Biennale Warszawa
Comment trouver des solutions aux défis mondiaux tels que la disparité économique, l’impact de l’activité humaine sur la planète ou la discrimination. L’art et la culture sont-ils en mesure de proposer un alternatif au mode de vie actuel ? Cet article étudie l’institution de la Biennale Warszawa[1] en tant qu’un ensemble de projets transdisciplinaires engagés.
Contrairement aux biennales d’art contemporains organisés périodiquement, la Biennale Warszawa initie des projets de longue durée. Comme l’explique Pawel Wlodzinski, metteur en scène, essayiste et directeur de la Biennale Warszawa, le terme de biennale est emprunté de manière ironique pour interroger l’utilité des grandes manifestations artistiques telles qu’elles se présentent aujourd’hui[2]. Il ne s’agit pas seulement d’éveiller la conscience du public mais aussi de « questionner la politique actuelle, qui engendre des conflits sociaux, creuse l’inégalité économique et reconstruit le pouvoir autoritaire »[3] écrit Wlodzinski. La face cachée des projets artistiques est donc le combat social.
Humanities in transition – vers une politique nouvelle
Depuis les événements de l’année 1989 qui conduisent au chute du système communiste en Pologne. Le débat public en Pologne est nourri par l’obsession de l’identité nationale construite sur le fondement de l’histoire. Olga Tokarczuk, récemment honorée par le Prix Nobel de littérature, prononce sur ce sujet l’analyse suivante : « Nous avons inventé l'histoire de la Pologne en tant que pays extrêmement tolérant (...). Nous avons commencé à imaginer que nous sommes une nation qui se bat pour sa liberté et pour la liberté des autres. - Mais quand le test est arrivé, il s'avère que nous ne pouvons pas passer cet examen »[4]. L’écrivaine pointe de doigt l’hypocrisie dans le discours politique polonais. Face à la montée des mouvements nationalistes partout dans le monde le cas de la Pologne ne semble pas être isolé. Quelles sont les propositions réelles qui pourront constituer un tournant dans le discours nationaliste ?
L’inefficacité des gestions de problèmes mondiaux par des organisations internationales entrelacées par l’administration et leur rôle diplomatique remet en cause le rôle de la communauté internationale dans la gestion des défis humanitaires et écologiques. Durant la conférence organisée en janvier 2019 par la Biennale Varsovie[5], Marina Garcés, philosophe et essayiste, propose de se séparer des idées utopiques, non réalisables car difficiles à saisir, au profit de la formule in transition. Tirée de l'idée de Cities in transition[6], transférée aux champs des sciences humaines, l'idée de Humanities in transition signifie une pratique quotidienne des petites interventions, actives à tout moment. Cette approche demande un engagement pour entretenir et développer les projets naissants qui visent à apporter des résultats sur de long terme.
Les enfants ont voix au chapitre
La couverture du catalogue de Biennale Warszawa 2019,
Le slogan de la Biennale Varsovie 2019 appelée « Organisons notre avenir » souligne l’importance de la participation directe à l’invention et au déroulement des projets. Le postulat de la nécessité de coopération se base sur l'éthique de la sollicitude. Dans le livre corédigé avec Athena Athanasiou, intitulé Dispossession : The Performative in the Political (2013)[7] Judith Butler explique que l’acceptation du fait que nous avons besoin l’un de l’autre, va amener à adopter des principes de base qui permettent la gestion de la forme démocratique de l’organisation sociale. Cette forme démocratique fondée sur l’éthique de la sollicitude va permettre d’assurer ce que nous pouvons appeler une bonne vie.
Tout en adoptant l’éthique de la sollicitude Agata Siwiak propose le projet RePrésentations[8] donne la parole à des personnes, peu importe leurs origine, statut social et économique, nationalité, âge et état de santé, à travers des actions sur l’art et l’activisme. La première édition du projet porte le sous-titre « Nouvelle Éducation » et met en avant les enfants comme des sujets de droit libres, appartenant à la communauté politique. Bien que la loi assure la protection des mineurs, les enfants ont des statuts politiques ou familiaux particuliers et restent dans une situation précaire. Comment à l’aide du concept in transition, la création peut être porteur de changement de statut de l’enfant ?
Sur la photographie l’artiste Agata Siwiak.
Teresa Otulak, photographies réalisées en 2019 durant le projet RePresentations
Les premiers ateliers dans le cadre du projet RePrésentations sont organisés dans le Lieu d’Accueil des Réfugiés à Varsovie. Les enfants ont participé aux ateliers de danse organisé par Kaya Kolodziejczyk avec des artistes pratiquant le « parkour ». Grâce à l’activité, les participants et les participantes ont été amenés à retrouver confiance en leurs corps. Dans le souci de donner de la visibilité à la précarité du statut des enfants réfugiés qui ont vécu de nombreux refus d’accueil des pays qu’ils ont traversés avec leur famille, l’artiste Teresa Otulak a réalisé un cycle de vidéos. Par mesure de protection de l’identité des participants, les installations vidéo ne montrent par leurs visages. Cette contrainte devient un moyen d’expression artistique qui sensibilise aux problèmes de violence à laquelle les réfugiés sont exposés à cause de la politique de leur pays d’origine, mais également dans certains cas des liens sociaux et familiaux régies par des principes patriarcaux.
Photographie de Teresa Otulak, photographie réalisées en 2019 durant le projet RePresentations
L’enjeux d’invisibilité a également été travaillé par un groupe d’artistes avec les habitants et les habitantes d’un des foyers d’enfants à Varsovie. Les enfants ont été amenés à préparer un spectacle. Tout le travail se déroulait sur des principes de la mise en place démocratique des règles afin que chacun se sente entendu. Les participants et les participantes souhaitent également protéger leur identité. Les artistes ont été renseignés par la direction du foyer que les enfants subissent des violences dans le milieu scolaire en raison de leur situation familiale. Par crainte de la stigmatisation, les enfants décident de présenter l’avant-première du spectacle devant que des invités choisis par eux-mêmes. Puis, les spectacles devaient être présentés dans les écoles sans que l’information sur le lieu d’habitat des enfants soie donné. Deux mois après l’avant-première les enfants décident de jouer devant un public ouvert, ce qui peut être considéré comme une émancipation de la crainte et de la honte devant la stigmatisation liée à leur situation familiale.
Agir localement et coopérer à l’échelle internationale
Curieusement, la Biennale Varsovie ne voit pas dans les initiatives à l’échelle locale le moyen de réaliser le programme qui est « la sortie de la politique actuelle, qui engendre des conflits sociaux, creuse l’inégalité économique et reconstruit le pouvoir autoritaire ». L’exemple du débat public polonais peut être élargi au plan mondial. Le partage inégal de la richesse, le discours xénophobe dans les médias, l’esclavage moderne par la division internationale du travail sont des enjeux complexes sur lesquels l’activité des communautés locales n’a pas de réel impact. Pour cela, la Biennale Varsovie propose une approche transdisciplinaire et organise quatre forums internationaux qui s’attachent à la problématique du climat et de la gestion des ressources naturelles. Eyala Weizman explique que « la politique transformative doit commencer avec des moyens matériels concrets »[9]. Quels sont donc les moyens concrets qui pourront former un point de départ pour un changement de la politique climatique mondiale ?
Le forum de la Convention des agricultrices, 15 juin 2019, Varsovie
Le forum de la Convention des agricultrices (Convention of Women Former) de Marwa Arsanios qui regroupe des agricultrices venant entre autres de Rojava (région kurde en Syrie), du Chiapas en Mexique, du Pendjab en Inde ou de la région de Lublin en Pologne, adopte comme le point de départ le partage des pratiques et des connaissances sur l’élevage des plantes et la récupération des grains, ainsi que sur l’entretien du sol ou les vertus médicales des plantes lorsque l’accès aux médicaments est limité. Compte tenu de l'urgence de la question du changement climatique, alors que les gouvernements et les entreprises l'ignorent depuis des décennies sans vouloir (le plus souvent) assumer aucune responsabilité en la matière, les agricultrices ont mobilisé leurs moyens et leurs connaissances pour mener à bien les travaux de réparation. Le forum s’est déroulé devant un public ouvert au dialogue avec des écoféministes, des philosophes, des scientifiques et des militants du climat. L’artiste Marwa Arsanios propose ainsi un projet à la fois transdisciplinaire et international, qui se dessine comme une alternative à la structure des organisations déjà existantes.
Les enregistrements audios des conférences (en polonais ou en anglais) organisées dans le cadre de Biennale Warszawa sont accessibles en ligne :https://soundcloud.com/biennalewarszawa
La page en anglais de la Biennale Warszawa :https://biennalewarszawa.pl/en/
[1] Biennale Varsovie [2] Piotr Grzymisławski, Joanna Janiszewska, Let’s organise our future, Biennale Warszawa, 2019. p. 3. [3] Piotr Grzymisławski, Joanna Janiszewska, Let’s organise our future, Biennale Warszawa, 2019. p. 5. [4] L’interview de l’écrivaine dans le journal du 7 octobre du 2015 sur la chaîne de télévision polonaise TVP1. [5] Conférence Humanities in Transition, 8 janvier 2019, Varsovie. [6] Le mouvement social de Transition est né en Grande-Bretagne en 2006, autour de l'enseignant en permaculture Rob Hopkins. [7] Judith Butler et Athena Athanasiou, Dispossession: The Performative in the Political, Cambridge: Polity Press, 2013. [8] Traduction de polonais, le nom originaire RePrezentacje. [9] Traduit de l’anglais “Transformative politics must begin with material issues”.
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