top of page
Photo du rédacteurCONTACT BLOGM2HDA

Jean Baptiste Carhaix - Un regard photographique critique et philosophique

Dernière mise à jour : 5 juin 2019

RAPHAELLE C.


Jean Baptiste Carhaix, artiste de 73 ans, pratique la photographie depuis l’enfance. Ses premières images ont été exposées dès les années 1980. Les deux thèmes principaux de sa création sont la critique et la dérision de la religion catholique, apostolique et romaine et l’approche humoristique de la mort. Son travail photographique présente à la fois des mises en scènes d’enfants, de femmes et de travestis. Il est représenté par la galerie lyonnaise Vrais Rêves [1] depuis 2004.



Un discours humoristique et philosophique sur la mort


Son premier sujet important fut de suivre les provocations politico-théâtrales d’un groupe d’activistes gays californiens anti-religieux : The Sisters of Perpetual Indulgence de San Francisco.


Fig. 1 : Jean Baptiste CARHAIX, Le Grand Sommeil, série photographique « The Sisters of Perpetual Indulgence », noir et blanc argentique, 40 x 50 cm. ou grand format 100 x 140 cm., 1989, © 2013 Jean - Baptiste Carhaix.

Dans la première décennie gagnée par le sida, il a photographié en reportage et ensuite mis en scène ce groupe de militants homosexuels radicaux habillés en nonnes de choc [2] qui milite contre l’intolérance religieuse, moralisatrice et destructrice. Ce mouvement militant international est organisé en « couvents » et le premier a été fondé le 15 avril 1979 à San Francisco [3]. Unies au sein de l'Ordre de la Perpétuelle Indulgence, ces associations utilisent l'image et « l'habit » des religieuses catholiques de façon festive et théâtralisée. Les membres militent contre l'homophobie, le sida, par l’accompagnement des malades et par de nombreuses actions de sensibilisation. Ils sont également organisées en faveur du droit à l’avortement. Ces personnages sont aussi auprès du public, des outils de communication faisant passer des messages de prévention sur les infections sexuellement transmissibles et le VIH [4]. Le Couvent de San Francisco, fondé le 15 avril 1979, est la première association à avoir organisé une soirée au profit de la lutte contre le sida et à avoir édité une brochure de prévention intitulée Play Fair [5].


La série photographique de Jean Baptiste Carhaix représente les premières années de lutte contre le sida entre 1982 et 1983. Connaissant les objectifs du photographe, les Sœurs acceptèrent de jouer leur mort en basculant en des poses extatiques sur les hauteurs de San Francisco. Dans la photographie Le Grand Sommeil, sept Sisters posaient au-dessus du Golden Gate, le brouillard s'élevant sous le célèbre pont : couchées, comme endormies, une d’entre elles ébauchant un bye-bye de son bras gauche. Trois des modèles étaient atteints par la maladie, mais ils ont accepté le projet [6].


La documentation de ces actions lui a permis de développer son autre approche photographique, celle de la mort. Le chagrin lié à la perte irrémédiable de certains amis et modèles et cette période de frustration créative a été pour lui très difficile. C’est en 1992-1993, pour faire le deuil de ses amis morts du sida, qu’il réalise Danses macabres, trophées et autres vanités, série en noir et blanc argentique dans laquelle il figure des variations de crânes et de squelettes.


Fig. 2 : Jean Baptiste CARHAIX, Cruci-Fiction, série photographique « Danses macabres, trophées et autres vanités », noir et blanc argentique, 40 x 50 cm., 1992 Copyright © 2013 Jean - Baptiste Carhaix.

Le photographe présente dans cette série des mises en scène d’objets inspirées par des œuvres d’art telles qu’une scène de Crucifixion. Dans l’atelier transformé en « scène noire de l’imaginaire » [7], il file le thème de la mort par l’installation de squelettes en équilibre dans des compositions dynamiques. Il livre ses personnages-squelettes à sa fantaisie avec autant plus de facilité qu’ils n’ont pas de nom. Cette série inaugure en quelque sorte un travail de deuil : le deuil de ses modèles emportés par le sida.

« Les titres empreints d'humour des photographies de cette série pointent le décalage avec les véritables restes humains, le détachement littéraire repoussant la Mort en s'en moquant ; alors qu'avec mes modèles vivants mais souvent malades, j'étais très émotionnellement impliqué et mes titres étaient autrement sérieux » [8].


Cette série en inaugura deux autres, des années plus tard. C’est en 2007 que le photographe propose une autre variante, Couleurs de la mort (2007-2015), dans laquelle il habille des crânes, les chapeaute et les masque mais cette fois en couleurs ; et Vanité de l'Enfance, enfants et Vanités (2009-2015), dans laquelle étaient photographiés des enfants entre 3 et 12 ans manipulant des restes humains. Il considère cette série davantage poétique qu'humoristique [9].


La série instaure des contrastes entre les jeunes visages, les postures, les gestuelles, les habits de princesses (Disney ou Barbie), de super-héros (Power Rangers, Spider Man), ou de squelette ambulant. Elle a fait l’objet de vives critiques. On lui a refusé des expositions sur cette thématique par la suite. Pourtant, les enfants qui ont posé pour lui se sont bien amusés et possèdent tous un grand tirage de leur portrait ! [10]



Sang pour Sang – Les crimes d’une religion : Un discours critique sur la religion


Lorsqu’il s’agit de la mort, le photographe nous délivre un message plutôt philosophique tandis que sur la dérision de la religion catholique apostolique et romaine, son discours est davantage critique. Toutes ses photographies expriment sa colère envers l’Eglise catholique.


Jean Baptiste Carhaix dit : « Je n’attaque pas la figure du Christ. J’attaque ce que l’Église vaticane a fait de son image au cours des siècles : Le sang du Christ a été dilué dans des océans de sang et de ces océans de sang ont émergé des montagnes d’or ! » [11]. Telle est la thématique de cette nouvelle série. Il traduit ces concepts esthétiquement et met des titres pour ancrer le message. Il ne veut pas que le spectateur se trompe sur le sens qu’il a donné à ses images, mais laisse tout de même une part d’interprétation possible. Cette série Sang pour Sang, les crimes d’une religion a débuté en 2013 et l’idée était d’interpréter 16 siècles de ‘crimes’ de l’Eglise catholique. Il s’agit de l’histoire de l’Eglise et de l’argent, et plus particulièrement de sang et d’or.


Fig. 3 : Jean Baptiste CARHAIX, Pape Jean-Paul II, série photographique « Sang pour Sang », couleur, 106x80 cm et 40x60 cm, 2013, Copyright © 2013 Jean - Baptiste Carhaix.

Une photographie figure par exemple une chasuble rouge et or avec deux mains ensanglantées. Carhaix coupe délibérément la tête du prêtre ou plutôt du prélat, tenant un préservatif ensanglanté – et non une hostie- qui dégouline dans un ciboire rempli de sang. Cette image fait référence aux paroles formulées par le pape Jean Paul II contre l’interdiction formelle de l’usage du préservatif dans la lutte contre le sida. Cette prise de position du pape, qui a été canonisé malgré le nombre de morts que l’on a constaté dans les pays émergents après cette prise de position, est pour lui scandaleuse. Un christianisme à l’écoute de l’humanité et qui dit aux gens qu’il faut attendre le mariage religieux pour avoir des relations sexuelles est pour lui impensable et contre-nature. Il se demande pourquoi ces autorités religieuses s’expriment sur la sexualité alors qu’ils ne sont pas censés en avoir [12].


Selon Aloïs Lenoir, agrégé et Docteur en philosophie : « Crue, satirique, dérangeante parfois, l’œuvre photographique de Jean-Baptiste Carhaix oppose à ses détracteurs avant tout un message d’humanité. Et il nous le dit avec des images, des symboles, des jeux d’ombre et de lumière, des drapés, du sang de pacotille et des préservatifs qui auraient eu ailleurs meilleur usage — qui auraient pu sauver une vie » [13].


Une forte réception critique


Bien que vivement critiquées par plusieurs communautés religieuses et jugées choquantes pour certains spectateurs [14], les photographies de Jean-Baptiste Carhaix sont exposées dans de nombreux lieux, dans des collections privées mais aussi publiques, depuis les années 1980. Pendant des années, les critiques portaient sur les livres d’or. A l’occasion d’une rétrospective de son travail sur les Sisters à la bibliothèque Municipale de Lyon Part-Dieu en 1995, on a pu lire « il faut brûler le photographe et ses modèles » [15]. A la bibliothèque municipale du 1er arrondissement, avant même que l’exposition sur le reportage des Sisters ne soit montée en 2012, des courriels au directeur général de la bibliothèque ont été envoyés pour faire interdire l’exposition en prétextant qu’un lieu républicain et laïc ne doit pas accepter de mettre sur les murs des images « cathophobes » [16]. Cette exposition a tout de même été maintenue et le vernissage fut encadré par la police. Le blog de l’observatoire de la christianophobie, à propos de l’exposition « Sang ou pour Sang » à la galerie Vrais Rêves, va jusqu’à dire de cette exposition qu’elle est « abominable » [17]. Ce que retient surtout le photographe c’est l’approbation qui montre un travail plutôt apprécié [18]. On en retire finalement un bilan positif de la réception de ses images et des messages qu’elles véhiculent.




[1] Galerie Vrais Rêves, Photographie contemporaine, Lyon, dernière mise à jour en 2019, http://www.vraisreves.com/, consulté le 6 février 2019.

[2] Jean Baptiste Carhaix, Agence ArtMix, créé en 2012, https://jean-baptiste-carhaix-photographie.fr/jean-baptiste-carhaix-photographie.fr/index.html, consulté le 6 février 2019.

[3] « Les sœurs de la Perpétuelle Indulgence » [archive], sur France Culture, 9 août 2012.

[6] Embaumements-com, histoire de l’embaumement et des embaumeurs, Jean Baptiste Carhaix - les vanités, avril 2016, http://embaumements.com/culture/jean-batiste-carhaix-vanites.html, consulté le 6 février 2019.

[7] Jean Baptiste Carhaix, Agence ArtMix, créé en 2012, https://jean-baptiste-carhaix-photographie.fr/jean-baptiste-carhaix-photographie.fr/index.html, consulté le 6 février 2019.

[8] Embaumements-com, histoire de l’embaumement et des embaumeurs, Jean Baptiste Carhaix - les vanités, avril 2016, http://embaumements.com/culture/jean-batiste-carhaix-vanites.html, consulté le 6 février 2019.

[9] Ibidem.

[10] Interview personnelle du photographe Jean Baptiste Carhaix le 24 avril 2018.

[11] Galerie Vrais Rêves, Photographie contemporaine, Lyon, dernière mise à jour en 2019, http://vraisreves.preprod.aceituna.fr/fr/photographes/jean-baptiste-carhaix/sang-pour-sang, consulté le 6 février 2019.

[12] Interview personnelle du photographe Jean Baptiste Carhaix le 24 avril 2018.

[13] Galerie Vrais Rêves, Photographie contemporaine, Lyon, dernière mise à jour en 2019, http://www.vraisreves.com/, consulté le 6 février 2019.

[14] Média-presse.info, Xavier Celtillos, "La haine antichrétienne de Jean Baptiste Carhaix s’expose à Lyon", créé le 6 mars 2015, dernière mise à jour en 2019, https://www.medias-presse.info/la-haine-antichretienne-de-jean-baptiste-carhaix-sexpose-a-lyon/27123/, consulté le 6 février 2019.

[15] Interview personnelle du photographe Jean Baptiste Carhaix le 24 avril 2018.

[16] Ibidem.

[17] L’observatoire de la christianophobie, Daniel Hamiche, "Une exposition abominable", dernière mise à jour en 2018, https://www.christianophobie.fr/la-une/lyon-une-exposition-abominable, consulté le 6 février 2019.

[18] Interview personnelle du photographe Jean Baptiste Carhaix le 24 avril 2018.



Tags : Photographie/ mise en scène/ portrait/ contestation/ dérision/ mort/ religion/ Lyon/ San Francisco, Carhaix

37 vues0 commentaire

Comments


bottom of page