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Lady Skollie répond aux violences sexuelles en Afrique du Sud

Dernière mise à jour : 28 mars 2019

Par Estelle Brousse[1]


Brûler l’Afrique du Sud pour aboutir à un renouveau : voilà le propos de Laura Windvogel, alias Lady Skollie (qui signifie « madame ‘délibérément briseuse de règles’ ») lorsqu’elle réalise son exposition Fire with Fire au cours de la FNB Johannesburg Art Fair avec la Tyburn Gallery du 8 au 10 septembre 2017. Au cours de l’entretien que j’ai pu réaliser avec elle en juin 2018, dans son studio au cœur de Johannesburg, elle déclara à propos de cette manifestation : « C’est ma réalisation favorite dans tout ce que j’ai pu faire »[2].


Dénoncer et peindre l’horreur du quotidien


Dans sa présentation de l’exposition, Lady Skollie commence fort : « Ceci est mon opportunité pour une catharsis collective : ‘Fire with Fire’ »[3]. Elle réclame ainsi une purification qui s’opérerait par le feu et qui redonnerait du pouvoir aux Sud-Africaines. Son travail propose un syncrétisme entre mythologie grecque, peinture rupestre des grottes khoisan[4] et imagerie chrétienne. Les œuvres de Lady Skollie sont identifiables par l’usage de fruits (bananes, pêches, pommes…), investis d’une connotation éminemment sexuelle. La virulence des propos de l’artiste, son rapport à la destruction viennent d’un sentiment de dégoût envers la culture du viol qui ronge la société sud-africaine[5]. Ce fléau est notamment analysé par l’universitaire Pumla Dineo Gqola qui dénonce avec véhémence une « industrie de la peur féminine »[6] (« a female fear factory »).


En prenant pour preuve les faits divers de son pays au sujet du viol, Lady Skollie illustre un quotidien dangereux. L’œuvre Cleo and Octavia: Found with heads buried in sand so unfortunately, they can’t see you all begging for forgiveness (Fig. 1) est une création de dernière minute.


Fig. 1 Lady, SKOLLIE, Cleo and Octavia: Found with heads buried in sand so unfortunately, they can’t see you all begging for forgiveness, encre et crayon sur Fabriano, 150 x 145 cm., 2017 © Tyburn Gallery / Lady Skollie.


L’artiste me confie que la galerie qui la promeut lui expliqua qu’au moment du montage de l’exposition, un pan de mur restant vacant, il fallait ajouter une œuvre. Ce jour là, elle découvre stupéfaite dans les actualités, l’histoire du sort cruel d’une mère, Octavia, et de sa fille, Cleo, dont les têtes ont été ensevelies dans le sable, le corps laissé en dehors (Octavia brulée et Cléo la gorge tranchée). Si l’on traduit le titre de l’œuvre, il est criant de vérité et de rudesse : « Cleo et Octavia : trouvées avec leur têtes enterrées dans du sable, elles ne peuvent malheureusement pas tous vous voir implorer le pardon ». De manière systématique, en développant les titres, Lady Skollie souhaite éviter les interprétations sur le sens de son Œuvre et la rendre plus claire et didactique. Quant au visuel, l’artiste explique qu’il était assez frappant de voir le public admirer l’œuvre de loin, puis à l’approche celle-ci et à la lecture de son titre, le malaise prenait le dessus. Pour ce travail, elle a repris des visuels de peintures murales khoisan : on voit une masse de personnages masculins au sexe en érection prenant part à un gigantesque feu au centre duquel, sans tête, reposent les deux femmes. Lady Skollie m’explique le propos de cette exposition : « détruire, pour nettoyer, donc pour se venger, pour faire table rase »[7].


Condamner la Bible et Ovide


Cette exposition est également un moyen pour l’artiste de mettre au défi l’histoire de l’art occidentale, et notamment ses thèmes les plus récurrents. C’est pourquoi Lady Skollie s’attaque à la Bible. Le thème du Péché Originel prend une place importante dans l’exposition.


Fig. 2 Lady, SKOLLIE, First Bite: She didn’t give him the apple : she didn’t wanna share the knowledge, encre et crayon sur Fabriano, 200 x 150 cm., 2017 © Tyburn Gallery / Lady Skollie.


Dans First Bite : She didn’t give him the apple : she didn’t wanna share the knowledge (Fig. 2), Ève (sous les traits de qui semble se glisser un autoportrait de l’artiste), garde les bénéfices de son péché : elle ne veut pas partager la connaissance avec Adam. Dorénavant, Ève est maîtresse de ses désirs et s’empare du pouvoir.

La mythologie grecque constitue une autre de ses cibles avec The Apollo and Daphne Tale : Sisters Burning Funeral Wreath for Catharsis (Fig. 3) qui aborde la poursuite entre Apollon et Daphné racontée par Ovide dans Les Métamorphoses[8]. Ainsi Daphné poursuivie par Apollon implore son père, Pénée, de lui venir en aide. Ce dernier, ne voyant d’autre solution, la transforme en laurier. Néanmoins, en se transformant en arbre, en élément figé, Daphné est dépossédée de son corps, de ses libertés et de sa féminité.




Fig. 3 Lady, SKOLLIE, The Apollo and Daphne Tale : Sisters Burning Funeral Wreath for Catharsis, encre et crayon sur Fabriano, 150 x 300 cm., 2017 © Tyburn Gallery / Lady Skollie.


Par opposition à cela, l’œuvre de Lady Skollie présente deux sœurs khoisan dans une cave dont les murs sont couverts de dessins rupestres. Elles brûlent des couronnes de laurier dans le but de se réchauffer. Ce geste apparaît comme un autodafé des œuvres littéraires, sculpturales, picturales… ayant véhiculé ce sujet qui a contribué à la création d’une culture du viol.

Avec Fire with Fire, Lady Skollie prône un empowerment[9] féminin au sein de l’histoire de l’art. Son travail marque avec force une époque de questionnements des chefs-d’œuvre occidentaux banalisant des scènes de violences sexuelles.


Tags : Lady Skollie ; Afrique du Sud ; empowerment ; art engagé

[1] Cet entretien s’inscrit dans le cadre de mon mémoire de master Engagements féminins : quand les artistes sud-africains défient l’histoire de l’art à l’université Lumière Lyon 2 sous la direction de Laurick Zerbini.


[2] Interview menée avec Lady Skollie le 01/06/2018 dans son studio à Troyeville, Johannesburg. Ma traduction: « this is my favourite work I ever made ».


[3] Texte explicatif écrit par l’artiste pour présenter l’exposition et distribué à la JNB Art Fair 2017 au stand de la Tyburn Gallery. Ma traduction: « This is my opportunity for collective catharsis: ‘Fire with Fire’».


[4] Khoisan : groupe culturel d’Afrique australe regroupant les Khoikhoi (ou Hottentots) et les San (ou Bushmen).



[6] Pumla Dineo Gqola, Rape. A South African Nightmare, MFBooks Joburg, Johannesburg, 2015.


[7] Ma traduction: « distructing, for cleansing, so for revenge, for clean slate ».


[8] Ovide, Métamorphoses, trad. du lat. par G. Lafaye, Folio classique, Paris, 1992.


[9] Empowerment : prise de pouvoir d’individus pour agir face à une situation, souvent de crise. Régulièrement traduit en français par «autonomisation».





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