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La liberté de création dans l’art catholique : l’artiste et l’Église.

Dernière mise à jour : 28 mars 2019

L’exemple du projet de Koloman Moser pour l’église Saint-Léopold am Steinhof à Vienne au XIXe siècle.


Emmanuelle T.




Le message catholique est complexe dans sa forme – les textes bibliques, déjà foisonnants, ont eux-mêmes été complétés par d’autres écrits apocryphes et historiques – et son fond, puisque la visée en est eschatologique. L’image religieuse n’est pourtant pas aux mains de l’Église : sa production et sa réception dépendent de toute la société. L’artiste, parfois d’une autre confession, agnostique ou athée, a donc une responsabilité, mais contrairement à ce que nous pouvons croire, l’art catholique jouit d’une grande liberté.

Pour illustrer ces propos, nous prendrons l’exemple d’une querelle autour de l’image religieuse : le projet de Koloman Moser pour l’église Saint-Léopold am Steinhof, de l’architecte Otto Wagner, édifiée entre 1903 et 1907 en périphérie de Vienne.



Fig. 1 Koloman MOSER, Projet pour le vitrail du Paradis, dessin et gouache, 86 x 114 cm., 1905-1906, Museum für angewandte Kunst, Vienne

Une différence fondamentale entre art sacré et art religieux


Deux expressions, souvent confondues, sont à distinguer : art sacré et art religieux. Dans l’historiographie francophone actuelle, les auteur.es de référence sur le sujet sont François Boespflug, avec notamment Dieu et ses images. Une histoire de l’Eternel dans l’art[1], et Isabelle Saint-Martin avec Art chrétien/art sacré. Regards du catholicisme sur l’art[2]. Selon ces auteurs, l’art religieux est une représentation d’un sujet biblique, apocryphe ou de l’histoire de l’Église, alors que l’art sacré a vocation liturgique. Le premier concerne donc le sujet de l’œuvre, et le second, sa fonction. Ainsi, l’art religieux peut être un art sacré autant qu’un art profane. Pour citer un exemple parmi tant d’autres, prenons le cas d’Adam et Eve, figures de l’Ancien Testament. Les œuvres traitant de ce sujet biblique sont religieuses. Adam et Eve de Gustav Klimt [fig.2], peint en 1917-1918, relève bien d’un art religieux, mais est aussi une œuvre profane puisque destinée à une collection privée. Le même sujet, traité par Koloman Moser à l’église Saint-Léopold am Steinhof [fig.1], est quant à lui une œuvre d’art sacré car faite pour une église. Enfin, parler d’art catholique revient à parler d’art religieux illustrant le dogme catholique.

Fig. 2 Gustave KLIMT, Adam et Eve, huile sur toile, 173 x 60 cm., 1917-1918, Belvédère supérieur, Vienne

Ainsi, lorsqu’un.e artiste produit une œuvre d’art religieux, il ou elle a alors, selon l’époque et l’emprise de l’Église sur la société, plus ou moins de liberté d’expression. En revanche, lorsque l’œuvre est destinée à remplir un rôle sacré, l’artiste doit répondre à des exigences beaucoup plus strictes sous l’œil de l’Église : l’œuvre doit être canonique.

Si ces définitions sont d’usage, l’historiographie offre de nombreux exemples où les termes ont été interchangés. Isabelle Saint-Martin, dans Art chrétien/art sacré, rappelle d’ailleurs que ces notions sont récentes, leurs théorisations remontant à la toute fin du XVIIIe s., pour être encore débattues aujourd’hui ; l’art chrétien pourtant « débute très tôt dans les premiers siècles du christianisme. Les catacombes romaines en portent la trace »[3].


[1] BOESPFLUG, François, Dieu et ses images. Une histoire de l’Eternel dans l’art, Bayard, Essais religieux divers, 2008.

[2] SAINT-MARTIN, Isabelle, Art chrétien/art sacré. Regards du catholicisme sur l’art. France, XIXe-XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, Collection Art et Société, Rennes, 2014.

[3] Dans BOUSQUET-LABOUERIE, Christine, Lexique de l’art chrétien. Attributs et symboles, Ellipses, Paris, 2006, p.5-6.






La vocation de l'art sacré


Si l'on interroge les contraintes imposées par l’Église à l’artiste dans la production d’un art sacré, il faut préciser les attentes de l’institution ecclésiale vis-à-vis de l’art. Le mot d’ordre est le « Beau »[1], notion vague et hétérogène, en référence à Saint Thomas d’Aquin au XIIIe s. qui relie beauté et vérité. En étudiant les origines du concept d’art chrétien, notamment chez Chateaubriand et son Génie du Christianisme publié en 1802, Isabelle Saint-Martin note en effet que les théoriciens entendent d’abord « sauver la religion par la beauté »[2], faisant ainsi face aux idées anticléricales qui suivent la Révolution française. Quand bien même cette définition de l’art chrétien par le Beau ferait l’unanimité, nous butons alors sur la notion de Beau. Saint-Martin constate : « cette conception du Beau comme splendeur du Vrai reste cependant très vague. De ces traités qui suivent les débats ouverts dans les années 1830 sur l’art chrétien, il ne se dégage nullement un style spécifique précis »[3].

Plus concrètement, tantôt par l’Église, tantôt par des artistes théologiens, deux rôles sont attribués à l’art catholique : éduquer la société et être un guide spirituel. Dans le premier cas, l’art a un rôle pédagogique, il illustre le dogme. Au contraire, si l’art est un guide spirituel, c’est-à-dire un outil d’introspection, la création peut prendre des formes beaucoup plus libres, et s’ouvre parfois à l’abstraction. En se penchant sur des exemples historiques de querelles autour de la canonicité d’une œuvre, nous remarquons cependant une grande diversité d’arguments avancés par l’Eglise, preuve encore une fois que le Vatican ne tient pas une position officielle vis-à-vis de l’art au long des siècles.

Dans le cas de l’église Saint-Léopold am Steinhof, le chapelain Heinrich Swoboda estime que le traitement des sujets par Koloman Moser est trop

« décoratif » et que les vitraux « n’ont pas un caractère de vénération »[4], c’est-à-dire, que l’œuvre manque son rôle de guide spirituel. Les vitraux sont finalement acceptés - puisque « le vitrail reste dans un bâtiment en quelque sorte un objet utilitaire »[5] selon Swoboda – contrairement au maître-autel que Koloman Moser ne réalisera pas.



[1] Voir notamment : DRUGEON, Fanny. « L’Église et l’abstraction : intégration ou profanation ? – L’exposition « Libri Libri e oggetti d’arte religiosi », Rome, 1950 », in De la profanation – XIXe XXe siècles, Journée d’études, Paris, 26 juin 2007, org. CIRHAC, Université Paris I [en ligne]. Consulté le 20.12.2018. URL : http://hicsa.univ-paris1.fr/documents/pdf/CIRHAC/La%20Profanation_%20Drugeon.pdf.

[2] Dans SAINT-MARTIN, Isabelle. Art chrétien/art sacré. Regards du catholicisme sur l’art. France, XIXe-XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, Collection Art et Société, Rennes 2014, p.47.

[3] Ibidem, p.20.

[4] Rapport de Heinrich Swoboda, collection des manuscrits de la Wiener Stadtbibliothek, Cité dans FENZ, Werner. Koloman Moser. Art graphique. Art appliqué. Peinture. Traduit de l’allemand par Marianne Braush [Pierre Mardaga Editeur, Liège], Residenz Verlag, 1984, Salzburg, Vienne, p.201.

[5] Ibidem.



« C’est au contraire la liberté qui caractérise l’art religieux » (Boespflug)



En croyant que l’Église contrôle de près les images, nous nous trompons. « On a pu prétendre […] que les théologiens avaient exercé une surveillance étroite, sinon de tous les instants, sur la création artistique, dès lors qu’elle touchait un art sacré. Tant s’en faut. À part quelques rares moments, où, de fait, la peinture religieuse fut contrôlée de manière parfois stricte […] c’est au contraire la liberté qui caractérise l’art religieux, du moins en Occident »[1] selon François Boespflug. La difficulté de cet extrait réside dans le fait que l’auteur mêle l’expression d’art sacré et d’art religieux. Ce qui est certain, est qu’il ne faut pas se méprendre sur la contrainte exercée par l’Église. Pour reprendre les termes de Boespflug, le

« statut iconique »[2] qui correspond à la position officielle de l’Église, soit l’image en théorie, et la « situation iconique »[3] qui est la réalité de la production, l’image en pratique, ont été discordants. À part donc quelques exemples d’œuvres censurées par l’Église, ou en partie refusée comme c’est le cas à am Steinhof, l’artiste bénéficie d’une liberté dans la création d’un art catholique. En théorie, la responsabilité du contrôle revient au clergé local, selon plusieurs articles du Codex juris canonici[4]. Enfin, la canonicité elle-même n’est pas unanime au sein de l’Eglise, et est perpétuellement débattue ; il en va de même pour les images.

[1] Dans BOESPFLUG, François, Le Dieu des peintres et des sculpteurs : l’invisible incarné, Paris, Hazan, La chaire du Louvre, 2010, p.103.

[2] Dans BOESPFLUG, François, Dieu et ses images. Une histoire de l’Eternel dans l’art, Paris, Bayard, Essais religieux divers, 2008, p.23.

[3] Ibidem.

[4] LENIAUD, Jean-Michel, La révolution des signes : l’art à l’église (1830-1930), Paris, Les Editions du Cerf, 2007.



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