L’artiste plasticienne béninoise Moufouli Bello propose un travail sur des questions identitaires. Elle s’intéresse à la façon dont les cultes, les traditions, la culture, la politique, affectent notre perception de la société et nos comportements. En cela, elle prend position et amène le spectateur à s’interroger.
Suite à divers échanges effectués par mail [1], l’artiste livre un point de vue sur ses œuvres. S’accomplissant en tant que femme artiste indépendante dans le champ de l’art béninois, elle propose des créations artistiques vues comme « des expériences sensorielles et cognitives établies selon une procédure construite autour de l’empathie ». Selon elle, ses œuvres « influencent l’esprit et font appel à notre capacité à nous identifier », mettant l’artiste « dans une position d’éveilleur de conscience ». Son intérêt porte sur les questions d’identités, sur la société genrée à travers la représentation de la femme noire, sur la féminité. Quelles réflexions les œuvres de Moufouli Bello nous apportent-elles au sujet de la condition féminine ?
Une artiste engagée
Vivant et travaillant à Cotonou, Moufouli Bello a fait des recherches en arts visuels et sensoriels. Après avoir été diplômée de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) de Cotonou, elle s’épanouit et se consacre pleinement à son activité artistique : elle travaille plusieurs médiums tels que la peinture, le son, la vidéo, les installations, et s’intéresse également « au story telling et à l’interactivité ». Pour sa première exposition en 2012, elle participe à la Création de l’homme debout du Bénin organisée par la Fondation Zinsou, ce qui lui permet de débuter sa carrière professionnelle. La fondation dirigée par Marie-Cécile Zinsou, « mène de nombreuses actions efficientes pour amener l’art vers les populations et les plus jeunes » selon l’artiste. En 2016, elle est lauréate pour le compte de l’artiste francophone à la Cité internationale des arts.
L’artiste réfléchit à des œuvres qui viennent questionner la réalité, « l’immuabilité de notre perception de la réalité, des sociétés et de leurs modes de fonctionnement ». Elle souhaite, à travers son travail, transmettre des opinions et des réflexions amenant à des dialogues, des discussions qui « sortent de l’espace de présentation pour se poursuivre dans les intimités ». Le spectateur est ainsi entièrement mobilisé dans la compréhension de l’univers de l’artiste qui nous offre des questionnements singuliers. L’artiste amène à une véritable immersion dans son œuvre. Ce n’est pas sans rappeler le principe théorique de Roland Barthes qui veut que la compréhension d’une œuvre passe par l’attention de celui qui la regarde, et plus particulièrement par « la mobilité du corps du spectateur qui devant l’image offre une adaptation singulière de l’œuvre » [2]. En effet, le spectateur peut analyser les enjeux signifiants de l’œuvre. La fascination que l’œuvre peut exercer sur le spectateur amène à une certaine prise de conscience et différents raisonnements : ici l’objet artistique se positionne dans cette volonté de questionner le public, qui est libre d’apporter ses propres réponses.
Ainsi, Moufouli Bello bouscule les mentalités, surprend, fait réagir et évoluer les consciences à travers son art qui se veut engagé et interrogateur comme en témoignent les deux œuvres suivantes.
We Should Desobey : dénonciation du sexisme
Figure 1 Moufouli Bello, Installation, Exposition Amazones, Le Centre, Bénin, 2017
Copyright : L’Art, Témoin des Emergences
We Should Desobey est le nom d’une installation effectuée en 2017 dans le cadre de l’exposition collective Amazones (Le Centre, Abomey Calavi, Bénin, 2017). L'œuvre retrace l’histoire des femmes guerrières de l’ancien royaume du Dahomey. L’artiste place le spectateur dans une position clé. Confronté à la réalité et à la société, il est amené à revoir la manière d’appréhender les femmes et à se remettre en question.
En effet, cette installation qui a eu lieu au Centre, espace artistique pluridisciplinaire au Bénin, pointe les questions autour de la féminité et du sexisme. L’artiste met en évidence les stéréotypes auxquels les femmes sont confrontées chaque jour. On peut ainsi lire en lettres noires sur les murs blancs de l’espace à quatre murs : « Une femme respectable ne conduit pas de voiture », « c’est compliqué d’être la chef tu devrais refuser le poste », « va faire à manger à ton frère c’est toi la fille » ou encore « Il t’a violée ? Tu portais quoi ? ». Dans cet espace, se font face deux miroirs qui reflètent ces opinions sexistes encore bien ancrées aujourd’hui. Le visiteur se retrouve alors dans un endroit clos où l’effet des miroirs joue sur la multiplicité des propos sexistes, donnant un sentiment d’oppression et d’un lieu sans issue. L’artiste amène donc à une mobilisation du corps dans l’espace face aux termes misogynes qu’il rencontre. Le regard y est confronté dans le but d’arriver à un questionnement, de réfléchir et de créer un déclic dans les mentalités de ceux qui peuvent se reconnaître dans ces propos (ceux qui les disent et ceux qui les reçoivent). Il s’agit plus largement de voir avec quelle façon la tradition, la culture, les cultes, la politique forment des comportements qui méritent d’être parfois remis en question en espérant qu’intervienne un changement de la part du public.
Papyrus : la femme noire au-devant de la scène artistique
Figure 2 Moufouli Bello, Confusion, Acrylique sur toile, 100 x 81 cm, Exposition personnelle Papyrus, Institut Français, Cotonou, 2016
Copyright : Intense Art Magazine
Dans son exposition personnelle intitulée Papyrus, qui s’est tenue à l’Institut Français à Cotonou en 2016, Moufouli Bello souhaite valoriser la gente féminine. « Avant d’être une femme, nous sommes un être humain. À partir de cela la question de l’égalité ne devrait pas se poser » [3]. Cette réflexion l’amène à traiter de la question de la femme, « de la difficulté à être une femme en Afrique, à être une femme noire ». Défendant la cause féminine, l’artiste amène à des questions identitaires et des signes d’appartenance communautaire et ethniques. Ainsi, « elle rend hommage à la femme au regard de son évolution dans la société » [4].
Moufouli Bello souhaite faire prendre conscience aux femmes de leur propre existence et de leur force commune à être une femme. Ses œuvres impactent véritablement la réalité et la société puisqu’elles portent sur des sujets du temps présent. L’artiste réfléchit sur la représentation de la femme noire et questionne la société genrée avec la volonté de la dépasser. Elle rend compte de l’humanité du sujet, avant son genre. Mettant en avant le visage de femmes noires scarifiées, elle rappelle une tradition culturelle au Bénin, reliant l’être humain à son groupe culturel, sa communauté. Ces marques sont la preuve d’une identité. Moufouli Bello nous donne à voir une femme actrice dans la société, en prenant le contrôle sur ces pratiques scarificatoires.
Figure 3 Moufouli Bello, Feeder, Acrylique sur toile, 135 x 113 cm, Série Aya Oba, 2018
Copyright : L’Art, Témoin des émergences
Dans sa série Aya Oba, Moufouli Bello peint ce tableau intitulé Feeder réalisé en 2018, la femme est montrée. Confiante, sûre d’elle et affirme sa place au sein de la toile. Les marques ne se retrouvent plus sur son visage, ce qui la singularise et font d’elle une femme à part entière, avec une identité propre. Dans ces images de femmes noires, nous trouvons la puissance du regard, marqué par une certaine profondeur, qui dévisage le spectateur. Ce regard montre l’assurance de la femme qui a conscience de sa valeur, de son particularisme et de sa liberté. Elle porte une couronne en matières végétales et de fruits, renvoyant à l’abondance qu’elle peut apporter au peuple. La femme est puissante et dominante. L’œuvre est là pour montrer l’affirmation de la femme noire, sa conviction et son caractère franc de femme à part entière.
Un modèle pour les générations futures
Moufouli Bello a su se positionner en tant qu’artiste femme noire dans un milieu majoritairement masculin, bousculant les mentalités et réfléchissant sur la femme et sur ce qu’elle avait à offrir. Selon elle, bien « qu’il existe une certaine condescendance envers le travail artistique féminin, certainement symptomatique de l’état général de la société qui est patriarcale, des efforts sont faits par des organismes pour faire évoluer cette situation ». Ayant exposé dans de nombreux lieux artistiques au sein du Bénin, mais aussi en France, en Algérie, au Maroc, en Autriche et au Congo, l’artiste béninoise a su se démarquer par les questionnements qu’elle soulève et les prises de position qu’elle amène. Elle se concentre sur les problèmes liés à la société, sur l’impact de la culture et des traditions, observe les difficultés associées au sexisme, et reconsidère l’image des femmes noires en les plaçant dans une position de pouvoir, en montrant que les femmes existent et s’affirment. L’art de Moufouli Bello met ainsi en évidence des problèmes qui n’ont pas encore été résolus pour les dénoncer et les dépasser.
(1) Entretien effectué par mail, le 01/04/2019. Toutes les citations ultérieures de l’artiste proviennent de cet entretien.
(2) Guillaume Cassegrain, Roland Barthes et l’image advenue, ed. Hazan, Paris, 2015, p. 111
(3) https://www.youtube.com/watch?v=ZE0jTEtX7nU : consulté le 07/11/2019
(4) https://www.awaleafriki.com/benin-echos-de-lobozounkpa-2017-femme-amazone-vue-plasticiens/ : consulté le 08/01/2020
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