top of page
Photo du rédacteurCONTACT BLOGM2HDA

Les « musées palimpsestes » du XXIe siècle

Dernière mise à jour : 1 juil. 2019

Guillaume G.


La récente actualité nous autorise à faire le point sur les aménagements muséaux et leur réception critique par la presse spécialisée. Les extensions et réhabilitations réfléchissent sur la place du bâtiment dans le cadre urbain environnant. À l’époque du contrôle de nos méta-données par les grands groupes, comme Google et Facebook, l’architecture accompagne les ambitions des patrons de l’intelligence artificielle en concevant leur cadre de travail. Les hangars pluridisciplinaires[1], les villes « intelligentes » ultra connectées[2], ont écarté les conceptions rationalistes de la Charte d’Athènes[3] qui avaient court jusqu’à la fin du XXe siècle. La nouvelle tendance est celle d’une hybridité des formes et des fonctions. Mais pareilles initiatives ne sont pas sans poser des difficultés quand il s’agit de composer avec des élévations plus anciennes.

[1] Par exemple, le Point éphémère, situé dans le dixième arrondissement de Paris, anime depuis 2004 un bâtiment laissé en « déshérence » par l’entreprise Point P. Le collectif d’Usines Ephémères s’est ingénié à concentrer dans la même enceinte une résidence pour artistes, un bar-restaurant, le tout agrémenté d’un rooftop désormais très prisé avec vue sur le Canal Saint-Martin. Une méthode que l’interface internet du “centre de dynamiques artistiques” traduit à merveille : www.pointephemere.org.


[2] La mise en œuvre de smart cities présente une émulation de première portée en matière d’urbanisme. Le rapport d’information Villes du future, future des villes. Quel avenir pour les villes du monde ?, enregistré en 2011, du sénateur Jean-Pierre Sueur, synthétise les différentes composantes d’une “ville intelligente” en évaluant ses potentiels organisationnels, technologiques et sociétaux.


[3] Rédigée en 1933, dans le cadre des congrès internationaux d’architecture moderne, la Charte réfléchit à la place du citoyen dans la ville moderne. Le Corbusier et ses collègues du Mouvement moderne assignent une fonction à chaque zone urbaine, dans un souci fonctionnaliste et compartimenté maintenant remis en cause.


Vers une obligation de modularité pour les musées ?


La construction muséale puise ses inspirations du côté des autres domaines que recouvre l’architecture. À l’instar d’autres édifices où s’agglomèrent des publics très variés, les musées se plaisent désormais à associer la diversité des activités qui y sont pratiquées à une démarche citoyenne réfléchie. Deux exemples nous permettent de traduire les problématiques théoriques actuelles.



Fig 1 © Cyrille WEINER, photographie, Le Confort-Moderne, Poitiers

Il aura fallu seize mois de travaux pour réhabiliter avec audace les 4228 m2 du Confort Moderne, Rue du faubourg du Pont Neuf à Poitiers (fig. 1). Le lieu concentre deux salles d’exposition d’art contemporain, une salle de concert de 250 places, avec un bar attenant, une résidence d’artiste, une fanzinothèque, un restaurant, une zone de stockage et une maison du comité de quartier ! Le tout est complété par une cour et un jardin communs. La grande hauteur sous plafond et l’utilisation de charpentes métalliques pour maintenir la toiture, le dépouillement « brutaliste » des espaces, confèrent au complexe un caractère d’ancienne usine désaffectée[1].



Fig 2 ©Yannick SAUNIER, photographie, musée des Confluences

À Lyon, le musée des Confluences, conçu par l’agence autrichienne Coop Himmelb(I)au – après de nombreuses tergiversations quant au coût et à la faisabilité du projet[2] – propose un panel d’activités très étendu (fig. 2). Le « Nuage » métallique intègre en sous-sol deux salles de conférences, pourvues des derniers outils technologiques, deux espaces d’accueil dont l’un dédié aux groupes, un bar situé au dernier étage avec vue imprenable sur Lyon, et, au rez-de-chaussée, un restaurant gastronomique tenu par Jean-Paul Pignol et Guy Lassausaie[3]. Sous la toiture du Cristal des évènements les plus divers peuvent s’y tenir, tels des galas, cocktails, dîners, séminaires d’entreprises, anniversaires …

[1] DUBET Alice, « Lieu culturel », in Architecture, Mouvement, Continuité, n° 266, février 2018, p. 32-37.


[2] FERENCZI Alexis, « Le Musée des Confluences ouvre ses portes sur fond de polémiques », Huffingtonpost [En ligne], mis en ligne le 19 décembre 2014, actualisé le 5 octobre 2016, consulté le 6 janvier 2019. URL : https://www.huffingtonpost.fr/2014/12/19/musee-des-confluences-lyon-polemiques_n_6341420.html.


[3] Jean-Paul Pignol est élu meilleur ouvrier de France et Guy Lassausaie détenteur de deux étoiles au guide Michelin. Pour consulter la page internet du service restauration affilié au musée des Confluences : http://www.museedesconfluences-restauration.com/.


La valorisation urbaine du site d’implantation


L’architecture contemporaine essaye de s’adapter à ce qu’elle identifie être les nouveaux besoins de la population. En plus de la modularité, les enjeux socio-économiques imposent aux musées d’engager un dialogue avec l’espace où ils se trouvent.


Le groupe de ciment Vicat a lancé un concours visant à récompenser des programmes de rénovation de quartiers[1]. Il s’est agit, pour les candidats de la première édition, de réfléchir aux améliorations urbaines possibles du quartier de Mermoz Sud à Lyon. L’analyse des divers projets présentés à cette occasion permet d’entrapercevoir les thématiques que la construction muséale ne peut feindre d’ignorer. Certains étudiants proposent par exemple de construire des façades recouvertes de terre et de végétaux, afin d’offrir une qualité d’isolation sans égale et de reverdir une zone excessivement bétonnée. Les « barres » incorporeraient des salles communes pour favoriser les rencontres et des endroits où le compostage partagé serait possible. L’idée est ici de tendre vers une indépendance énergétique des bâtiments.



Fig 3 © Brenac&Gonzalez, photographie, immeuble de bureaux à Clichy-Batignolles


L’immeuble de bureaux, livré en 2017 par le cabinet Brenac & Gonzales & Associés, sur la ZAC Clichy-Batignolles (fig. 3), dans le XVIIe, présente une architecture « brutaliste » faisant écho aux voies ferrées qui lui font face et qui desservent la gare Saint-Lazare[2] : les lignes horizontales de l’édifice et son enveloppe métallique rappellent la silhouette des voies de chemin de fer observée depuis le ciel. Si les matériaux et les techniques de construction sont rendus visibles, c’est pour mieux rendre compte de leur adaptation aux exigences économiques de la ZAC. Un parti audacieux quand on mesure les risques de surabondance visuelle à mettre en vis-à-vis deux architectures aux aspérités confondantes …


Au Louvre Abu Dhabi, la démarche « contextuelle » du cabinet de Jean Nouvel est saisissante[3](fig. 4). Le bâtiment s’amalgame parfaitement dans le décor du Golfe Persique. L’immense coupole en acier et aluminium laisse passer les rayons du soleil et de légers courants d’air en guise de ventilation. Les salles d’exposition sont intégrées dans des blocs de béton fibré, éclairés par la coupole et par les leds logées dans les plafonds de verre. Ces boites, enchevêtrées les unes aux autres, rappellent les maisons traditionnelles des villes arabes. Le sol est en pierre. Les vitrines sont constituées d’une menuiserie et d’un socle en bronze. Ainsi le visiteur déambule-t-il à travers une excellente variété de matériaux et de formes. Après Franck Gehry pour le Guggenheim de Bilbao, nul doute que Jean Nouvel et ses équipes confirment l’impression qu’une nouvelle ère est advenue.



Fig 4 ©Mahomed SOMJI, photographie, Louvre Abu Dhabi.

Extension du musée et conservation, une dialectique exigeante


Nombreuses sont les commandes récentes qui ont trait à l’ajout d’un espace d’accueil. Or, rien de plus difficile pour un architecte contemporain que de s’adapter à une ossature plus ancienne. Au musée franco-américain de Blérancourt, les structures métalliques et le verre du nouveau pavillon se marient harmonieusement à la pierre de l’aile historique du château XVIIe construit par Salomon de Brosse (fig.5). Les maîtres d’œuvre[4] ont dû jouer de dextérité pour être au niveau de la première extension récompensée par le prix de l’Equerre d’argent 1989.



Fig 5 © Ateliers Yves Lion, photograhie

Un « collage », un « patchwork », auquel a été confronté la Commission nationale des Monuments historiques dans le cadre du projet « Cluny 4 » (fig. 6). Bernard Desmoulin réalise ainsi une terrasse de 250 m2 au dessus des ruines gallo-romaines et adossée à l’aile fin XIXe, côté ouest, de l’architecte Paul Boeswillwald[5]. Le nouveau bâtiment d’accueil dialogue subtilement avec l’environnement urbain du boulevard Saint-Michel, le repavage et la piétonisation d’une partie de la rue du Sommerard y contribuant fortement. La façade en fonte d’aluminium et la passerelle en béton qui mène à l’entrée ne dénaturent pas les parois antiques de briques. À l’intérieur, l’escalier en Corian ne rapetisse pas l’espace de circulation et vient adoucir les formes géométriques du lieu.



Fig 6 ©Michel DENANCÉ, photographie, nouvel accueil du musée de Cluny

Dans l’Hérault, le musée de la petite commune de Lodève a fait montre d’une grande ambition. Le challenge consistait à passer d’une superficie de 1700 à 3200 m2, le tout sans dénaturer l’hôtel de Fleury qui abrite le musée depuis 1957 et dont les élévations datent des XVIIe et XVIIIe siècles[6]. Le résultat est brillant tant l’extension est discrète et s’effectue au profit dudit hôtel particulier ; la coexistence entre l’architecture patrimoniale et l’extension contemporaine est réussie. La minéralité des lieux d’origine, présente dans la pierre et l’enduis, est préservée par la modénature en béton brut du nouveau bâti. L’habileté de la réalisation permet aux deux approches architecturales, caractéristiques de deux époques différentes, de se valoriser et même de se révéler mutuellement.


De la réhabilitation des musées à leur requalification ?


De plus en plus les musées suivent la voie tracée par les secteurs les plus avant-gardistes de l’architecture contemporaine. Le bâtiment est pensé comme un jeu de Lego que l’on mobilise en fonction des besoins et dont l’enjeu est de garantir les pratiques existantes pour en concevoir de nouvelles. La modularité des espaces autorise le mélange des activités. Les musées sont devenus des lieux que nous expérimentons tous les jours, avec des composantes plus sociétales et plus interactives qu’auparavant, le tout dans une topographie architecturale qui focalise son attention sur le visiteur. L’exigence est d’autant plus importante qu’il incombe aux décideurs des musées de préserver les frontières invisibles entre les activités et de sans cesse faire preuve de flexibilité pour ajuster les propositions culturelles aux différents publics. Avec pour but ultime que les musées deviennent des objets culturels au sens anthropologique du terme, et pas seulement artistique ou légitimiste. En décentrant le point de vue des usagers, les musées pourront accroître leur taux de fréquentation et toucher un public très élargi.


Le danger existe de perdre la dimension première des musées, de les transformer en supermarchés. Le lieu doit certes apparaître graduellement, au fil de la déambulation du visiteur, mais la promenade ne peut impliquer que nous consommions les activités proposées et que nous perdions le respect qu’impose la magie à laquelle a toujours été attachée l’institution muséale.


[1]LEQUAY Hervé, « Comment régénérer la ville ? », in L’architecture d’aujourd’hui, mai 2018, p. 1-17.


[2] LUQUAIN Amélie, « Chartier-Dalix et Brenac & Gonzales. Immeuble de bureaux Paris XVIIe », in Architecture, Mouvement, Continuité, n° 272, octobre 2018, p. 26-33.


[3] DAVOINE Gilles, « Musée du Louvre Abu Dhabi », in Architecture, Mouvement, Continuité, n° 266, février 2018, p. 22-31.


[4] La maîtrise d’ouvrage était dévolue aux Ateliers Lion Associés, accompagnés de l’architecte Alan Levitt et de l’architecte des monuments historiques Eric Pallot. Lire l’article de DAVOINE Gilles, « Ateliers Lion. Extension de musée », in Architecture, Mouvement, Continuité, n° 267, mars 2018, p. 44-49.


[5] L’inauguration s’est tenue le 13 juillet dernier. Lire SCOFFIER Richard, « Le troisième élément. Nouvel accueil du musée de Cluny, Paris 5e », in D’architectures, n° 266, octobre 2018, p. 109-115 et GABY Alexandre, « Cluny : de l’art d’être discret », in L’objet d’art, n° 545, septembre 2018, p. 36-37.


[6] BIALESTOWSKI Alice, « Projectiles. Musée Lodève », in Architecture, Mouvement, Continuité, n° 271, septembre 2019, p. 36.

16 vues0 commentaire

コメント


bottom of page