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Schiele VS Basquiat : une comparaison justifiée ?

Anastasia K.

Les expositions parallèles d’Egon Schiele (1890-1918) et de Jean-Michel Basquiat (1960-1988) à la Fondation Louis Vuitton (3 octobre 2018-14 janvier 2019) semblent vouloir comparer les parcours des deux artistes. Le caractère avant-gardiste de leurs œuvres, la jeunesse et une mort précoce constituent les points communs entre eux. Pourtant, les époques et les continents qui les séparent, le contexte dans lequel ils ont travaillé ainsi que le choix de répartir les expositions dans des salles différentes et de leur consacrer des catalogues à part entière mettent en doute cette synergie[1].


Deux jeunes voyous


Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat sont tous les deux artistes voyous qui, sans doute, visaient à scandaliser leur public. L’art d'Egon Schiele a pu être interprété comme voyeuriste, car il traite de la sexualité et de la mort en exposant des aspects très intimes. En revanche, l’œuvre de Basquiat est un cri et un appel enragés dénonçant les contrastes les plus aigus de la société, non dans la sphère de l’intime mais à même les murs de la ville. En outre, Schiele et Basquiat sont tous deux marqués par l’influence de deux maîtres émérites de scandale – respectivement Gustav Klimt et Andy Warhol. Enfin, les deux artistes sont extrêmement productifs : l’œuvre de Schiele compte autour de 300 tableaux et quelques milliers de dessins, celui de Basquiat compte autour de 600 tableaux et 1500 dessins -, et cela en très peu de temps : Schiele comme Basquiat sont morts avant 30 ans.

Tous ces points de comparaisons sont mis en valeur dans les expositions et dans le propos des commissaires (qui sont les mêmes pour les deux expositions)[2]. Les parallèles ne sont ainsi pas difficiles à trouver, surtout si on suit la logique du parcours selon la scénographie proposée. Cependant, une fois la visite achevée, un sentiment confus demeure. Si la juxtaposition de Schiele et Basquiat met en relief les ressemblances qui relèvent du plan rationnel, la sensibilité explorée dans les deux parcours apparaît tout à fait différente.


L’univers du sensible de Schiele

Figure 1. Egon Schiele, Nu Féminin debout au tissu bleu, 1914, gouache, aquarelle et graphite sur papier vélin, 48,3 x 32, 2 cm., Germanisches National Museum, Nuremberg © Germanisches NationalMuseum, Nürnberg

Les œuvres de Schiele sont exposées dans les salles avec une lumière diffuse, qui favorise un dialogue intime entre les œuvres et les spectateurs. La taille des dessins donne envie de se rapprocher des œuvres pour mieux voir les détails, et le fait que cette envie soit partagée par dix personnes simultanément, ne rompt pas le lien avec l’œuvre. Les œuvres, scandaleuses pour l’époque - qui mettait les nus de Schiele au même plan que la pornographie à notre époque - ne prennent plus au dépourvu et ne créent pas de répulsion face à une prétendue obscénité. Au contraire, l’ambiance des premières salles consacrées à Schiele plonge le visiteur dans une atmosphère douce, même apaisante pour une découverte progressive de la force de ses œuvres.


La rage sociale de Basquiat


Figure 2 Jean-Michel Basquiat, Irony of a Negro Policeman, 1981, Acrylique, crayon gras sur bois 183 x 122 cm., Collection AMA © Courtesy of AMA Collection

L’œuvre de Basquiat, même placée au musée, garde son esprit d’art de la rue. Cette fois, le spectateur se trouve tout petit face aux couleurs criantes, aux coups de pinceau volumineux qui couvrent les tableaux monumentaux d’environ 3 mètres. Elles n’invitent pas à un dialogue, mais appellent à une réaction émotionnelle immédiate. Les peintures de Basquiat ne visent pas les pensées cachées du fond de la conscience, mais cherchent à arracher un feu d’artifice composé de joie et de rage, de confusion et de rire, de fierté et de honte. Pour cette raison, les locaux d’un musée, même aussi grands que ceux de la FLV, sont contraignants pour ces œuvres.


Une remise en doute ou une mise en confusion ?


Le fait que les expositions présentent un grand nombre d’œuvres des deux artistes est sans doute un avantage. Cependant, cela pose la question de mise en parallèle de ces deux expositions indépendantes, (du moins sur le plan temporel). La plongée dans l’univers de chacun des artistes est si complète et autosuffisante qu’elle ne laisse pas de blanc pour une mise en comparaison. En revanche, le fait que deux expositions autonomes soient mises en parallèle crée le sentiment d’une frustration, comme si le visiteur devait comprendre quelque chose de plus.

Ainsi, la confusion de deux approches opposées, celle de la création artistique et celle du travail des commissaires, laisse le visiteur hésitant : ce parcours parallèle met-il en valeur un des peintres ? Révèle-t-il un élément qui aiderait à apprécier les deux artistes sous un angle nouveau ? Reste à comprendre si une telle exposition parallèle met à l’épreuve l’esprit analytique du visiteur plus qu’elle ne rend ses impressions confuses.

[1] S. PAGÉ affirme ainsi : « D’un bout à l’autre, deux météores explosés en plein vol, partagent la même précocité, un rythme toujours effréné et une énorme productivité où le corps est le lieu d’exacerbation d’une sensibilité à vif, dite par un dessin pratiqué de façon obsessionnelle » dans D. Buchhart (dir.), J. Clair, A. Comini et J. Kallir, Egon Schiele, Catalogue d’exposition (Paris, 3 octobre 2018 au 14 janvier 2019). Paris, Fondation Louis Vitton, Paris, Gallimard, 2018, p. 4.


[2] Les commissaires sont Suzanne Pagé, Dieter Bichhart, Olivier Michelon.

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