Park d’abandonner la narration des uns envers les autres, afin de critiquer notre société qui selon lui a perdu toute cohérence et lien. De ce fait, Park a mis l’accent sur le moment où l’on se réunit dans cette rupture de la communication, et il identifie cela comme le moment de la mort qui permet le rassemblement et le rétablissement de la communication des individus dans un but de se consoler les uns les autres.

- Figure 4. Chan-kyong Park, Gathering, 2019, digital photo, 80x80cm. (24), et Barefoot, 2019, wood, mechanism, dimensions variables, ⓒphoto : Cheol-gi Hong


Plus loin, l’ensemble de deux œuvres, Gathering [Fig.4] est composé d’une multitude de photographies digitales à partir de peintures animales issues de différents temples bouddhistes, et l’installation de l’œuvre, Barefoot, avec un mécanisme en bois. Cette composition est venue d’une dernière scène de la vie descriptive de Siddhartha Gautama, Ssangrimyeolbando. Il s’agit de la scène de visite d’affliction des animaux lors du nirvâna de Siddhartha Gautama. Barefoot de Park a simplifié et effacé l’aspect du nirvâna de Siddahartha Gautama avec une réalisation en multimédia. Il désire montrer les difficultés du lyrisme mythologique de nos jours.

- Figure 5. Chan-kyong Park, Gallery 5, 2019, 1:25 architectural model of Gallery 5 MMCA Seoul, wall text and sound installation, single-channel video (16min.), jing and kkwaenggwari, dimensions variables. Video Courtesy of MMCA, ⓒphoto : Cheol-gi Hong


L’exposition finit avec l’œuvre Gallery 5 [Fig.5], installée à la sortie de la salle de l’exposition. Cette maquette réduite en 1 :25 de la salle d’exposition 5 est accompagnée d’un texte écrit sur le mur et d’une figuration de la constellation de la Grande Ourse réalisée en Jing et Kkwaenggwari qui sont les instruments musicaux traditionnels de la Corée. Le point remarquable de l’installation Gallery 5, est la présence de l’escalier qui commence à la maquette réduite, et atteint le sol de la salle d’exposition 5. Cette mise en scène de l’escalier d’une manière exagérée est liée à l’histoire politique moderne de la Corée. En effet, le bâtiment du Musée était utilisé depuis 1933 comme bâtiment d’État: l’Office d’Administration Importante et Secrète de l’Armée Nationale. De nombreux morts y furent dissimulés, lors de la colonisation japonaise (1910-1945), puis pendant l’époque troublée de la politique coréenne durant la guerre froide. Il existe ainsi une rumeur nationale selon laquelle personne ne saurait réellement jusqu’à quelle profondeur descend cet escalier vers le sous-sol. Cela renvoie aux nombreux innocents morts à la suite d’emprisonnements et de tortures pratiqués ici même.


On peut finalement comprendre que l’exposition est dédiée, à la fois à la mort de l’histoire de l’art, et à la stimulation du remodelage de la structure de l’histoire de l’art coréen. À la suite de la colonisation japonaise, et de la guerre de Corée, l’État national du pays devient instable, ce qui se répercute sur l’histoire de l’art. L’art coréen a été impulsé par le goût japonais sous la colonisation, et le thème folklorique coréen a été mis en valeur pour répondre aux goûts des pays occidentaux puissants. Pendant la période de trouble politique après la guerre coréenne, l’art contemporain sud-coréen est resté une imitation de l’art américain, principal initiateur en Corée du Sud. Le pays n’a finalement pas eu le temps de regarder derrière soi, en bravant plusieurs difficultés et en sacrifiant de nombreuses choses par manque de rétrospection interne.

Pour avancer et faire un premier pas, il a fallu à la Corée, une introspection d’elle-même, en revisitant le temps perdu et en se réconciliant avec le passé oublié. C’est pour cela qu’il semble que l’artiste Chan-kyong Park a voulu construire le concept d'un art coréen basé sur une méthodologie et des concepts qui lui soit propres. De ce fait il a d'abord orienté sa réflexion sur ce que pouvait être l’art coréen, puis a proposé un regard renversé pour mettre en doute ce qui était habituel dans la culture de la Corée. Enfin, il a réalisé un geste artistique et symbolique en réalisant des « œuvres mémoires » rendant hommages aux Coréens morts tragiquement ou bien oubliés au fils du temps.



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