Namur (Belgique), Musée Félicien Rops, du 19 octobre 2019 au 02 février 2020.
L'exposition des œuvres de cet artiste anversois au Musée Félicien Rops nous fait faire un véritable saut dans la Hollande de Vermeer. Son travail, largement inspiré de la peinture flamande des XVIe et XVIIe siècles est emprunt d’une grande virtuosité, et nous surprend par son réalisme, la modernité de sa touche et l’émotion qui s’en dégage.
PRÉSENTATION DE L'EXPOSITION
Dans l’Europe du XIXe siècle, galeries, institutions culturelles et marché de l’art favorisent un regain d’intérêt pour la peinture du Nord du XVIIe siècle, en faisant redécouvrir des artistes tels que Johannes Vermeer, Pieter de Hooch et Rembrandt. Ces peintres hollandais et flamands du XVIIe siècle deviennent des modèles pour la nouvelle génération de peintres du mouvement réaliste, initié par Gustave Courbet. Félicien Rops, Henri De Braekeleer et d'autres artistes belges ayant été proches du groupe d'avant-garde Les XX, emboîtent le pas à cet engouement grandissant pour la représentation de la vie quotidienne et trouvent leur inspiration dans l'imagerie des maîtres anciens.
La salle dans la maison hydraulique ou
La Maison des Brasseurs à Anvers (détail), 1871-1880.
Huile sur toile. Collection privée.
De Braekeleer est rapidement considéré comme digne successeur des peintres flamand, dans le contexte d’une Belgique récemment indépendante et cherchant à légitimer son existence face aux puissances européennes. Il incarne, pour les esprits de son temps, la filiation des grands maîtres du XVIIe siècle avec la nouvelle génération d’artistes belges. Outre ce statut, Henri De Braekeleer est reconnu pour la modernité de son œuvre, comme tend à le prouver l’admiration du groupe d’avant-garde Les XX (1883-1893), pour son travail. Fervents défenseurs d’un art nouveau s’affranchissant des règles académiques, ces derniers vont même jusqu’à ériger De Braekeleer comme l’un des plus importants réalistes belge de la fin du XIXe siècle.
Présentant une quarantaine d’œuvres peintes, gravées ou dessinées, l’exposition donne la possibilité aux visiteur·ice·s de découvrir cet artiste surprenant, dont l’engouement pour l’iconographie ancienne fut néanmoins ouvert à la modernité. Au fil des salles, le·la visiteur·ice, est plongé·e dans l’univers intimiste d’Henri De Braekeleer, qui, par l’analyse rigoureuse de la lumière et la préciosité de ses décors minutieusement dépeints, parvient à émouvoir.
Le Dessert (détails), 1885.
Huile sur toile
Anvers, Musée royal des Beaux-Arts. Inv. 2820
OUVERTURE ET SCÉNOGRAPHIE
L’exposition s’ouvre sur le thème de l’atelier, récurrent chez Henri De Braekeleer. Cette thématique, faisant écho à sa formation et à la peinture de ses mentors : son père, Ferdinand De Braekeleer et son oncle Henri Leys, occupe toute la vie de l’artiste. Les ateliers peints par De Braekeleer sont des représentations idéalisées de ce lieu où, au XIXe siècle, les artistes recevaient modèles, amateurs et marchands.
L’Atelier, 1873.
Huile sur bois
Tournai, Musée des Beaux-Arts, Legs Van Cutsem, 1904. Inv. 1971/n°136
Plongée dans la pénombre, que renforcent des murs peints en noir, cette première salle semble avoir été conçue pour favoriser l’immersion des visiteur·ice·s. La sélection restreinte ainsi que la simplicité de l’accrochage met admirablement en valeur la facture et la luminosité vibrante des tableaux réalisés dans la seconde moitié de carrière d’Henri De Braekeleer. L’œil est irrémédiablement attiré par ces tableaux aux couleurs chaudes et aux touches lumineuses, peintes dans des tons de bruns et d’ocres.
Salle dans la maison des brasseurs, 1871-1880. La salle dans la maison hydraulique ou La Maison des
Huile sur toile Brasseurs à Anvers, 1871-1880.
Anvers, Galerie Ronny Van de Velde. Huile sur toile. Collection privée.
Conçue de manière antéchronologique, l’exposition retrace ainsi le parcours de cet artiste, son évolution picturale et iconographique. Elle met en exergue l’influence qu’a exercé la peinture flamande et hollandaise sur l’œuvre de ce peintre tout en révélant la modernité dont ce dernier a fait preuve au cours de sa carrière.
L'ÉVOLUTION DU STYLE D'HENRI DE BRAEKELEER
La « manière » d’Henri De Braekeleer devient au fil des ans plus personnelle et s’éloigne doucement de la peinture de son maître Henri Leys, dont il ne s’émancipa réellement qu’après la mort de ce dernier. La scénographie de l’exposition retrace avec simplicité et rigueur cette évolution en confrontant des œuvres de jeunesse et des œuvres de fin de carrière. Les visiteur·ice·s sont laissé·e·s en autonomie face à cette sélection d’œuvres, où seuls quelques textes de salles viennent l’orienter et le·la renseigner sur la vie de l’artiste.
Dans les années 1860, De Braekeleer s’oriente vers des compositions réalistes où il dépeint des paysages anversois. Les scènes de genre représentant diverses catégories de métiers, des cours intérieures ou des études de figures font l’objet de tableaux de petits formats et témoignent l’intérêt que l’artiste portait aux modes de vie et aux conditions sociales de ses contemporains. Toutefois, l’ouvrier, la lavandière ou le vieillard ne sont pas érigés en « sujet principal » par le peintre, pas plus qu’il ne se concentre sur « l’élément décoratif ». Faisant de ce fait l’originalité de sa peinture, De Braekeleer se plait à saisir un instant de la vie quotidienne, brossant un monde pittoresque, dans lequel le temps semble être suspendu.
Les Potiers, 1863. Bas-quartier à Anvers, 1860. La Lavandière, 1858.
Huile sur toile Huile sur toile Huile sur toile
Collection privée Anvers, Galerie R. Van de Velde Musée royal des Beaux-Arts
d'Anvers
La décennie suivante marque un tournant dans la carrière de De Braekeleer, sur laquelle l’influence des maîtres flamands se fait davantage sentir. De retour de ses voyages à Amsterdam et Dresde, où il s’est imprégné des peintures de Johannes Vermeer et de Pieter de Hooch, le peintre se concentre cette fois sur un personnage qu’il place au centre d’un espace clos très structuré. L’usage d’ouvertures vers l’extérieur dans sa peinture, telles que les fenêtres, a pour fonction d’organiser la profusion d’informations visuelles qu’il y déploie et de permettre au regard des spectateur·ices·s, par un effet de perspective, de s’en échapper.
Salle dans la maison hydraulique, 1871-1880.
Huile sur papier marouflée sur toile
Anvers, Galerie Ronny Van de Velde
UNE MODERNITÉ PICTURALE
Si la modernité est quasi absente iconographiquement, le modernisme de sa facture est quant à lui indéniable : « cette vibration intime, extraordinaire, pénétrante, qui prend possession de vous [...], c’est ce mystérieux et incompréhensible poème de couleur qui chante et resplendit dans les toiles de Henri De Braekeleer ; [...] ce caractère particulier de l’artiste qui voit en couleur, qui est vraiment peintre, pour qui la poésie des tons est la vraie lumière, absorbant tout jusqu’au sujet, presque jusqu’au dessin, étrange vision qui fait passer toute l’âme et tout le sang de l’artiste dans la richesse et l’harmonie de la couleur vivante. », publiait le journal La Liberté. Organe socialiste hebdomadaire en 1872.
Salle dans la maison hydraulique ou L'Homme à la chaise, 1876.
Huile sur toile
Anvers, Musée royal des Beaux-Arts. Inv. 1845.
Dans les dernières années de sa vie, l’artiste délaisse quelque peu les scènes de genre au profit de natures mortes et de paysages, pour la plupart exposées aux côtés des œuvres des XX. De Braekeleer libère davantage encore sa touche qui s’élargit, il se détache des détails et favorise les atmosphères sereines et quiètes. Il peint dans cette période une de ses dernières scène de genre, Le Dessert : une salle à manger aux couleurs rutilantes et profondes, dont les détails ne sont suggérés que par touches successives et enlevées. Seule invariante dans son travail, la lumière, diffuse et vaporeuse, réchauffe la pièce par rayons et reflets sur les objets miroitants de la composition.
Le Dessert, 1885. Huile sur toile.
Anvers, Musée royal des Beaux-Arts. Inv. 2820.
Ainsi, tout, dans les compositions de cet artiste virtuose semble pensé pour permettre au regard des visiteur·ice·s de circuler librement et aisément dans la toile, de s’y promener et de s’y perdre en contemplation. Maître dans le rendu des atmosphères chaleureuses et intimistes, des objets et des costumes, De Braekeleer nous donne une véritable leçon en la matière.
Par ailleurs, la cohérence esthétique de l’exposition permet une plongée au cœur de l’œuvre de ce peintre, toute emprunte de la sérénité des XVIe et XVIIe siècles flamands et hollandais. En collaboration avec le musée royal des Beaux-Arts d’Anvers, cette exposition monographique retrace et met en lumière la modernité de la peinture de De Braekeleer à travers une sélection restreinte de tableaux, dessins et gravures et lui redonne la place qu’il mérite dans le paysage artistique du XIXe siècle en Belgique.
[crédits photographiques : Louise Guyaux]
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