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Gottfried Lindauer et la décolonisation du regard

Manon Z.



Gottfried Lindauer (1839-1926) fait de son œuvre, marquée par le développement de l’anthropologie et le colonialisme, un engagement esthétique à contre-courant d’une pensée dominante. Sa formation initiale à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, lui permet d’atteindre une maîtrise parfaite de la peinture à l’huile. Il délaisse les scènes religieuses pour se concentrer sur le genre du portrait. Il quitte l’ancienne République-Tchèque pour la Nouvelle-Zélande en 1874 et incarne la figure de l’artiste-explorateur. Dès son arrivée, il rencontre d’éminents commanditaires qui l’introduisent auprès de chefs Maoris, qui deviendront ses modèles.



L’engagement artistique


Le développement de la photographie, importée dans le Pacifique en 1840, permet aux Occidentaux de capturer un souvenir de l’expérience Maorie. Diffusées dans les journaux ou à l’occasion des expositions universelles, la multiplication des images, nourrit l’idéologie de l’opinion publique coloniale. En communiquant sur les différences culturelles, les publications participent à l’influence hégémonique des Européens sur les autochtones. Ces sources alimentent l’archétype du sauvage pacifique et la figure patriarcale du colon venu relever ce peuple.


Gottfried Lindauer se détache des travaux de ses contemporains pour dépeindre une vision plus objective des Maoris qu’il côtoie. Son processus artistique participe à la connaissance d’une culture traditionnelle et à sa diffusion.



Le portrait


À travers le genre du portrait, l’artiste s’attache à rendre une image sociale de l’individu. Il traite ses sujets dignement et sans distinctions, en respectant une méthodologie stricte. Son processus de travail commence par la prise de portraits photographiques de ses modèles. Cette étape diminue considérablement les temps de pose des modèles et permet à l’artiste de fixer ses repères, avant de les transposer en peinture. Chaque œuvre est accompagnée d’un travail de recherches sur la personne qu’il représente et sur le rôle social qu’elle joue.


À l’origine de commandes, ses tableaux revêtent un caractère communautaire. Qu’il s’agisse d’un portrait individuel ou d’un portrait de groupe, Gottfried Lindauer participe à une forme de revendication identitaire. Cette démarche repose sur un travail documentaire, fondé sur l’observation de cérémonies privées, auxquelles les Maoris l’initient.

Le peintre réactive le lien spirituel qui unit ses modèles à leurs ancêtres en invoquant le mana, énergie spirituelle de la nature, transmise par les anciens. Gottfried Lindauer accorde un soin particulier à dépeindre, en détail, les habits traditionnels et les attributs Maoris (Fig.1), comme le pendentif hei tiki (un pendentif en jade en os ou en pierre en forme de petit être humain, au repos), le cloak (une cape) ou le moko (un tatouage facial).



📷 Fig.1 – Gottfried LINDAUER, Ana Rupene and child, huile sur toile,814 x 690 x 75 mm., 1878, Auckland Art Gallery Toi o Tāmaki, gift of Mr H E Partridge, 1915. © Auckland Art Gallery Toi o Tāmaki.


Les portraits peints par l’artiste se différencient du flot d’images qui circulent et qui exploitent la figure exotique, primitive, guerrière et sensuelle des autochtones. Invité lors de processions Maories, le peintre noue une certaine proximité avec ses modèles. Cette initiation lui permet de s’affranchir des stéréotypes popularisés par ses confrères venus d’Europe, comme l’artiste anglais Georges French Angas (1822-1886) par exemple.



La valeur documentaire


Gottfried Lindauer entretient des relations de confiance avec les détenteurs de la culture Maorie. L’artiste-peintre rend compte de ses considérations altruistes, dans un échange épistolaire entrepris avec le musée d’ethnographie de Prague, géré par ses anciens professeurs Vojtech et Josefa Napestek. La justesse de ses dessins et la précision de ses annotations contribuent à la construction d’un savoir ethnographique de la culture Maorie. Ces liens privilégiés lui permettent de réaliser des œuvres inédites, notamment un moulage du tatouage facial de Te Manewha (Fig.2), un chef maori guerrier ; figure emblématique, qui arbore « un tatouage facial complet, pérennisant ainsi sa position d’individu et de descendant de Raukawa, l’ancêtre fondateur de la tribu[1] ».


📷Fig.2 – Gottfried LINDAUER, Masque de vie de Wiremu Te Manewha période Te Huringa 1, plâtre et peinture, 230 x 160 mm., vers 1885, Musée du Quai Branly. © Photographie de Jean-Pierre Dalbéra prise le 5 octobre 2011.

Selon Ngaharika Mason, commissaire de l’exposition Gottfried Lindauer’s New Zealand : « La description de Lindauer du processus complet de rangi paruhi (tatouage corporel) justifie une connaissance détaillée qui nécessitait une interaction avec un tohunga (un sage).[2]» (Fig.3).



📷Fig.3 – Gottfried LINDAUER, Tawhiao Matutaera Potatau Te Wherowhero, huile sur toile, 1023 x 847 x 55 mm., 1882, Auckland Art Gallery Toi o Tāmaki, gift of Mr H E Partridge, 1915. © Auckland Art Gallery Toi o Tāmaki.



La réception


Gottfried Lindauer connaît de son vivant une reconnaissance immédiate. Cette légitimation est permise par ses commanditaires qui lui prêtent des lieux pour exposer. Parmi eux, Henry Edward Partridge (1848-1931) met à sa disposition un local, qui deviendra sa galerie à Auckland. Gottfried Lindauer bénéficie d’un public varié, qui se compose aussi bien de Pakehas (Blancs non-Maoris d’origine anglo-saxonne ou européenne), que de Maoris. Les commentaires laissés par les visiteurs, dans le livre d’or de la galerie sont unanimes : Lindauer est un grand artiste ! Le 24 juin 1901, Hemana Te Pokiha exprime sa gratitude auprès de Gottfried Lindauer: « I am from Te Arawa. It is amazing for me seeing the images of important people who have now passed on. For this, I am ever so thankful to the artist who painted these excellent images, may God bless him for the wonderful work. »[3].

Nombreux sont les spectateurs qui viennent se recueillir devant les portraits de leurs ancêtres, maintenus en vie grâce aux coups de pinceau du maître. Ils relèvent également la faculté de l’artiste à rendre compte d’une culture qui n’est pas la sienne et l’intérêt éducatif que rend son analyse documentaire.



L’exposition


« Gottfried Lindauer’s New Zealand », la récente exposition itinérante initialement organisée à la galerie Toi O Tamaki de la ville d’Auckland en 2016, conforte la portée contemporaine du travail de l’artiste. Conçue autour du don de la collection Partridge en 1915, cette rétrospective met en lumière l’audace d’un artiste qui se positionne à rebours de ses contemporains. Réfléchie en concertation avec des Maoris, cette présentation propose une réactivation d’un regard sur l’altérité. La multiplication des recherches au sujet de Gottfried Lindauer, montre le réel intérêt que suscite son travail, dans des domaines variés. Le développement d’associations et d’événements autour de l’artiste dans le monde, participent aussi à la visibilité de son œuvre au XXIe siècle[4].

Gottfried Lindauer reste fidèle à la peinture, qui perd ses lettres de noblesses au XIXe siècle, avec l’arrivée de la photographie, sans pour autant la rejeter. Il saisit l’intérêt de la photographie, comme pour relever l’empreinte du réel et faciliter son processus créatif. De récentes études menées, sur plusieurs tableaux, ont apporté la preuve de l’utilisation de la photographie comme médium d’un support pictural[5]. Cet élément complète la théorie d’un souci apporté au détail, pour se conformer le plus possible au réel.

Sa démarche artistique et sa méthodologie contribuent à un savoir ethnologique de la culture Maorie. Alors que la majorité de ses contemporains dépeignent l’influence d’une domination culturelle, empreinte d’exotisme, lui s’attache à rester objectif dans la représentation de l’altérité. Pour éviter les faux pas, il documente son travail de la manière la plus complète et inscrit, dès lors, son œuvre au sein d’un discours scientifique, légitimé d’une part par son entrée dans une infrastructure muséale et d’autre part, par la réception qu’il connaît de son vivant par la communauté Maorie.



Pour plus d’information sur l’exposition, consultation du site de la galerie Toi O Tamaki d’Aukland :



Pour plus de détails sur l’artiste et son œuvre, consultation du site partenaire de la galerie :



[1] Huhana Smith, Maori – Leurs trésors ont une âme, Paris, Musée du quai Branly et Somogy éditions d’art, 2011. (p.47)


[2] Mason Ngahiraka et Stranhope Zara, Gottfried Lindauer’s New Zealand : The Maori Portraits, Auckland University Press, Auckland Art Gallery Toi o Tamaki, 2017, p.19.


[3] Pukapuka Manuhiri, Livre d’or de la Lindauer Art Galery (1901-1918) mis en ligne : http://www.lindaueronline.co.nz/visitors-book (consulté le 29/12/2018).


[4] L’Association des Amis de Gottfried Lindauer et la réplique du studio de l’artiste à Woodville. https://www.gottfried-lindauer.co.nz/ (consulté le 03/02/2019).


[5] Damen Joe et Ute Larsen examinent l’un des portraits de Gottfried Lindauer pour trouver des traces d’argent dans la composition, Galerie d’Auckland, 2017. http://www.lindaueronline.co.nz/artist/merging-techniques-%E2%80%93-new-research-into-lindauer%E2%80%99s-use-of-photographs (consulté le 29/11/2018).

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