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Bong Joon-ho, Parasite et son monde cinématographique

Écrit par Jehyun Lee


Le 25 mai 2019, Alejandro González Iñárritu, réalisateur mexicain et président du jury du 72e Festival de Cannes, remettait la Palme d’or à Parasite de Bong Joon-ho. Il se trouve que cette Palme d’or, attribuée à Bong Joon-ho, un des réalisateurs les plus représentatifs de la Corée du Sud, advient l’année du 100e anniversaire de l’histoire du film en Corée dont le premier film, Vengeance dévouée[1] réalisé par Kim Do-san, a été tourné en 1919.


Image 1. Bong Joon-ho, Lauréat de la Palme d’or du 72e Festival de Cannes ©Festival de Cannes


D’un amateur à un réalisateur international


Né en 1969 à Daegu, Bong Joon-ho s’est spécialisé en sociologie à l’Université de Yonsei et c’est à partir de l’année 1993, qu’il commence à réaliser des court-métrages amateurs[2] avec ses camarades d’université en créant un club de passionnés de cinéma, appelé La Porte Jaune. Après avoir obtenu sa licence en 1994, il entre à l’Académie coréenne du film pour apprendre la cinématographie, mais aussi acquérir plus d’expérience sur le terrain. Il débute comme réalisateur en 2000, avec son premier long métrage, Barking dogs never bite qui sera cependant un échec commercial. Malgré ce mauvais résultat, la société de production Uno film fait confiance à son talent et Bong Joon-ho réalise son deuxième film, Memories of Murder qui rassemblera cinq millions de spectateurs en 2003 en Corée. À la suite de ce premier succès, en 2006, il se retrouvera propulsé au rang des meilleurs réalisateurs coréens, en attirant treize millions de spectateurs coréens dans les salles avec son film The Host.


Dans les années 2010, Bong Joon-ho souhaite se rapprocher d’Hollywood et réalise Snowpiercer, Le Transperceneige ; des acteurs hollywoodiens connus, Chris Evans et Tilda Swinton notamment, acceptent de travailler avec ce réalisateur coréen, alors encore peu connu. Après un très bon début sur la scène internationale, il doit cependant faire face à la controverse lors de la projection de son film Okja, au Festival de Cannes en 2017. Ce film ayant été financé par la plateforme Netflix, il n’a été projeté que via cette plateforme. Le CNC, le Centre National du Cinéma et de l’image animée, s’est donc opposé à la projection d’Okja au Festival, en insistant sur le fait qu’une telle sorte de diffusion pourrait détruire la tradition du cinéma : la projection en salle. Bien que le Festival ait finalement sélectionné le film en tant que candidat à la compétition, les spectateurs ont tout de même fait entendre leur désapprobation en sifflant pendant la projection. Le Festival de Cannes décidera, à partir de l’année suivante, de n’inviter que des films qui sortiront exclusivement en salle.[3]


Ensemble de métaphores,

Parasite


Le titre de ce film, Parasite, est déjà une métaphore de la condition de vie de ses protagonistes : la famille de Ki-taek qui habite au semi-sous-sol, un habitat typique en Corée du Sud, va travailler chez Dong-ik, un homme considéré comme ayant bien réussi au sein de la société coréenne. Le terme de parasite représente aussi Moon-gwang, la gouvernante des enfants de Dong-ik, qui loge secrètement son mari, poursuivi par des créanciers, au sous-sol de cette maison. Dong-ik peut également être considéré comme un parasite puisqu’il suit le système absurde de la société coréenne hiérarchisée en méprisant la basse classe. Le réalisateur décrit donc cette société, marquée par l’écart entre les riches et les pauvres, tout au long de son film. Il y développe l’histoire autour de ces trois familles en les comparant, eux et leurs maisons qui reflètent si bien cette disparité sociale en Corée du Sud. Ainsi, à travers ce film, Bong Joon-ho fait la satire d’une société bipolaire, inspirée de son film précédent, Snowpiercer, Le Transperceneige, dans lequel il dépeignait déjà le conflit entre les classes sociales, dans un train qui circule infiniment dans une ère glaciaire futuriste.


Image 2. Ki-taek regardant vers l’extérieur par une fenêtre de sa maison au semi-sous-sol ©CJ Entertainment


Dans ce film, Bong Joon-ho exploite divers éléments métaphoriques qu’il est intéressant de relever pour mieux comprendre la réalité du contexte de chaque famille coréenne. Par exemple, des mises en scènes fréquentes, dans lesquelles la famille de Ki-taek et le couple de Moon-gwang montent des escaliers, signifient leurs efforts pour s’échapper de la pauvreté en essayant d’intégrer la haute classe. À l’opposé de cela, la grande maison de Dong-ik, en plus de se trouver en haut d’un escalier, est habitée par un couple qui ne regarde jamais en bas, même lorsque la famille de Ki-taek se cache sous le canapé alors que Dong-ik et sa femme y dorment toute la nuit.


Hormis ces métaphores de positions, de montées et de descentes, il est également important d’évoquer la symbolique de la fatalité, représentée par la pierre de Ki-woo, et celle de la lumière, que seuls les deux fils et Ki-taek, à l’écart des codes de la société, remarquent et dont ils questionnent le fonctionnement étrange. Ces symboles mettent en avant l’aspect immuable et fataliste de la société coréenne. Lors de la rédaction de son scénario, l’élément sur lequel le réalisateur s’est concentré le plus, qui structure tout le film et qui joue un rôle important dans la distinction entre les relations de ces trois familles est l’« odeur ». Cet élément invisible permet, à plusieurs reprises, d’expliquer que chaque famille, avec son niveau de vie différent, ne peut jamais cohabiter : l’odeur désagréable de l’une dérangeant, voire dégoutant profondément l’autre. Ce mépris envers la classe inférieure provoque alors la colère de celle-ci et engendre une violence terrible. Ainsi, cette implication de l’odeur est essentielle et guide l’histoire deParasite, du début à la fin.


Image 3. Ki-woo montant des escaliers ©CJ Entertainment


Bong-tail et l’art du

« Piksari »


À l’image du surnom que lui a attribué son équipe, « Bong-tail », fusion entre son nom, « Bong Joon-ho » et le mot « Détail », le film Parasite est un assemblage minutieux de mises en scène délicates et d’éléments métaphoriques. En 2006, les Cahiers du cinéma interviewe Bong Joon-ho[4], après la sortie deThe Host qui a connu un franc succès en Corée en rassemblant treize millions de spectateurs. Dans cette interview, Stéphane Delorme et Jean-Philippe Tessé, journalistes français, s’interrogent sur les scènes détournées qui peuvent provoquer le rire du spectateur : un policier, un des héros du film Memories of Murderpar exemple, glisse dans la rizière alors qu’il faisait une descente sur les lieux ; un des personnages principaux du film The Host également, fait tomber son cocktail Molotov avec lequel il était censé tuer un monstre. Bong Joon-ho répond à cela en expliquant qu’il y a un mot précis en coréen pour décrire cette sorte de moment qui n’est pas prévu : c’est ce qui s’appelle un « Piksari ».[5] En général, on utilise ce mot d’argot lorsque l’on frappe mal une boule de billard ou que la voix de quelqu’un déraille vers les aigües. Ainsi, le réalisateur exploite le « Piksari » afin de créer des situations auxquelles les spectateurs ne s’attendent pas. Le journaliste décide alors d’intituler cette interview, « L’art du piksari », à l’image du cinéma de Bong Joon-ho.

Après avoir gagné la Palme d’or, Bong Joon-ho explique, dans un entretien[6] avec un journal télévisé coréen, JTBC, qu’il n’y a pas un seul Piksari dans Parasite, mais bien un long moment de Piksari qui commence de la première heure et dix minutes et dure jusqu’à la fin du film. C’est le moment où la famille de Ki-taek rencontre et découvre l’existence du mari de Moon-gwang au sous-sol de chez Dong-ik. Dès lors, une nouvelle partie de l’histoire précipite ces trois familles dans une dernière heure de tragédie effrénée, et les spectateurs deviennent incapables de prévoir le déroulement du film. Plusieurs scènes détournent dangereusement les situations de ces trois familles, et l’histoire bascule à partir de l’affrontement, dans l’escalier du sous-sol, entre la famille de Ki-taek, qui souhaite garder l’anonymat sur sa situation, et le couple de Moon-gwang qui veut tout révéler.


Dans la même interview, la question sur les différences entre son film précédent, Snowpiercer, Le Transperceneige, qui portait sur la lutte entre les classes sociales dans un train, et Parasite, Bong Joon-ho répond que c’est le genre qui différencie ces deux films. Alors que le premier était un film de science-fiction, Parasite est un film dans lequel plusieurs genres cohabitent subtilement. Par exemple, le film focalise, au début, sur la société coréenne dans laquelle la famille de Ki-taek vit à sa manière en rêvant d’une meilleure vie, et Bong Joon-ho filme ce contexte tragique de manière légère et humoristique. Cependant, avec la rencontre avec la famille de Dong-ik, ensuite avec l’apparition du couple de Moon-gwang, l’histoire devient désespérante et violente, comme s’il s’agissait d’un film d’horreur.


En outre, il mentionne que c’est aussi par leurs genres que se distinguent lui et Kore-eda Hirokazu, un des plus grands réalisateurs japonais qui avait gagné la Palme d’or au Festival de Cannes, en 2018, avec son film Une affaire de famille. En effet, bien que leurs deux films traitent des questions de la famille dans leurs pays respectifs, ils ont choisi d’aborder ce sujet dans des genres très différents. Dans son film, Kore-eda Hirokazu nous montre une famille japonaise qui n’a pas de liens du sang, mais se démène pour survivre dans un environnement familial et sociétal difficile. Malgré une fin malheureuse, la tendresse évoquée par l’amour pour les autres de chaque membre de cette famille touche les spectateurs. En revanche, Bong Joon-ho, lui, se concentre sur des luttes entre des familles évoluant dans la même société, pour montrer réellement l’inhumanité de cette structure sociale moderne. Ce qui est important, c’est que ces deux réalisateurs, japonais et coréen, ne perdent pas la conviction qu’il est essentiel de critiquer la société impitoyable contemporaine et d’en imprégner leurs genres.


Image 4, 5. Kore-eda Hirokazu et son film Une Affaire de Famille, la Palme d’or de l’année 2018

©Festival de Cannes, Le Pacte


Ainsi, Bong Joon-ho révèle que son prochain film sera un film d’horreur qui traitera d’un grand événement au cœur de Séoul, et dont il a élaboré le scénario depuis le milieu des années 2000. En parallèle de ce projet, le réalisateur ajoute qu’il prépare un film en collaboration avec Hollywood, qui cette fois sortira exclusivement dans les salles de cinéma et non pas sur une plateforme de streaming.



[1] Il s’agit d’un film et d’un kino drama : un film projeté au cours d’une pièce de théâtre pour remplacer une scène difficile à réaliser au théâtre.

[2] Son premier court-métrage est White man(1994). Un de ses autres premiers court-métrages, Incoherence(1995) a été invité au Festival international du film de Vancouver et au Festival international du film de Hongkong de 1995.

[3] Édouard Baer, maître de la cérémonie d’ouverture de la 72e Festival de Cannes insiste sur le fait que « Le cinéma, c’est la salle de cinéma, c’est le collectif, la chaleur humaine. [...] C’est sortir de chez soi, ce miracle-là, plutôt que de rester là à manger des pizzas en regardant Netflix ! ».

[4] Stéphane DELORME, Jean-Philippe TESSÉ, « L’art du piksari », Cahiers du cinéma, n°618, décembre 2006, p. 47-48.

[5] Ibid., p. 48

[6] JTBC News room, « L’écart entre les riches et les pauvres... Et Parasite de Bong Joon-ho », JTBC, [en ligne] 06/06/2019. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=ZxWbHtNYbUw

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