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De la peinture 2.0 en 1900 : l’Autochrome Lumière

Laurie C.


Premier procédé permettant de photographier directement en couleurs, la plaque autochrome des frères Auguste et Louis Lumière voit le jour à Monplaisir en 1903, dans le 8ème arrondissement de Lyon. Si celle-ci interpelle par ses images au charme 1900, elle peut être considérée comme l’ancêtre de nos images actuelles. Les autochromes, souvent rattachés au courant néo-impressionniste par leur surface tachetée, ont des qualités esthétiques qui rappellent celles de la peinture. Pourtant, n’est-ce pas paradoxal que ce médium de la modernité propose une vision ancienne sinon traditionaliste du début du XXe siècle ?


Mise en lumière du procédé Autochrome


La méthode de retranscription des couleurs naturelles fait l’objet d’une quête acharnée dès la mise au point de la photographie par Nicéphore Niepce en 1826. À partir des années 1860-1870, des chimistes comme Louis Ducos du Hauron (1837-1920) et Charles Cros (1842-1888) parviennent à réaliser indirectement des photographies en couleurs. La mise au point du procédé autochrome en 1903, et sa commercialisation en 1907 par les frères Lumière, marque l’aboutissement d'un demi-siècle de recherches en rendant ce procédé utilisable par tous.

La plaque autochrome est faite au moyen d’un ingrédient plutôt incongru : la fécule de pomme de terre, qui sera ensuite teintée en trois couleurs : rouge-orangé, bleu-violet et vert. La plaque de verre, support de cette technique, est dans un premier temps enduite d’un vernis sur lequel on appose de la poudre de charbon de bois destinée à combler les vides entre les grains de fécule. Ces grains de fécule colorés sont mélangés entre eux avant d’être disposés sur la plaque. Après être passée sous une presse de 7 tonnes, la plaque obtenue est prête à l’emploi et l’image qui sera produite pourra être admirée en transparence ou en projection.


Néo-pointillisme et autochrome


Basée sur la juxtaposition des touches de couleur sans mélange préalable sur la palette, la peinture néo-impressionniste est nourrie des théories de l’optique et de la couleur à la fin du XIXe siècle. Le chimiste français Michel-Eugène Chevreul établit dans La loi du contraste simultané des couleurs, en 1839, des principes concernant les effets de la juxtaposition des couleurs qui inspirent une génération d’artistes néo-impressionnistes comme Paul Signac ou Georges Seurat. Composé d’une multitude de points colorés juxtaposés (fig. 1), l’autochrome a en commun avec le peinture impressionniste la synthèse des couleurs par l’œil. Cette parenté est d’ailleurs affirmée dès la mise en circulation du procédé en 1907 : « L’épreuve faite sur plaque autochrome est une peinture pointilliste[1] ». Ainsi s’esquissent les liens étroits qui relient l’autochrome à la pratique artistique.


Fig. 1 : Fernand Arloing, Portrait de Renée et d'Alice Picard, entre 1907 et 1914, Bibliothèque Municipale de Lyon, [P0180, 01, A026], détail avec les grains de fécule

Focus sur … l’œuvre de Fernand Arloing


Après la dissolution de la Fondation Nationale de la Photographie[2] en 1993, dont l’objectif était de collecter et valoriser la photographie dans la province lyonnaise, la Bibliothèque Municipale de Lyon hérite des clichés en couleurs d’amateurs ayant pratiqué la photographie autochrome à Lyon. Parmi ce vaste ensemble de documents et de photographies, on découvre l’œuvre du médecin et professeur de médecine lyonnais Fernand Arloing (1876-1944).

Passionné de photographie depuis l’enfance, il réalise dans un cadre strictement familial et privé près de 3 000 clichés, de paysages de la région lyonnaise mais aussi de voyages en Tunisie, en Égypte ou en Suisse. Cependant, sa production se distingue tout particulièrement par les portraits qu’il réalise des membres de sa famille (fig. 2), dont ici sa femme, Alice Picard et la sœur de celle-ci, Renée Picard. Le style Fernand Arloing est reconnaissable par l’omniprésence de la lumière naturelle, mais aussi par les poses très marquées des personnages. La mise en scène apparaît centrale dans l’œuvre du photographe, qui fait poser ses sujets accompagnés de paniers, d’ombrelles ou de voilages dans des décors bucoliques. Marthe Leblond-Boutmy, nièce du photographe et donatrice du fonds, évoque les « longues séances de poses[3] » imposées par son oncle, alors qu’elle n’était qu’une petite fille.


Fig. 2 : Fernand Arloing, Portrait de Renée et d’Alice Picard, entre 1907 et 1914, autochrome 8 x 14 cm. Bibliothèque Municipale de Lyon [P0180, 01, A021]

Une famille à la pointe de la modernité


La vaste collection d’autochromes conservés à la Bibliothèque Municipale de Lyon permet de définir plus précisément le profil des utilisateurs de l’autochrome à partir de 1907. Ils sont tous industriels, passionnées de nouvelles technologies et de nouveaux loisirs comme la photographie ou le cyclotourisme, médecins ou professeurs à la Faculté de Médecine comme Fernand Arloing ou encore son ami Albert Morel (1875-1963).

Ces clichés peuvent témoigner de la modernité de cette famille. En effet, les dames portent les derniers modèles de robes à la mode, des tea gown ou robes de thé. Ces robes décontractées aux couleurs pastel, apparues au Royaume-Uni à la fin du XIXe siècle, sont portées à l’occasion de réceptions intimes, à l’intérieur ou au jardin. Autour de 1910, comble de la modernité, la taille remonte sous la poitrine à la manière des robes Empire faisant ainsi disparaître le corset.

La famille Arloing-Picard, modèle privilégié du photographe, est elle aussi férue de photographie, de musique mais aussi et surtout de peinture. Les informations manquent pour préciser les intentions de Fernand Arloing, mais la donatrice du fonds souligne, dans la documentation qu’elle a laissé à la Bibliothèque Municipale, que son oncle avait « un tempérament d’artiste, sensible à toute beauté car il ne laissait rien au hasard[4] ». Amateur éclairé, c’est dans cet environnement bourgeois et ouvert à la création artistique que Fernand Arloing réalise ses clichés.


Fernand Arloing : une œuvre photographique à rebours


Pourtant, si autour de 1910 le médium en lui-même est à la pointe de la modernité, le rendu plastique par l’effet des grains de fécule, demeure ancré dans un XIXe siècle néo-impressionniste (fig. 2). Quant au sujet, paisible et champêtre, il semble faire davantage écho aux toiles impressionnistes des années 1860-1870. En effet, le Portrait de Renée et d’Alice Picard (fig. 2) peut être interprété comme un renvoi aux célèbres toiles de Claude Monet figurant des femmes vêtues de robes blanches, munies d’ombrelles et de chapeaux se promenant dans un jardin (fig. 3). En effet, le jardin, public et privé, devient au cours du XIXe siècle un espace privilégié d’intimité mais également de réception. Lieu de promenade, de repos et de monstration, le XIXe siècle de Mary Cassatt et d’Emile Zola associe rapidement le jardin à un espace spécifiquement féminin, celui des nourrices, des épouses ou des jeunes filles. Le photographe représente le jardin en tant qu’univers féminin et floral dont les toiles de Berthe Morisot ou Pierre-Auguste Renoir ont souvent témoigné au siècle précédent.

Les figures féminines et printanières de Fernand Arloing, qui cueillent des fleurs et jouent avec leurs voilages évoquent également le thème d’un âge d’or. Ce thème, très présent au XIXe et au début du XXe siècle se retrouve en peinture notamment sous le pinceau de Pierre Puvis de Chavannes, dans Inter Artes et Naturam, entre 1890 et 1895 (fig. 4) ou de Maurice Denis dans L’âge d’Or entre 1911 et 1912 (fig. 5). Les autochromes de Fernand Arloing partagent avec ces peintures une omniprésence de lumière, mais aussi le thème de la cueillette, qui ici devient synonyme d’abondance puisqu’il s’agit de fleurs. Elément clé de la photographie, le jardin devient un éden terrestre, clos et abondant, qui forme un écrin autour des deux jeunes femmes.

Fernand Arloing puise dans le répertoire impressionniste un rendu plastique lumineux mais également un sujet qui évoque l’oisiveté heureuse de la femme bourgeoise, et met ainsi en scène le bonheur bourgeois du début du XXe siècle.

Dans l’œuvre de Fernand Arloing, ces références artistiques réunissent de manière paradoxale l’autochrome et sa vocation de médium de la modernité à l’héritage plastique du XIXe siècle. Ces images hybrides, associées à une forme de progrès en 1903 car vues comme le terme d’une longue quête technique, apparaissent à posteriori comme des images proustiennes, et « délicieusement rétro[5] ».


Fig. 3 : Claude Monet, Femmes au jardin, vers 1866, huile sur toile 25,5 x 20,5 cm. Paris, Musée d’Orsay © photo musée d'Orsay / rmn

Fig. 4 : Pierre Puvis de Chavannes, Inter Artes et Naturam, entre 1890 et 1895, huile sur toile, 40,3 x 113,7 cm., New-York, Met Museum © MET Museum

Fig. 5 : Maurice Denis, L’âge d’or, entre 1911 et 1912, Ensemble décoratif de sept toiles tendues sur panneaux, de 49 x 117 cm. à 570 x 205 cm, Musée départemental de l’Oise © MUDO – Musée de l’Oise / Jean-Louis Bouché

[1] Charles Fabry, « La photographie des couleurs », Marseille-revue photographique : organe officiel de la Société de photographie de Marseille, 1er août 1909, p. 115.


[2] La Fondation Nationale de la Photographie (1978-1993) était située à Lyon au 25, rue du Premier-Film dans l’actuel Institut Lumière.


[3] Lyon, Bibliothèque Municipale de la Part-Dieu, boîte 18 P0180, document dactylographié non coté.


[4] Idem.


[5] Lyon, Archives Municipales, J.R., « Un photographe lyonnais du premier quart du siècle », Le Progrès, 1er février 1979 (coupure de presse), [3C/304].


Tags : impressionnisme, 19ème, photographie, peinture, Lyon, autochrome

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