Depuis le scandale du portrait de Ronaldo en 2017[1], les sculptures officielles des footballeurs ont un retentissement étonnant. Héritières d’une tradition évidente du portrait dans l’histoire de l’art, les figures de footballeurs semblent résister de façon surprenante à toute institutionnalisation muséale. De la sculpture en bronze au documentaire de Philippe Parreno entre tradition et modernisme, force est de constater que le portrait de footballeur occupe une place grandissante dans les représentations visuelles actuelles. Pourtant, alors que les médias s’emparent de ces images, établissant un nouveau panthéon visuel du sport, l’histoire de l’art apparaît hermétique à ce phénomène.
Des Hommes illustres à Arsenal.
La représentation des hommes illustres trouve son origine dans l’Antiquité. Les Athéniens auraient inventé, selon Pline l’ancien, une tradition de célébration en l’honneur de Aristogiton et Harmodios deux héros de la cité. L’humaniste Pétrarque dans le de viris illustribus[1] autour de 1338 ajoute à la représentation du héros un sens moral. Le portrait du héros renvoie au présent pour enseigner la conduite à suivre. Le portrait des hommes illustres introduit une rhétorique morale. Le portrait de footballeur a également une prétention morale et de la même manière, il établit un discours éthique.
Le stade d’Arsenal est un cas intéressant puisqu’il abrite dans son enceinte cinq sculptures monumentales de joueurs de football. Le club londonien a choisi de représenter certaines de leurs grandes figures. Ken Friar, Dennis Bergkamp, Herbert Chapman, Tony Adams et Thierry Henry.
Suivant la tradition anglaise des bronzes monumentaux (on pense aux statues de la place du parlement, à la statue de Windston Churchill ou encore au bronze d’Oscar Wilde), les joueurs de foot sont représentés de manière monumentalisée, dans des attitudes significatives.
Dans ces portraits, la dimension joue un rôle hiérarchique. En effet, les sculptures de footballeurs utilisent un procédé simple ; l’amplification. La figure du footballeur est ainsi à une échelle plus grande que celle du spectateur. Cette différence physique entraîne une différence psychologique et une hiérarchisation des positions. De plus, Thierry Henry est représenté non seulement beaucoup plus grand que l’échelle humaine mais il est sur
élevé par un socle en béton. Évidemment, la taille de la sculpture nous renvoie aux qualités physiques athlétiques du joueur de football mais également à la grandeur sociale du footballeur quand on connaît son immense carrière au sein du club londonien. Le joueur de football est donc présenté comme un modèle.
Politique et marché de l’art. Kehinde Wiley.
Le marché est peut-être le lien le plus évident entre le football et l’art. Les prix exorbitants des joueurs se comparent facilement aux montants outranciers des œuvres d’art. Il est un artiste qui montre bien ce lien. Il s’agit de l’artiste américain connu depuis 2018 pour avoir réalisé le portrait officiel de Barack Obama, il expose aujourd’hui pour la grande galerie Daniel Templon.
L’œuvre de l’artiste est constitué de portraits de célébrités du monde entier ou bien d’anonymes de Brooklyn. Tous sont également, comme il le dit dans une interview des types d’autoportraits[1] : « much of what I do now is a type of self-portraiture.[2] » C’est dans cette mesure que l’on comprend le parallèle entre la mythologie personnelle de l’artiste et le football.
En 2010, il réalise une huile sur toile qui représente trois footballeurs iconiques de plusieurs sélections nationales africaines. Il s’agit du Gahnéen John Mensah, du Camerounais Samuel Eto'o et de l'Ivoirien Emmanuel Éboué. Le parallèle est vite dressé entre ces quatre protagonistes. Ce sont des hommes noirs issus de la classe populaire qui occupent aujourd’hui une place importante dans leurs milieux respectifs. L’artiste interroge la complexité de la personnalité des joueurs de football ainsi que sa propre identité. Le paradoxe de la mondialisation et du patriotisme est au cœur des enjeux de ces portraits. En effet, l’artiste travaille avec la marque Puma; une marque internationale et intégrée dans un système capitaliste et mondialisé. Kehinde Wiley est donc rattaché à une culture internationale et globale par sa collaboration avec Puma mais aussi par son mode de travail inclus dans un marché de l’art puissant. Les joueurs de footballs se reconnaissent eux aussi dans ce système monétaire, leurs images peuvent être utilisées dans la publicité. Sur le triple portrait on voit bien comment le maillot de foot avec son logo, prend une place presque plus importante que la figure du footballeur. Dans ce cas, Kehinde Wiley joue avec la marchandisation des joueurs de football ainsi qu’avec le monde de l’art contemporain.
Cette démarche ironique et sarcastique sur la globalisation, s’accompagne d’une réflexion sur l’identité. Kehinde Wiley joue sur deux tableaux, à la fois à une échelle internationale saisissant les enjeux de la globalisation et à la fois à une échelle individuelle captant l’identité du modèle. “it became much more about arguments surrounding identity, gender and sexuality, painting as a political act, questions of post-modernity,”[3]. En tant que peintre, Kehinde Wiley réutilise des motifs de la grande histoire de l’art. On retrouve souvent l’esthétique des vitraux comme les motifs éclatés derrière le portrait de Samuel Eto’o. On retrouve également des symboles chargés comme les clés sur ce même portrait qui nous rappelle les clés de St Pierre dans la religion chrétienne. Le peintre a choisi dans le portrait des trois joueurs une attitude là aussi très connotée en histoire de l’art qui est proche de la posture des trois grâces que l’on retrouve dans la peinture et dans la sculpture occidentale. Cette posture est liée à une imagerie féminine. Dans une démarche tout à fait post moderne Kehinde Wiley rend hommage à la grande culture tout en détournant les codes. Ici le peintre questionne la masculinité chez ces joueurs qui sont censés incarner une virilité sans faille. L’allusion aux trois grâces, les corps qui se touchent, l’homoérotisme qui se dégage de ces corps brillants semble tourner en dérision cette vision du masculin.
Enfin, Kehinde Wiley choisit de placer en arrière-plan des motifs africains qui rappellent les origines nigériennes de l’artiste. Cette confrontation entre culture occidentale et culture subsaharienne montre une fois de plus le lien entre foot et art dans la mesure où les joueurs de football sont représentés à l’occasion du mondial de football en Afrique du Sud et non pas dans leurs costumes de joueurs de club (chacun évoluant dans un club européen). Les joueurs sont ainsi représentés en tant qu’africains et non en tant qu’occidentaux.
Le portrait des joueurs de foot peut donc aussi être un autoportrait de l’art comme semble le voir Kehinde Wiley[4].
Djibril Cissé et Marcel Duchamp création des images et approche sociale
En 2015, le duo d’artiste français Nøne futbal club[1]demande à l’ancien joueur de l’équipe de France Djibril Cissé de collaborer avec eux pour une œuvre multidisciplinaire. Le projet consiste à reproduire la célèbre photo de Man Ray montrant la tonsure de Marcel Duchamp en forme d’Etoile. La coupe de cheveux dada de Marcel Duchamp avait été photographiée par Man Ray dans les années 20 suite à son retour d’Argentine. La photo est une référence ironique à la pratique religieuse de la tonsure dans le clergé. Cette photo est également un manifeste de la démarche dadaïste d’une création libre. Le duo d’artiste Nøne futbal club réexploite cette idée de liberté. Ils ont constaté, en effet, que la coupe de cheveux est l’un des seuls espaces de liberté chez le footballeur. Le joueur de football est en effet uniformisé, selon des codes physiques particuliers, selon un équipement précis et également selon un comportement homogène. L’une des manières de se distinguer se trouve notamment dans la coupe de cheveux. En partant de ce constat, les artistes ont créé un ensemble d’œuvres mêlant installation, photographie et film qui reprennent différents codes de la culture de masse comme la publicité, le documentaire, l’image de marque, etc… le football est ici traité comme un milieu particulier où l’image a un rôle déterminant. Les deux Français montrent comment l’image se forme à travers un match télévisé mais aussi en dehors du stade, chez les supporters ou dans la publicité. En partant d’une référence artistique Nøne futbal club arrive à nous donner avec humour et avec pertinence un aperçu du milieu sportif footballistique.
Zidane, un portrait du XXIe siècle.
Douglas Gordon et Philipe Parreno créent en 2009 un film sur l’icône du football Zinedine Zidane. Le film est sans doute la référence la plus évidente lorsque l’on parle de football et d’art. En effet, dans ce film, le football est traité comme un drame. Le match de 90’ minutes devient une pièce de théâtre dont l’acteur principale est Zinedine Zidane. Les caméras sont fixées sur le visage du joueur madrilène sans jamais montrer les autres joueurs ni même le ballon. La narration est effective seulement par les expressions du footballeur.
Le travail sur le temps est remarquable car le film dure le temps d’un match de foot. Il est construit selon le scénario du match, avec la mi-temps et les arrêts de jeux qui constituent en soit une temporalité singulière. Le film n’est pas pour autant un match tel qu’on peut le voir à la télévision et qui sera oublié aussi vite. Il prend le contre-pied de ce processus en le faisant survivre. La volonté de l’artiste était en effet de choisir un match quelconque du championnat espagnol, aussi pour se rendre compte de la réalité de la carrière de footballeur. Le traitement de la lumière est une notion centrale de cette œuvre. Le travail sur l’ombre et la lumière nous renvoie aussi à la peinture de Goya ; référence renforcée par le fait que le match se déroule à Madrid non loin du Prado. Enfin, le mélange d’images constitue une œuvre singulière. Les artistes ont utilisé des images de télévision ainsi que des images issues de caméras argentiques et autres caméras. Le défaut de cadrage, la surexposition sont autant d’erreurs qui forment un portrait vivant et singulier du footballeur.
Un portrait des portraits.
L’éloignement du portrait de footballeur avec le portrait d’art au XXe siècle, réside peut-être dans le processus de déconstruction de la subjectivité porté par la psychanalyse. Le virage moderne de l’art qui refuse le portrait comme représentation visuelle ne concerne pas le portrait de footballeur qui s’accroche à la tradition du XIXe siècle. Le manifeste du Futurisme est sans concession, « le portrait, pour être une œuvre d’art, ne peut et ne doit plus ressembler à son modèle »[1].
Dans un premier temps, on serait tenté de dire que le joueur de football n’est intéressant que par son identité de sportif. Sa représentation ne serait donc que portée sur le corps, laissant fatalement tout intérêt pour son caractère individuel. Il existe effectivement des portraits comme à Arsenal qui montrent ces footballeurs sans failles et idéalisés. Heureusement, il existe aussi des portraits qui mettent en avant l’environnement social, politique, identitaire du joueur de foot. C’est le cas par exemple de Kehinde Wiley qui montre l’environnement culturel du footballeur. Ou bien Le Nøne futbal club qui trouve un intérêt dans la création des images dans le milieu du footballeur. C’est le cas enfin chez Parreno qui fait rentrer le joueur de football dans le vocabulaire artistique. Par tous ces exemples on se rend bien compte qu’il n’existe pas de portrait de footballeur mais bien des portraits de footballeurs. Des portraits qui portent en eux le langage de l’art contemporain.
Bibliographie :
- L. Alexandre, Les enjeux du portrait en art, l’Harmattan 2011.
- Anne Beyaert-Geslin, Sémiotique du portrait, Deboeck, 2017.
- T. GAEHTGENS et G. Wedekind, Le culte des grand hommes 1750-1850, Passages 2009.
- Francesco Petrarca, De Viris Illustribus. Adam – Hercules, Messine, Université d’étude de Messine, 2008.
notes:
[1] L’officialisation d’un buste du joueur portugais à l’aéroport de Madère avait fait un taulé sur les réseaux sociaux.
[1] Francesco Petrarca, De Viris Illustribus. Adam – Hercules, Messine, Universitée d’étude de Messine, 2008
[1] Pour consulter l’intégralité de son interview, voir le site officiel de l’artiste. https://kehindewiley.com [2] Citation extraite de l’interview sur son site officiel. url, consulté le 17/01/2020 [3] Citation extraite de l’interview du site officiel. https://kehindewiley.com consulté le 17/01/2020. [4] Creen Julie, « Kehinde Wiley”, ARTPRESS no 396, janvier 2013, p.28.
[1] Pour consulter le site internet du groupe. https://nonefutbolclub.com/Texts.
[1] Le Manifeste du futurisme, rédigé par F.T. Marinetti est publié en français le 20 février 1909 dans le Figaro.
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