Mei Takemoto
Depuis plusieurs années, les Japonais fréquentent des expositions temporaires portant sur les arts occidentaux. Grâce à beaucoup d’événements culturels et d’expositions à Tokyo comme en province, il est possible d’admirer des œuvres magnifiques sans se rendre à l’étranger. En automne 2018, les chefs-d’œuvres d’un grand maître flamand, Peter Paul Rubens (1577-1640), sont parvenus à Tokyo (Fig. 1).
Une grande exposition de Rubens au Japon du 16 octobre 2018 au 20 janvier 2019
Sous la direction de deux commissaires : Anna Lo Bianco, qui a une longue expérience comme conservatrice de Palazzo Barberini, et Shinsuke Watanabe, chef conservateur au Musée National des Arts Occidentaux de Tokyo, l’exposition Rubens et la naissance du Baroque vise à révéler le parcours de Rubens, et plus particulièrement les inspirations venues de l’Italie, en présentant soixante et onze de ses œuvres, ainsi que d’autres œuvres antiques, et aussi d’artistes italiens. Pour cet artiste cultivé, l’Italie représentait l’idéal dans l’art et un lieu où l’Antiquité, envisagée comme une utopie, était directement à portée de main.
Les pièces sont exposées suivant un ordre thématique composée de sept sections : Les traditions du passé, Saints comme Héros : la peinture religieuse et le Baroque, Le monde personnel de Rubens, Un pinceau furieux, Le pouvoir du mythe 1 : Hercule et le nu masculin, Le pouvoir du mythe 2 : Vénus et le nu féminin, Allégorie et légende allégorique.
Le Japon et Rubens
Quelle est l’originalité de cette exposition ? Bien qu’il y ait déjà eu cinq expositions sur Rubens au Japon : 1. Rubens et son siècle (Tokyo, 1969), 2. Rubens et son époque (Hokkaido, 1982), 3. Rubens, le maître et son cercle (Tokyo, 1985), 4. Rubens et son époque (Tokyo, 2000), 5. Rubens, l’atelier d’Anvers et l’Italie comme son point de départ (Tokyo, 2013), les expositions précédentes portaient, pour la plupart, sur les œuvres produites par l’entourage de Rubens en raison du petit nombre de ses œuvres. En outre, habituellement les expositions précédentes présentaient cet artiste dans le contexte de l’atelier hollandais. C’est ainsi que cette exposition de 2018/19 est une occasion unique. Elle nous permet d’y découvrir de nombreuses peintures ou dessins originales à travers l'idée-force d'un rapport mutuel entre Rubens et l’Italie ; c’est une tentative originale et ambitieuse dans l’histoire des expositions sur Rubens au Japon.
À ce propos, on peut se demander pourquoi cette exposition a connu un grand succès bien que le nom de Rubens ne soit pas largement connu au Japon, à la différence de celui de Raphaël, de Michel-Ange, ou de Vermeer[1]. L’une des raisons en serait l’existence d’une célèbre série télévisée d’animation japonaise intitulée Un chien des Flandres, qui est une adaptation d’un roman de Maria Louise Ramé. Cette animation émouvante, diffusée en 1992 au Japon, pourrait avoir joué un rôle significatif en incitant le public japonais à se rendre à l’exposition, car les peintures de Rubens étaient source d’inspiration du héros de l’histoire, Nello. La durée de l’exposition, les images de l’intérieur de la cathédrale d'Anvers –où les moments forts de l’histoire de cette série d’animation se sont déroulés– étaient présentées sur un grand écran dans le hall de ce musée.
Rome : l’inspiration des sculptures antiques
Revenons sur l'objectif principal de cette exposition : la relation entre Rubens et l'Italie. Rubens a quitté Anvers le 9 mai 1600 et il demeure à Venise puis à Mantoue comme peintre de cour, avant de s’installer à Rome en août 1601[2]. En avril 1602 il est convoqué à Mantoue et rejoint une mission diplomatique en Espagne, mais il séjourne à Rome par intermittence de la fin de 1605 à la fin d’octobre 1608. Pendant la durée de ces deux séjours à Rome, il a vécu une période très prolifique de sa carrière : il a étudié avec enthousiasme les œuvres d’artistes du XVIe siècle tels que Raphaël et Michel-Ange et des sculptures antiques.
À Rome, la collection des sculptures antiques la plus importante était celle du Belvédère au Vatican, dont la sculpture Le Laocoon était l'un des fleurons. Cette sculpture hellénistique, déterrée en 1506, a sans cesse fasciné les artistes, à commencer par Michel-Ange, et a largement été diffusée par des gravures. Quelques dessins prouvent que Rubens était aussi un de ces artistes (Fig. 2). Dans ce dessin, l’artiste a saisi ce modèle presque de face et a dessiné Laocoon et ses fils encore plus vivants que ceux de l’original.
« Un pinceau furieux »
Pour définir les arts de Rubens, on pourrait dit que c’est sa touche vivante qui caractérise ses peintures magnifiques. G. P. Bellori, théoricien de l’art du XVIIe siècle a qualifié son pinceau de « furieux »[3].
La touche rapide de Rubens donne des mouvements animés et puissants à ses tableaux plutôt que la recherche du détail. Il l’a obtenue par quelques exemples artistiques italiens, comme celui du vénitien Tintoret ou de l'élève de Raphaël, Jules Romain. Dans l'exposition de Tokyo, on pouvait éprouver une certaine chaleur des œuvres de Rubens, en particulier dans des scènes où les hommes, les chevaux et les armes s’entrelacent (Fig. 3). Cette toile nous montre aussi les inspirations des arts italiens (F. Salviati, Tintoret, et Titien notamment).
Au Japon, cette exposition est une première occasion de mettre en lumière la relation mutuelle entre Rubens et l’Italie. Au travers de cette exposition, les visiteurs pourront profiter d’œuvres de Rubens sur une période de huit années en Italie. Si Rubens s’est inspiré du classique et des maîtres italiens, il a à son tour formé les générations suivantes en dessinant les fondements d’un tout nouveau mouvement artistique.
[1] Selon le site internet de Musée National des Arts Occidentaux de Tokyo, au total il y a eu 331,302 entrées dans cette exposition alors que l'exposition de Michel-Ange en 2018 au même musée avait eu 196,746 entrées.
[2] Sur la carrière de Rubens en l’Italie, je me suis référée à S. Watanabe, « Rubens and the Light of Italy: On the Rendering of Space and Light in the Church of Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) Altarpiece », dans cat. exp., Rubens and the birth of the Baroque, The National Museum of Western Art, Tokyo, 2018, p. 252-257.
[3] G. P. Bellori, Le vite de’pittori scultori e architetti moderni, (ed.), E. Borea, introduzione di Giovanni Previtali, Turin, 1976 (1672), p. 267.
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