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La maison des femmes : prison, refuge ou espace de création ?

Dernière mise à jour : 28 mars 2019

Célia S.


Du 20 octobre 2017 au 28 janvier 2018 l’exposition Women House est présentée à la Monnaie de Paris dans une volonté de questionner un genre – le féminin – en regard d’un espace défini – le domestique. La réflexion menée par les commissaires lors de cette exposition nous invite à une relecture critique d’autres artistes femmes non exposées, ayant érigé l’activité domestique comme acte de création et d’émancipation sociale.




Women House, aux antipodes de la vision traditionnelle de la femme

Placée sous le commissariat de Camille Morineau et Lucia Pesapane, Women House explore l’espace domestique, la maison ou encore le foyer du point de vue spécifique de l’expérience féminine. Longtemps associé à la fabrication d’un idéal féminin auquel les femmes blanches de la classe moyenne américaine sont appelées à s’identifier, l’espace domestique est encore régulièrement synonyme d’isolement, d’enfermement voire de prison. Or, dans le contexte d’un féminisme naissant dès le début des années 1970, de nombreuses artistes femmes ne considèrent plus le patriarcat comme une « fatalité » et œuvrent à l’émancipation des structures de dépendance au travers de leur art. Il s’agit dès lors de repenser la maison pour sortir de cette dynamique d’oppression, et de transformer une fatalité en projet de création artistique. La femme au foyer est morte, vive la femme artiste !


Depuis les Dollhouses de Miriam Schapiro, jusqu’aux Nana-Maisons de Niki de Saint Phalle en passant par les Spidersde Louise Bourgeois, l’exposition compte parmi les plus grands noms de la scène artistique féministe de la seconde moitié du XXe siècle. Et si nous remontions le temps, ne serait-il pas possible de relire l’œuvre de certaines artistes femmes à travers le prisme de l’émancipation ?



Leonora Carrington et Remedios Varo, deux artistes dans le prolongement de l’exposition Women House


Si l’on considère l’espace domestique comme source d’inspiration et de création artistique, les œuvres de Leonora Carrington (1917-2011) et de Remedios Varo (1908-1963) semblent paradigmatiques. Longtemps oubliées de l’historiographie surréaliste, ces deux femmes proches d’André Breton et de Max Ernst comptent parmi les Surréalistes exilés en terre mexicaine après la Seconde Guerre Mondiale. Mais, loin de se cantonner au simple rôle de «femme-muse», source de l’inspiration créatrice du génie masculin, si chère aux Surréalistes, Leonora Carrington et Remedios Varo s’affirment rapidement en tant qu’artistes à part entière, maîtresses en leur royaume : la maison.


De l’échelle intime à la sphère publique, ces artistes donnent à voir, par le biais de leurs œuvres, un espace qui leur est traditionnellement réservé, en se le réappropriant. Le foyer apparaît donc comme un espace ritualisé qui condense et contient en germes les revendications des artistes de la génération suivante. Loin d’être un espace dévalorisé associé à une féminité soumise et passive, la maison, et plus particulièrement la cuisine, se transforme en lieu privilégié de la haute magie. Susan L. Aberth parle ainsi de «cuisine alchimique» pour qualifier cet espace d’échange et d’expérimentations «philosophico-artistico-ésotériques»[1], crucial dans les recherches artistiques des deux femmes.


Leonora, CARRINGTON, The House Opposite (La Maison d’en Face), 1945 Détrempe sur panneau de bois, 33x82 cm., Collège West Dean, Fondation Edward James © Courtoisie de la galerie Pallant House

Il n’est donc pas étonnant de le retrouver comme thématique centrale dans plusieurs de leurs œuvres. Le tableau de Leonora Carrington The House Opposite (La Maison d’en Face) de 1945 présente ainsi un intérieur domestique entièrement conditionné par la cérémonie de sorcellerie qui s’y déroule. L’œuvre peut être interprétée comme un détournement de la maison de poupée où la femme n’est plus une «femme-objet» prise au piège, d’une pièce à l’autre de la maison, des fantasmes et représentations de genre. Au contraire, elle se fait actrice, maîtresse des lieux grâce à la revendication de ses pouvoirs créateurs. De la même manière, dans Papilla Estelar (Bouillie Céleste) de 1958, Remedios Varo interroge le principe de création par le biais d’une mise en abyme de la maternité. On y voit une femme broyant de la poussière d’étoile dans un étrange alambic afin de nourrir une petite lune maintenue en cage. Comme le souligne Gloria Orenstein, si cette femme semble évoquer la représentation traditionnelle de la ménagère, à un niveau ésotérique, «elle nourrit les pouvoirs cosmiques liés à la lune et au principe féminin de création»[2].



Remedios, VARO, Papilla Estelar (Bouillie Célèste), 1958 Huile sur masonite, 91,4 x 61 cm., Collection FEMSA, Monterrey, Mexico © Artnet

Ces deux œuvres – parmi tant d’autres – soulignent donc bien la récurrence de l’espace domestique dans les œuvres de nombreuses artistes femmes, et ce, dès les années 1940. Ainsi, l’exposition Women House aura eu le mérite de questionner la signification réelle de cet espace et d’inviter à une relecture critique d’artistes que l’on pourrait considérer comme «pionnières» des mouvements féministes artistiques des années 1970, grâce à leur réappropriation du foyer comme lieu performatif d’émancipation. En espérant que cela ouvre la voie et permette la redécouverte d’autres femmes encore tapies dans l’ombre du foyer…



[1]Susan L. ABERTH, Leonora Carrington: Surrealism, Alchemy and Art,Lund Humphries, Farnham, 2010, p. 67.

[2]Gloria ORENSTEIN, « Dans le terrier, initiation chamanique et renaissance mythique » in Au pays des Merveilles : les aventures surréalistes des femmes artistes au Mexique et aux Etats-Unis, Prestel, Munich, 2012, p. 177.




Tags: Féminisme, Monnaie de Paris, Exposition, Leonora Carrington, Remedios Varo, foyer, peinture, art, Mexique, femme.

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