L’exposition « Yves Saint Laurent : les coulisses de la haute couture à Lyon » révèle les liens entretenus par la maison de couture parisienne et le savoir-faire de tout un territoire. Un hommage au travail du couturier mais aussi à ces fabricant·e·s de l’ombre, les soyeux et fournisseur·euse·s de tissus lyonnais. Quarante ans de collaboration mis en lumière à travers une exposition qui se veut comme une ode à la matière, à l’innovation technique d’une industrie textile au service de la beauté.
Termes : Yves Saint Laurent / exposition / mode / Lyon / patrimoine / artisanat / culture / tissus / évènement.
Exposition : « Yves Saint Laurent : les coulisses de la haute couture à Lyon » du 9 novembre 2019 au 8 mars 2020.
Fig 1 : Entrée du Musée des Tissus pour l’exposition Yves Saint Laurent : les coulisses de la haute couture à Lyon, Musée des Tissus Lyon, 7 novembre 2019. Copyright : auteur.
Les expositions de mode et de grand·e· couturier·e attirent une foule conséquente de visiteur·euse·s chaque année. On peut citer l’exemple de l’exposition Christian Dior, couturier du rêve au Musée des arts décoratifs de Paris qui avait attiré plus de 700 000 visiteur·euse·s en 2017. Par conséquent le Musée des Tissus de Lyon s’inscrit dans cette lignée afin de conquérir le public pour cette exposition qui se veut être la plus glamour de l’agenda culturelle lyonnais.
L’exposition « Yves Saint Laurent : les coulisses de la haute couture à Lyon » est un hommage à l’histoire commune d’un des plus grands couturiers du XXe siècle et de l’industrie textile de la région lyonnaise. Une visite au cœur de la création, de la matière et de l’innovation d’un créateur de légende et des artisan·e·s de l’ombre : les fabricant·e·s et fournisseur·euse·s de tissus lyonnais, avec qui Yves Saint Laurent a marqué l’histoire de la mode : une exposition qui fait l’éloge de la beauté et de la matière[1].
Le défi de la première exposition de réouverture du Musée des Tissus de Lyon est de rendre pédagogique la matière en l’organisant par type de matériaux chez chaque fournisseur·euse lyonnais·e. La matière, le tissu est au centre de cette exposition et le travail d’Yves Saint Laurent est sublimé au même titre que ces maisons de fabricant·e·s lyonnais·e·s.
Le Musée des Tissus
La Ville de Lyon est un carrefour de l’industrie textile depuis le Moyen Âge. La matière était importée et vendue lors des foires organisées sans être soumise aux taxes. La ville deviendra une ville tisserande au cours du règne de François Ier et continuera à être un grand lieu de fabrication de soierie et autres tissus de qualité qui feront la renommée de la ville. C’est cette excellence technique qui sera recherchée par les maisons de couture[2].
Le musée des tissus de Lyon, abrite 2 millions d’œuvres couvrant 4500 ans d’histoire de la matière. Ce trésor de production textile, a longtemps été l’objet d’incertitudes sur son avenir. En effet en 2017, le musée des tissus a été cédé pour 1 euro symbolique par la Chambre de Commerce et de l’Industrie à la région Auvergne Rhône-Alpes en échange d’une participation de l’État et d’un investissement important de la collectivité à hauteur de 10 millions d’euros.
Cette exposition audacieuse sur Yves Saint Laurent sonne comme un coup d’éclat et marque le point de renaissance du musée des tissus après des périodes incertaines. En effet de nombreuses expositions sur des grand·e·s couturier·e·s avaient déjà été organisés dans ses murs comme les expositions Mariano Fortuny (1980), Cristobal Balenciaga (1985), Jeanne Paquin (1989), Madeleine Vionnet (1994), Olivier Lapidus (1997), Léonard (2006) ou dernièrement Franck Sorbier (2009).
Pourquoi cette exposition est unique ?
Le projet d’une exposition sur Yves Saint Laurent est né de la volonté du musée des tissus de renouer avec des expositions d’envergure. La présence dans le comité scientifique du musée d’Aurélie Samuel[3] est l’un des points de départ de ce magnifique projet, pour aider le musée des tissus de Lyon. C’est la première fois pour le musée Yves Saint Laurent Paris qu’une exposition est créée en partenariat hors les murs du musée parisien. Cette exposition fut conçue en 6 mois, en collaboration avec les deux musées pour le travail colossal d’identifications des fournisseur·euse·s lyonnais·es de la haute couture et leurs contributions dans les créations de celle-ci durant toute la période d’activité d’Yves Saint Laurent de 1962 à 2002[4].
Un travail complexe de décortication qui aboutit à 8 noms de maisons lyonnaises mises à l’honneur dans l’exposition, avec lesquelles Yves Saint Laurent a collaboré durant quarante ans : cinq soyeux : Bianchini-Férier, Bouton Renaud, Brochier, Hurel et Sfate & Combier, mais aussi les intermédiaires qui faisaient fabriquer les étoffes, notamment les maisons Bucol, Abraham et Beaux Valette[5].
25 silhouettes mannequinées et accessoirisées issues des collections du musée Yves Saint Laurent Paris sont exposées. Certaines sont présentées pour la toute première fois. Toutes ces silhouettes ont en commun le textile lyonnais, différentes matières et spécialités des maisons lyonnaises qui permettent de découvrir le travail du couturier mais surtout glorifie le travail des artisan·e·s de l’ombre et la technicité unique et moderne des matériaux utilisés.
« La haute couture, c’est la matière (…) » Yves Saint Laurent – cité dans Baby Yvonne, Portrait de l’artiste, Le Monde, 8 décembre 1983.
D’autre part, des échantillons textiles sont présents sous forme de robracs[6] ou sous forme de livres d’échantillons comme des nuanciers. La matière est partout et le·la visiteur·euse peut la comparer avec les silhouettes qui sont le résultat final.
Des croquis originaux, des documents d’archives comme des fiches de manutention, des photographies inédites de défilé ou de publicités d’époques, des bons de commande, ainsi que des interviews filmées des collaborateur·trice·s sont également là pour que les visiteurs soient au plus près de la création artistique et découvrent tous les aspects du processus créatif du couturier[7]. L’objectif est de comprendre les différentes étapes et la fabrication d’une pièce de haute couture comme c’est le cas avec la monstration d’une toile préparatoire pour l’ensemble de soir de la collection haute couture automne-hiver 2000 qui comporte un manteau ¾ en faille moirée changeante mauve de la maison Bucol. En conséquence le·la visiteur·euse a la chance d’approcher au plus près des pièces uniques de haute couture mais également d’appréhender toutes les étapes de sa réalisation.
Au fil de l’exposition
L’exposition s’organise autour d’une pièce principale où se trouvent d’un côté les fabricant·e·s lyonnais·es et de l’autre une chronologie d’Yves Saint Laurent.
Les fabricant·e·s lyonnais·es sont choisis pour des matières textiles de prédilections sélectionnées par le couturier, par exemple la mousseline, le crêpe, le velours, le taffetas et la faille. Le « brocart[8] » sélectionné par Yves Saint Laurent chez la maison Denis pour Abraham est décliné à foison dans toute une série d’accessoires, robes, vestes, au total pas moins de vingt-deux versions différentes d’un même tissu pour la collection haute couture de l’hiver 1989. Mais le couturier s’intéresse aussi à des matières plus innovantes comme la cigaline[9], un tissu imaginé par la maison Bucol qui symbolise toute une époque, celle de la révolution sexuelle où les corps se révèlent, des nus habillés qui feront parfois scandale. Il y a aussi des tissus aux matières très innovantes comme des fibres synthétiques telles que le Lurex[10], moins lourd, qui remplace les traditionnels lamés métalliques. Les poils de velours sont également remplacés par des lamelles métalloplastiques, des fils de polyester sont mélangés à de la soie. Tous ces matériaux modernes pour l’époque sont utilisés très tôt par Yves Saint Laurent en collaboration avec la maison lyonnaise Abraham, pionnier dans le développement de ces nouvelles matières qui offre à Lyon une place de choix dans ces innovations technologiques en matière de création textile.
Fig 2 : Robe du soir collection haute couture automne-hiver 1986, tissu réalisé par Pernet Velours pour la maison Abraham, Musée des Tissus Lyon, 7 novembre 2019. Copyright : auteur.
Ce parallèle entre la matière et les silhouettes permet de comprendre de quoi sont faites les robes, quel tissu est utilisé pour telle robe ? pourquoi ce tissu est plus apte qu’un autre ? Tous ces questionnements trouvent une réponse dans la scénographie de cette grande pièce qui s’apparente à une galerie avec, à gauche, des alcôves mettant à l’honneur chaque maison lyonnaise, et à droite la chronologie du couturier. Au centre, un corridor nous fait automatiquement penser à un podium nous menant à un grand panneau photographique d’Yves Saint Laurent dans son atelier pour les essayages.
Fig 3 : Intérieur de l’exposition Yves Saint Laurent : les coulisses de la haute couture à Lyon, Musée des Tissus Lyon, 7 novembre 2019. Copyright : auteur.
Le spectateur·trice, déjà plongé dans le noir, se retrouve alors au milieu de ces essayages dans l’atelier du couturier qui admire impassible d’un œil aiguisé le tissu, le modelé, la coupe.
Fig 4 : Intérieur de l’exposition Yves Saint Laurent : les coulisses de la haute couture à Lyon, Musée des Tissus Lyon, 7 novembre 2019. Copyright : auteur.
Une autre pièce du musée est consacrée à une seule création phare de l’exposition ; la robe de mariée dite : « Shakespeare » modèle de la collection haute couture automne-hiver 1980, où Yves Saint Laurent rend hommage aux poète·sse·s qui l’inspirent. Cette sublime robe dorée, parée de bijoux et portée le jour du défilé par la mannequin Mounia Orosemane dans une mise en scène d’icône byzantine, est un joyau de savoir-faire technique qui a été confectionné par une collaboration unique de cinq maisons lyonnaises, les maisons Abraham, Bianchini-Férier, Hurel, Bucol et Mérieux[11].
Fig 5 : Robe de mariée dite : « Shakespeare » collection haute couture automne-hiver 1980, Confectionné par la collaboration unique de cinq maisons lyonnaises : Abraham, Bianchini-Férier, Hurel, Bucol et Mérieux, Musée des Tissus Lyon, 7 novembre 2019. Copyright : auteur.
Le spectateur·trice fait une plongée dans la matérialité et les prémisses de la création avec un autre espace conçu comme un studio de couture. Ce lieu comporte les tissus, les échantillons et gammes de couleurs qui inspire le couturier, comme le·la peintre et sa palette de couleurs. Par ailleurs des imprimés de grandes tailles sont installés au mur tel des monochromes de tissus, comme pour faire reconnaître l’importance de la mode dans les cultures visuelles, et rendre hommage à ces artisan·e·s de l’ombre. En outre, cette pièce comporte des interviews filmées des différent·e·s collaborateur·trice·s du couturier, fabricant·e·s et autres protagonistes dans le processus créatif d’une collection. De cette manière on peut assimiler et restituer plus facilement le rôle de chacun·e pour ceux qui ne sont pas familier·e·s avec la haute couture et la création textile dans son ensemble.
« (…) c’est vous en face du tissu et de la couleur, vous qui devez, de la même manière que le peintre avec ses pinceaux, le sculpteur avec sa glaise, taper dans la matière. » Yves Saint Laurent – cité dans Baby Yvonne, Portrait de l’artiste, Le Monde, 8 décembre 1983.
Le coup de cœur
La touche émouvante de l’exposition se trouve au début de la chronologie du couturier. En effet, à l’âge de seize ans, Yves Saint Laurent crée des modèles papiers : Les paper doll. Des mannequins de papier prédécoupés dans les magazines de l’époque où le futur couturier dessine des robes qu’ils découpaient par la suite de façon à les rendre interchangeables. Il les fixait ensuite sur des mannequins avec les inspirations des tissus qu’il voyait dans les magazines et journaux de mode, notamment des tissus des maisons lyonnaises comme Abraham ou Bianchini Ferier qu’il annotait au verso de ses croquis. L’adolescent d’Oran imaginait alors des robes avec tels ou tels tissus mais pensait aussi au défilé, à la scénographie et aux invité·e·s de ses défilés imaginaires : une plongée dans l’intimité rêveuse et très inventive d’un adolescent qui dès son plus jeune âge a voulu habiller les femmes. Ces Paper doll sont un aspect très poétique de l’histoire d’Yves Saint Laurent mais aussi de l’exposition dans un monde, la haute couture, qui peut paraître assez protocolaire.
Ce qu’il faut retenir
Cette exposition événement du musée des tissus offre aux visiteur·euse·s de nombreux avantages. En effet ce dialogue permet de découvrir les créations d’Yves Saint Laurent et grâce à de nombreux documents d’archives de comprendre la création de la haute couture. De la matière naît une robe, car comme le disait Yves Saint Laurent, « Je vois des tissus qui me donnent l’idée d’une robe[12]. ». Avec cette exposition la matière et le savoir-faire unique des artisan·e·s lyonnai·e·s sont mis en valeur et sublimé par le travail de la maison Saint Laurent. Pensée comme un dialogue et non comme une dualité, la maîtrise de ce travail d’orfèvre est sublimée par cette exposition.
Un catalogue de l’exposition est également en vente au prix de 35 euros pour les curieux·euses. Ce catalogue s’apparente à un beau livre puisque Libel (la maison d'édition) recrée au fil des pages cette matérialité tant voulue par cette exposition[13]. En effet, la photographie est très présente avec plus de cent soixante clichés utilisés qui offrent pour certaines des impressions de matière par leurs qualités et leurs effets de zoom[14]. On veut rendre visible la texture de chaque matière à travers ces détails photographiques uniques et ces documents d’archives inédits de la maison Yves Saint Laurent.
Informations pratiques :
Du 9 novembre 2019 au 8 mars 2020, au Musée des Tissus, 34 rue de la Charité, Lyon 2e.
Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h
Entrée : 12 € (gratuit pour les moins de 12 ans).
Tél. : 04 78 38 42 00
Site : www.mtmad.fr
Direction de l’exposition :
Commissariat :
- Esclarmonde Monteil, conservatrice en chef du patrimoine, directrice du Musée des Tissus de Lyon.
- Aurélie Samuel, conservatrice du patrimoine, directrice des collections du Musée Yves Saint Laurent Paris.
Scénographie :
- Agence NC, Nathalie Crinière et Taoyu Wang.
[1] Musée Yves Saint Laurent Paris, 2019 : Yves Saint Laurent, les coulisses de la haute couture à Lyon, consulté le 23/11/19, URL : https://museeyslparis.com/expositions-hors-les-murs/yves-saint-laurent-les-coulisses-de-la-haute-couture-a-lyon
[2] Esclarmonde Monteil, Aurélie Samuel (dir.), Yves Saint Laurent – Les coulisses de la haute couture à Lyon, 2019, Libel, Lyon.
[3] Aurélie Samuel : Conservatrice du patrimoine et directrice des collections du musée Yves Saint Laurent Paris.
[4] Librairie Michel Descours, 2019 : Présentation de l’exposition Yves Saint Laurent, les coulisses de la haute couture, du musée des tissus de Lyon et du catalogue publié par Libel. Librairie Michel Descours, 26 novembre 2019, Lyon.
[5] Musée des tissus de Lyon, 2019 : Yves Saint Laurent, les coulisses de la haute couture à Lyon, consulté le 23/11/19, URL : https://www.museedestissus.fr/exposition-yves-saint-laurent/
[6] Robracs : Morceaux d’étoffe, pour la présentation d’un échantillon de tissu à des fins commerciales.
[7] Garrigues Manon, « Yves Saint Laurent en majesté à Lyon », Vogue, 18/11/2019, consulté le 28/11/19, URL : https://www.vogue.fr/culture/article/yves-saint-laurent-exposition-lyon
[8] Brocart : Étoffe de soie rehaussée de dessins brochés d’or et d’argent.
[9] Cigaline : Tissu en nylon tout en transparence qui nous rappelle les ailes d’une cigale.
[10] Lurex : Lamés de fils métalloplastique.
[11] Philibert Anne Elizabeth, « La fidélité d'Yves Saint Laurent à la soierie lyonnaise : une exposition événement au Musée des Tissus à Lyon », France info, 2019 publié le 08/11/19, consulté le 28/11/19, URL : https://www.francetvinfo.fr/culture/la-fidelite-d-yves-saint-laurent-a-la-soierie-lyonnaise-une-exposition-evenement-au-musee-des-tissus-a-lyon_3694525.html
[12] 20 ans magazine, 1973 : Charier Sylvie, « Yves Saint Laurent parle de la mode, de sa mode, de la vie », 20 ans, 20 avril 1973.
[13] Esclarmonde Monteil, Aurélie Samuel (dir.), « Yves Saint Laurent – Les coulisses de la haute couture à Lyon », 2019, Libel, Lyon.
[14] Librairie Michel Descours, 2019 : Présentation de l’exposition Yves Saint Laurent, les coulisses de la haute couture, du musée des tissus de Lyon et du catalogue publié par Libel. Librairie Michel Descours, 26 novembre 2019, Lyon.
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