top of page
Photo du rédacteurCONTACT BLOGM2HDA

L’artiste (in)saisissable

Dernière mise à jour : 4 avr. 2019

Larissa Guzmán García.


Mexican (IN) documentado est la première exposition rétrospective dédiée à l’artiste de performance Guillermo Gómez-Peña (né en 1955) au Musée d’Art Moderne de la ville de Mexico (MAM) du 30 novembre 2017 au 22 avril 2018. L’exposition retraçait la longue carrière de cette personnalité protéiforme autour de 150 pièces : photographies, objets d’art, vidéos et installations de spectacle vivant.

Un artiste au-delà des territoires.


Un des premiers dispositifs de l’exposition montre plusieurs documents d’identité de l’artiste, dont le nom est traduit en spanglish :

« Guiliermou », « Comes-Pinus or Piña », « Yiguermo », « Guermo ». Apparaissent son passeport tamponné, témoignage de nombreux voyages entre le Mexique et les États-Unis ainsi qu’une carte de journaliste… Qui est Guillermo Gómez-Peña ? Quelle est sa pratique artistique ? Est-ce possible de saisir dans un musée cette mosaïque d´identités ? (Fig. 1)


Fig. 1, Larissa Guzmán García, MEXICAN (IN) DOCUMENTADO, photographie de l’entrée de l’exposition 2018, Musée d’Art Moderne ville de Mexico, © Auteur.


Guillermo Gómez-Peña est un artiste mexicain-américain, activiste, humaniste, performeur, linguiste expérimental, pédagogue, journaliste radical et directeur du laboratoire conceptuel La Pocha Nostra. À travers ses performances, l’artiste traduit les tensions politiques de l’espace frontalier et les représentations imaginaires de l’Autre. Les performances de l’artiste sont inspirées de sa propre expérience de migrant. Bien qu’il ait travaillé dans le monde entier, en 30 ans de carrière il a principalement développé son travail au Mexique et aux États-Unis. Artiste mexicain, il a déménagé aux États-Unis en 1978. Cet évènement personnel lui permet de concevoir le sens de son art : vivre entre deux pays, deux identités. Dans les années 80, il travaille autour de la frontière, non seulement en tant que thème, mais aussi en tant qu’espace physique.



Ses interventions artistiques dessinent la première image de l’artiste, l’étrange étranger[1]. Ainsi, il met en avant l’assimilation du processus de l’étrange comme mode opératoire de la performance. (Fig. 2) Gómez-Peña est l’artiste des interstices, d’une faille entre une perception racialisée et une perception non racialisée, entre l’art académique et l’art alternatif, entre le familier et l’étranger. Il est plutôt ‘l’étranger impossible’, car il ne veut pas renoncer à sa condition étrangère.


Un processus de chicanisation [2]


Très tôt (1984), il participe à la fondation d’un groupe d’artiste frontaliers, The Border Arts Workshop/Taller de Arte Fronterizo (BAW7/TAF)[3], un collectif binational qui, pour la première fois, regroupait des artistes mexicains, chicanos (mexicains qui vivent aux États-Unis) et anglo-saxons. Ce groupe, dissous en 1997, se définissait comme « un laboratoire pour l’expression sociale et esthétique »[4] de la région frontalière. En 1995, Gómez-Peña fonde La Pocha Nostra, une association transdisciplinaire d’art, établie à San Francisco et reliée à des « groupes associés » qui regroupe de nombreuses villes, pays et ethnies (http://www.pochanostra.com). (Fig. 3)


Fig. 3, Zach Gross, Divino Corpo, (Guillermo Gómez – Peña, Violeta Luna et Roberto Sifuentes, La Pocha Nostra), Photographie, 2009, © CONACULTA.

Gómez-Peña incarne la matérialisation des frontières à travers son travail artistique, dans tous les sens du terme : identitaires, territoriales, politiques et imaginaires. Il s’appuie sur son expérience où, dans le contexte des États-Unis, il incarne la figure de l’étranger qui fascine tout autant qu’il repousse, le mexicain l’apatride ; un monstre moderne. (https://vimeo.com/245046269)

Migrant par « conviction »[5], il a développé ses personnages hybrides : « el Border Brujo », « Mad Mex », « Mexterminator », dans des spectacles et des images qui sont parfois grossiers, des stéréotypes exagérés qui ont pour but de provoquer le spectateur. Dans ses installations il met en valeur cette étrangeté et la construction de l’altérité. Il ne cherche pas à plaire, plutôt à poser des questions, à faire réfléchir. Dans l’exposition rétrospective de Mexico, l’artiste invitait le public à participer à trois de ses installations vivantes : « Le couple dans la cage », « La cruci-fiction » (Fig. 4), « Comment aimerais-tu qu’on se souvienne de toi ? ».


Fig. 4, Guillermo Gómez-Peña, Cruci-fiction, Performance, plage Rodeo, Californie,1994, © CONACULTA.

Dans cette dernière installation, un cercueil est mis à disposition du public, avec des costumes et différents accessoires. Le spectateur est invité à participer : entrer dans le cercueil, s’asseoir, s’allonger, méditer, rigoler, prendre un selfie ou simplement se reposer. Est-ce que ce sera le cercueil dont il fera sa dernière demeure ? En tout cas, essayer est une expérience… sui generis ! (Fig. 5)


Fig. 5, Larissa Guzmán García, « Comment aimerais-tu qu’on se souvienne de toi ?» Installation Musée d’Art Moderne ville de Mexico, 2018, © Auteur.

Une exposition performative


Guillermo Gómez-Peña avoue qu’il est un artiste nomade guidé « par son ADN »[6], qu’il souffre constamment d’indécision en parcourant divers médiums qui vont de la performance à la photographie.

« Mon passeport pour rentrer dans le pays où je souhaiterais vivre, un pays de tolérance, c’est mon art. Ceci est un art vivant, un art mourant, j’aimerais que le public qui visite l’exposition trouve à la fin mon cercueil pour établir un dialogue »[7]


Durant le vernissage, Guillermo Gómez Peña et des membres de La Pocha Nostra ont discuté avec le public autour du cercueil de l’artiste. (Fig. 6)


Fig. 6, Musée d’Art Moderne, Guillermo Gómez-Peña, Vernissage de l’exposition MEXICAN (IN) DOCUMENTADO ville de Mexico, Photographie, 2018, © CONACULTA.

Les deux ans de collaboration entre la curatrice Janice Alva et l’équipe de travail de l’artiste pour la conception de cette exposition sont une belle réussite. À travers ce parcours chronologique, des vidéos, photos et documents le désir de l’artiste de montrer son imaginaire subversif et irrévérencieux, est accompli.

Je trouve l’initiative du Musée d’art Moderne de la ville Mexico, MAM de présenter le travail d’un artiste de la performance, contemporain, vivant et peu connu, un bon choix. Ce choix montre une autre face de l’art contemporain mexicain, au-delà des grands classiques Siqueiros, Rivera, Orozco ou des très célèbres surréalistes Leonora Carrington, Frida Kahlo, Remedios Varo, connus par tous et partout et devenus des clichés de l’art contemporain au Mexique. Gómez-Peña est loin d’avoir ce statut institutionnalisé qui ouvre les portes des musées, non pas seulement par la forme mais aussi par le contenu de son œuvre : marges, genres, identités. Néanmoins, il n’est pas possible de saisir en une exposition un artiste contestataire comme Gómez-Peña qui développe la plupart de ses pratiques à travers la performance. Mais, grâce à cette rétrospective, les frontières sont ouvertes, et elle donnait l´envie de les traverser et de connaître davantage son travail.



[1] Xavier Lemoine, « “Gómez-Peña : multiplication des frontières, mosaïque des identités.” », Coup de théâtre, Etrange, étranger, no 21, décembre 2006, p.111‑23.

[2] Guillermo Gómez-Peña, conférence du vernissage, Mexican (IN) Documentado, MAM 28 septembre 2017, témoignage oral. https://www.gob.mx/cultura/prensa/guillermo-gomez-pena-toma-por-asalto-el-mam-con-su-ataque-pocho-chicano-y-migrante?idiom=es-MX.

[3] MAM, Guillermo Gómez-Peña, MEXICAN (IN) DOCUMENTADO, Ville de Mexico, 2017, CONACULTA.

[4] MAM, Guillermo Gómez-Peña, MEXICAN (IN) DOCUMENTADO, Ville de Mexico, 2017, CONACULTA.

[5] Guillermo Gómez-Peña, conférence du vernissage, Mexican (IN) Documentado,28 septembre 2017, témoignage oral, MAM. https://www.gob.mx/cultura/prensa/guillermo-gomez-pena-toma-por-asalto-el-mam-con-su-ataque-pocho-chicano-y-migrante?idiom=es-MX.

[6] Ibidem.

[7] Ibidem.


Référencements : Gómez-Peña – Performance – identité – frontières – altérité – genre – postmodernisme – postcolonialisme - Mexique

22 vues0 commentaire

Comments


bottom of page