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Travestissement et duperie au Musée des Beaux-Arts de Lyon

Dernière mise à jour : 28 mars 2019

Julie S.


Le Musée des Beaux-Arts de Lyon doit la renommée de ses collections, en grande partie, à l’ensemble des peintures françaises du XVIIe siècle. La plupart de ces peintures, les plus prestigieuses, proviennent des églises parisiennes. Elles furent, pour beaucoup, envoyées à Lyon après la Révolution Française. Toutefois, non loin des toiles monumentales de Philippe de Champaigne, de Simon Vouet ou encore d’Eustache Le Sueur et de Charles Le Brun, on trouve une œuvre beaucoup plus discrète ; Achilles parmi les filles de Lycomède. Cette œuvre, au sujet mythologique, fut réalisée par un artiste lyonnais, encore mal connu, Adrien Dassier (vers 1620-1688). Souvent présenté comme un artiste flamand de langue française[1] qui passa toute sa carrière entre Rhône et Saône au Grand Siècle, Adrien Dassier fait partie de ces artistes secondaires révélateurs d’une production régionale nourrie des échanges artistiques français, nordiques et italiens.


Figure 1 : Adrien Dassier, Achille parmi les filles de Lycomède, 1669. Huile sur toile, 1,27 x 1,19 cm., Musée des Beaux-Arts de Lyon, 1995-12. © Lyon MBA – Photo Alain Basset.

Un artiste lyonnais aux inspirations étrangères


Même si Adrien Dassier montre une attirance pour le classicisme italien, et tout particulièrement pour Raphaël[2], il est impossible d’affirmer de manière certaine que celui-ci se soit rendu en Italie. Le rayonnement de Nicolas Poussin sur l’œuvre d’Adrien Dassier semble évident lorsque l'on observe Achille parmi les filles de Lycomède. En effet, dans cette peinture, Adrien Dassier reprend pratiquement l’intégralité de la peinture de Nicolas Poussin conservée à Boston[3].

Plus que d’une connaissance de la peinture elle-même, il paraît plus probable qu’Adrien Dassier ait pris comme matrice la gravure de Pietro del Po[4]. En effet, l’inversion entre les deux compositions et la grande différence entre les couleurs nous confortent dans cette idée. Nous savons également qu’à cette époque Lyon est le plus grand centre d’imprimerie français, juste après Paris. Lyon, véritable nœud de communication, bénéficie de manière évidente d’une large diffusion des modèles étrangers par le biais de la gravure.


La ruse d’Ulysse


Adrien Dassier choisit de représenter le légendaire héros grec Achille. Fils de Thétis et de Pélée. Achille, personnage central de l’Iliade, est le plus souvent figuré en tenue de guerrier, combattant les Troyens, arrêté par Athéna face à Agamemnon ou encore victorieux de son combat singulier avec Hector, devenant sans doute le personnage emblématique de la victoire des Grecs. Toutefois, il est plus rare de représenter Achille sous l’aspect d’une femme. Ce travestissement ne figure pas dans le texte d’Homère, mais dans plusieurs textes antiques, dont l’Achilléide de Stace ou les Fables d’Hygin. Afin d’échapper au funeste destin qui l’attend à Troie, Achille est contraint par sa mère Thétis de se travestir et de se cacher parmi les filles du roi Lycomède sur l’île de Scyros. Mais la ruse d’Ulysse compromet ce stratagème. Le roi d’Ithaque, déguisé en marchand et accompagné par Diomède, réussit à piéger le héros en dissimulant dans ses marchandises une épée et un casque. Hélas, par son attirance innée pour les armes, Achille encore vêtu comme une femme, finit par se trahir. Adrien Dassier représente cet instant fort de l’épisode, entre l’effroi de Déidamie[5] et la victoire par la ruse d’Ulysse. Achille, pris sur le fait, se dirige désormais vers sa légendaire et tragique destinée.


Figure 2 : Nicolas Poussin, Achille parmi les filles du roi Lycomède, 1651. Huile sur toile, 97 x 129,5 cm. Musée des Beaux-Arts de Boston, 46.463. © 2019 Museum of Fine Arts, Boston.

Une simple copie ?


Même si Adrien Dassier reprend en grande partie la composition mise au point par Nicolas Poussin, et diffusée par la gravure de Pietro del Po, l’artiste lyonnais ne se contente pas de copier servilement ses prédécesseurs. Il apporte à son œuvre une réelle sensibilité personnelle ainsi que des éléments caractéristiques.

Au-devant de la composition, à la différence de Nicolas Poussin, Adrien Dassier inclut le mythique bouclier à tête de Gorgone. Le coffre, qui scinde en deux groupes les acheteurs et les vendeurs, est plus fourni que celui proposé par Nicolas Poussin. Le fourreau de l’épée est mis en valeur par un rouge intense. Les mains larges et trapues d’Achille rendent crédible son identité masculine. Toutefois, cette façon de représenter les mains découle sans doute plus de la manière d’Adrien Dassier que d’une réelle volonté narrative.

Les jeux de regards sont omniprésents dans cette œuvre, et lui donnent toute sa puissance. Ulysse, portant le turban, regarde avec insistance Achille et semble satisfait de ce qui est en train de se dérouler. Diomède, le compagnon d’Ulysse, est occupé à vendre un miroir à deux jeunes femmes. Celles-ci semblent complètement absorbées par la transaction et ne portent pas vraiment attention au premier plan. Dans la peinture de Nicolas Poussin, la manière dont est représenté le miroir ne permet pas aux spectateurs de percevoir le reflet. Au contraire, Adrien Dassier s’accorde une petite difficulté en le représentant. Dans la peinture de Nicolas Poussin, Achille admire l’épée qu’il a trouvée dans le coffre des marchands. Il ne semble pas être encore conscient du piège, à l’inverse d’Achille représenté par Adrien Dassier. En effet, celui-ci n’est plus concentré sur l’épée, mais regarde celui qui a réussi à le piéger par la ruse.

Le fond de la composition est également intéressant. Là où Nicolas Poussin ne fait que suggérer la présence d’un édifice, Adrien Dassier en représente la majeure partie. Chez Nicolas Poussin, la colonne renforce la figure d’Achille, elle le dissocie des autres personnages et symbolise peut-être aussi sa masculinité. Dans l’œuvre du peintre lyonnais, Achille se dissocie en étant le seul personnage à apparaître devant un paysage lointain. Adrien Dassier reprend donc l’idée d’isoler légèrement Achille pour le mettre en avant, mais il le fait différemment de Nicolas Poussin.

Adrien Dassier reste encore un artiste largement méconnu des historiens de l’art. Cette œuvre en fournit une preuve intéressante puisque elle illustre des éléments propres à l’imaginaire de ce peintre lyonnais. En effet, non sans humour, Adrien Dassier représente le temple entouré par deux sculptures antiques dont l’une interagit totalement avec la narration. Il s’agit de la Comédie, celle-ci enlève son masque, la supercherie est dévoilée.





[1] CHOMER, Gilles, « Le peintre lyonnais Adrien DASSIER », manuscrit d’une conférence prononcée le 1er février 1986 à la Société de l’histoire de l’art français, conservé dans le fond Chomer de la bibliothèque du musée des Beaux-Arts de Lyon.


[2] Adrien Dassier. Le Songe de Jacob, 1666, Huile sur toile, 46.5 x 59 cm., Réserve du musée des Beaux-Arts de Lyon, inv. 1982 – 1.

Concernant cette peinture, il est évident qu’Adrien Dassier reprend la composition de Raphaël, datant d’environ 1515, visible au Vatican dans la chambre d’Héliodore. Toutefois, cette œuvre fut gravée par Nicolas Chaperon dès 1649. Celui-ci passa par Lyon après avoir séjourné à Rome. La gravure aurait donc très bien pu arriver jusqu’à Adrien Dassier.


[3] Nicolas Poussin. Achille parmi les filles du roi Lycomède, 1651, Huile sur toile, 97 x 129,5 cm., Musée des Beaux-Arts de Boston, inv. 46.463.


[4] Pietro del Po d’après Nicolas Poussin, Achille parmi les filles de Lycomède, 1656, eau-forte et burin sur papier, 38,8 x 52,4 cm, Ecole nationale supérieur des beaux-arts, Paris, Est, 9093.


[5] Déidamie est l’une des filles du roi Lycomède, épouse d’Achille et mère de Néoptolème. Elle est également la première à découvrir la supercherie.



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