top of page

L'image au profit de l'Astronomie

Dernière mise à jour : 24 mai 2021

par Lisa Henner


Le cinquantième anniversaire des premiers pas sur la Lune le 21 juillet 2019 a mis en lumière plusieurs projets et événements tels que des découvertes scientifiques, des sorties de films, des débats écologiques, ou encore des publications d’ouvrages. Plusieurs émissions de télévision et de radio françaises abordent Voir l’Espace : astronomie et science populaire illustrée (1840-1969) d’Elsa de Smet, qui a été invitée sur les plateaux .L’auteure est docteure en histoire de l’art et de la culture visuelle de l’université de Sorbonne. Sa thèse est une étude de la visualisation technique et scientifique de l’aventure spatiale dans le monde occidental entre 1840 et 1969. Elle est également commissaire d’exposition et enseignante dans plusieurs universités (Angers, Dijon, Reims). En outre, elle a travaillé pendant deux ans à l’observatoire culturel du CNES (Observatoire de l’Espace).



Dans cet ouvrage paru en 2018, Elsa de Smet traite de l’illustration de la conquête spatiale dans une vulgarisation scientifique médiatisée et populaire. En mettant en évidence l’alliance entre le savoir et la représentation, l’historienne de l’art s’interroge sur le clivage entre la science et l’art, si tant est qu’il y en ait un dans ce contexte. Les images populaires touchent directement le public puisqu’elles permettent de nourrir l’imaginaire et l’émerveillement de son observateur ainsi que de le convaincre de la nécessité des sommes vertigineuses dépensées. Par ailleurs, l’image astronomique renforce le sentiment de fierté nationale en représentant les prouesses scientifiques dans la culture populaire. Ces images se manifestent par une diversité de genre et sont relayées par une multitude de réseaux : que ce soit par le biais de livres d’anticipation, d’émissions télévisuelles ou par le septième art. Le divertissement est le facteur qui promeut le mieux cette avancée technologique. En somme, Elsa de Smet tente de déterminer les différents paradigmes esthétiques des illustrations de vulgarisation scientifique. Du Traité philosophique d’astronomie populaire d’Auguste Comte (1844) aux premiers pas sur la Lune en 1969, la chercheuse élabore une généalogie de l’iconographie qui a diffusé les discours astronomiques. Pour cela, elle étudie la nature de ces images, les raisons derrière leur conception et les différentes réceptions qu’elles reçoivent.


Pour rendre compte au mieux de Voir l’Espace et présenter les enjeux et notions que ce livre soulève, je vais analyser l’influence des images astronomiques dans un contexte propice aux progrès technologiques et industriels. Ce questionnement suppose l’analyse des différentes mesures par lesquelles les images astronomiques sont utilisées en faveur de la communauté scientifique. Afin d’observer au mieux les relations images-textes et images populaires-science, je vais isoler un exemple étudié par l’autrice après avoir explicité les enjeux politiques et économiques.


Vers un nationalisme affirmé


L’intégralité de la période étudiée par Elsa de Smet dans cet ouvrage correspond à un contexte propice aux progrès technologiques et industriels. Le contexte des XIX et XX siècles, de l’Amérique jusqu’à l’URSS en passant par la France, est défini par l’industrialisation. La situation allemande de la Seconde Guerre mondiale révèle le potentiel de la propagande nationale avec une approche médiatique de la technologie spatiale. En effet, le contexte de la guerre et de la surveillance des masses sont des facteurs favorisant le déploiement de l’industrialisation.


La chronologie étudiée par l’auteure n’est pas seulement faite d’avancées scientifiques, elle est également dépendante de phénomènes politico-sociaux-culturels. Effectivement, à la fin de la Seconde Guerre mondiale commence la Guerre Froide : une période marquée par un fort nationalisme des deux côtés. Après plusieurs échecs américains, l’envie d’être meilleur fait de cette entreprise une aventure collective, nationale. Bien que la victoire soit voulue de tout.e.s, cela requiert un effort financier immense. L’adhésion populaire est alors indispensable. Pour ce regain d’enthousiasme, les médias américains auront recours au divertissement populaire. Que ce soit par le biais de romans d’anticipation ou d’émissions de télévision, les gouvernements et scientifiques s’adressent directement aux citoyens en tentant de les « charmer ».


Pour le bien de notre travail, nous allons étudier ce phénomène au milieu de la deuxième moitié du XIX siècle en France. La littérature fleurit abondamment durant cette période grâce au progrès de parution et de diffusion d’ouvrage. Les livres de fiction et romans d’anticipation nourrissent l’imaginaire commun d’un Espace apprivoisé par les Terriens. Cette image futuriste favorise l’adhésion populaire aux efforts financiers qui leur sont demandés.


Un science popularisée


Au cours de cet ouvrage, Elsa de Smet mentionne plusieurs exemples d’images astronomiques populaires, pour la plupart propagées par les médias. Pour illustrer au mieux ses propos, j’ai décidé de m’attarder sur l’un de ces documents. Mon mémoire reposant sur les illustrations astronomiques d’ouvrages scientifiques ou fictifs, nous allons ici analyser un livre de cette deuxième catégorie.


Assurément, le monde scientifique apporte à la littérature de nouveaux sujets de fiction qui, en retour, lui permet une ouverture au grand public. Historiquement, les illustrations des romans se présentent dans un premier temps sous forme de schémas explicatifs, puis sous celle d’images performatives qui servent à donner et projeter l’apparence visuelle d’une action ou d’une notion. L’artiste utilise des codes et conventions connues de tous afin de correspondre aux habitudes visuelles de l’époque pour que le lecteur comprenne immédiatement ce qui est représenté. Ces images sont accompagnées d’un texte explicatif ce qui donne une dimension pédagogique à l’ouvrage.


La littérature vernienne illustre à merveille ce phénomène. De Smet analyse une œuvre de Jules Verne comme étude de cas. Ce dernier est considéré comme le « premier romancier de la science ». Il a pour habitude d’utiliser les arguments tangibles des scientifiques de son époque pour appuyer les hypothèses de ses romans. Verne les associe souvent à des aventures mythiques populaires. Dans son livre De la Terre à la Lune paru pour la première fois en 1865, l’auteur conjugue le rêve d’Icare au goût de l’astronomie modernisée et s’inspire des illustrations savantes d’astronomes comme François Arago. Pour légitimer ses propos, l’écrivain insère des descriptions techniques. Avant toutes choses, il expose le projet scientifique qui motive son héros. Le récit suit l’épopée d’une association d'artilleurs et de scientifiques nommée le Gun Club qui tente d'aller sur la Lune. Le groupe, lié à l'industrie militaire, est mené par Impey Barbicane et sera rejoint par le français Michel Ardan. Le livre de Jules Verne est illustré par Georges Roux, spécialisé dans l’illustration des romans fantastiques. Cet ouvrage a un tel succès qu’il influence d’autres auteurs et illustrateurs ce qui favorise l’évolution de l’illustration vulgarisée dans la deuxième moitié du XIX siècle. De la Terre à la Lune et le reste des livres compris dans Les monde connus et inconnus sont devenus des classiques de la littérature mondiale de science-fiction.


Les premières illustrations du livre sont des cartes et des schémas, ce qui leur donne une nature très savante. Chaque instrument utilisé par les personnages est décrit dans l’image et son utilisation est expliquée dans le texte. Un tel dynamisme au sein du livre requiert une collaboration étroite entre l’auteur et l’illustrateur. Roux est également influencé par Arago, par son goût de mise en scène des prouesses technologiques, comme nous pouvons le constater dans ces deux images (figure 1 & 2).


Figure I. George Roux, Les trains de projectile pour la Lune, 1865. Dans Jules Verne, De la Terre à la Lune, 1865, p. 113.


Le lecteur suit la construction du wagon-projectile qui emmènera nos protagonistes sur la Lune. Les instruments du récit sont illustrés dans un décor paysager. La première image (figure 1) illustre le voyage de ceux qui se sont improvisés astronautes vers la Lune. Roux positionne le démantèlement de la fusée devant un ciel sombre, légèrement nuageux et étoilé, nous y distinguons également une étoile filante. L’aspect obscur de cet environnement renforce une sensation d’angoisse et d'inconnu. Dans le coin en haut à gauche apparaît une Lune resplendissante et imposante. Sa représentation est connue du grand public, elle rentre dans les habitudes visuelles de l’époque et sera reprise par George Méliès. La fusée semble se diriger vers le point lumineux de l’image. Grâce aux jeux de clair-obscur, nous comprenons cette source lumineuse comme étant le bord sud-est du satellite.


Figure II. George Roux, L’arrivée du projectile à Stone’s-Hill, 1865. Dans Jules Verne, De la Terre à la Lune, 1865, p. 113.


La présence d’humains sur la deuxième représentation (figure 2) permet de capter l’attention du lecteur plus longtemps en l’autorisant à s’identifier aux personnages et en s’appropriant ces situations. Le clair-obscur et ses jeux de lumière indiquent une source lumineuse en haut à droite, il s’agit certainement de la Lune. La puissance des machines est mise en valeur par leurs dimensions ainsi que par l’effet de perspective et les reflets de l’acier. Tous ces éléments montrent une solidité et une stabilité des engins. Ces véritables portraits d’objets technologiques prouvent une fiabilité des ingénieurs présents dans l’histoire et des connaissances de l’auteur.


Le récit de ces fantasmes universels – emmener notre espèce dans l’Espace, insérer un mythe connu de tous – a pour mérite de réunir les lecteurs derrière un désir commun : celui de réaliser les exploits accomplis par les protagonistes. Les impressions d’exactitudes dans les représentations d’engins technologiques rassurent le lecteur dans la faisabilité de cet accomplissement espéré. L’aventure spatiale s’adresse à tout.e.s. De la Terre à la Lune et ses illustrations favorisent l’adhésion du grand public dans cette grande entreprise. Ce sentiment d’unité fait que les sommes vertigineuses dépensées pour la conquête spatiale sont tolérées, par certains. Grâce à ce genre de documents, provoquant un tel engouement pour l’astronomie, le travail des scientifiques est de plus en plus accepté et soutenu. Face à ces images, le public se repose sur les compétences des ingénieurs et sur les connaissances des astrophysiciens. De ce fait, ces acteurs sont grandement pris au sérieux et sont encouragés dans leurs recherches. Leurs salaires et les dépenses liées aux recherches et aux développements industriels sont donc admis.


La place de l'ouvrage dans le débat


Voir l’Espace se positionne comme un livre dans l’ère du temps, du notre en répondant aux intérêts astronomiques du public actuel, et de celui étudié dans ce livre pour l’analyse historique poussée. Le livre aborde des notions qui étaient en vogue dans la période étudiée et qui le sont de nouveau aujourd’hui. Se faisant, Elsa de Smet met en relation différents facteurs contextuels avec les images populaires qui leur sont contemporaines. L’autrice traite donc d’une actualité passée, tout en participant à une actualité contemporaine. En effet, comme nous l’avons signalé dans l’introduction, cet ouvrage parait quelques mois avant le cinquantième anniversaire de la mission iconique d’Apollon 11. Qui plus est, quelques mois avant la publication de l’ouvrage, l’aventure de l’astronaute français Thomas Pesquet dans la Station Spatiale Internationale est très médiatisée en France. Conséquemment, Elsa de Smet et son ouvrage font partie d’une astronomie populaire et médiatisée.


Nous l’avons mentionné, les inquiétudes quant aux sommes dépensées pour les expériences scientifiques sont plus que jamais ressenties au sein du grand public. Alors que de Smet démontre comment le XIX siècle a tenté de légitimer ces dépenses, elle participe – consciemment ou non – à la légitimation actuelle de celles de notre temps.


Dorénavant, le débat autour de l’importance de cette aventure spatiale commune va au-delà des questions nationalistes et économiques. Les changements climatiques entraînent de gros risques pour beaucoup de formes de vie terrestre. Des scientifiques et scénaristes s’emparent constamment de ce scénario catastrophique pour promouvoir la colonisation d’autres planètes. Cela alimente le soutien d’une partie de la population pour les avancées technologiques. Il s’agit d’un fait important, d’un débat qui a surgit au cours de la période étudiée par Elsa de Smet, j’aurais aimé que ce sujet dialogue avec d’autres facteurs qui poussent les scientifiques à appâter le public à travers la culture populaire.



Un souci d'adhésion et de légitimation


Les chercheurs, les scientifiques et les politiciens qui travaillent dans ce domaine se donnent tous beaucoup de mal afin de légitimer les sommes dépensées. Pour cela, ils ont recours à la culture populaire qui se met au service de la science. Les images populaires illustrées, qu’elles soient issues de journaux, de magazines ou de romans, rentrent facilement dans l’imaginaire collectif, pour ensuite produire un rêve commun. C’est pour ces raisons que nous pouvons affirmer que les images astronomiques sont utilisées en faveur de la communauté scientifique, puisqu’elles idéalisent ses acteurs et légitimisent leurs actions. Voir l’Espace : astronomie et science populaire illustrée (1840-1969) rentre dans cette perspective de vulgarisation et de popularisation d’un thème pourtant pointu.


Sur un fil chronologique, Elsa de Smet organise thématiquement les sujets historiques et les supports esthétiques. La bonne classification et la clarté de cet ouvrage facilitent une relecture ciblée. Effectivement, cette lecture n’est pas réservée à un groupe de connaisseurs professionnels. La vulgarisation de ses propos et la familiarité de ses sujets rendent Voir l’Espace accessible à beaucoup. D’un point de vue personnel, je recommande cette lecture à celleux passionné.e.s par l’Espace et ses mystères. Ce livre répondra à vos questions tout en vous faisant voyager à travers le temps et l’espace. En tant qu’historienne de l’art, je conseil Voir l’Espace pour le travail de mise en parallèle entre les avancées scientifiques, les événements politiques et les images populaires.




Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, je recommande les lectures suivantes :


  • BERTRAND, Charlotte, « Les médiations entre science et fiction dans le roman astronomique de la fin du XIX siècle ». Dans RILUNE-Revue de littératures européennes, n°11, 2017, Science-fiction, p. 209-235.

  • BENSAUDE-VINCENT, Bernadette, « Un public pour la science : l'essor de la vulgarisation au XIX siècle ». Dans Réseaux, vol 11, n°58, 1993, L'information scientifique et technique, p.47-66.

  • CHAPERON, Danielle, Camille Flammarion. Entre astronomie et littérature, Paris, Imago, 1998, 201 p.

  • DE SMET, Elsa, Voir l’Espace : astronomie et science populaire illustrée (1840-1969), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2018, 364 p.

  • LE GRAND, Cyrille, « La/une cosmologie discrète du roman populaire », dans Dramaxes. De la fiction policière, fantastique et d’aventures, Fontenay-Saint-Cloud, ENS éditions, 1995, 414 p.


Comments


bottom of page