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L’esthétique POTACHE OU LA LIBÉRATION DES TABOUS.Manifeste à partir de mon expérience personnelle



« Faîtes en sorte que ce ne soit pas potache », « C’est de l’humour Canal ».

Tels sont les commentaires récurrents que j’ai pu entendre lors de mon cursus aux Beaux-Arts de Lyon.

Il m’est apparu (peut-être à tort) que dans un monde de l’art blasé, où la transgression est permanente, où ni sexe, ni sang ne font plus peur, où aucune règle morale ne subsiste, il m’est apparu qu’un seul épouvantail était désormais capable de faire perler des gouttes de sueur sur le front des commissaires d’exposition : LE POTACHE ! Arme terrible, s’il en est, qui ne respecte que le mauvais goût, l’absence de subtilité, la vulgarité, et la blague lourdingue.


Depuis leur condamnation par Kitsch et Avant-Garde de Clément Greenberg (1939) ou La société du spectacle de Guy Debord (1967), ces esthétiques semblent majoritairement honnies du monde de l’art.


Le monde de l’art, en France du moins, est une société sérieuse, où le musée, ô sainte institution, a remplacé la vénération qu’exerçait l’église chez nos ancêtres. L’église avait le goût du faste, du mouvement, de l’exaltation ; les nouveaux lieux de cultes culturels ont le goût du minimalisme, du blanc immaculé, de la pureté, de la désincarnation et des typos linéales. Certes c’est la classe, mais quel ennui ! L’art se veut bien souvent une alternative aux systèmes de pensée dominants. Mais aujourd’hui, peut-il encore le revendiquer quand le monde du white cube ressemble tant à l’hygiénisme, à la prédominance de la raison, et à la comptabilité analytique qui hantent le monde contemporain ?


Les formes issues de la télévision, du cinéma populaire font peur, la goût de la blague est méprisé. Pourquoi ? Parce que l’art, discipline noble dopée au mythe de l’artiste génie de la Renaissance, rehaussé de romantisme dépressif et achevé à grand coup de culte des avant-gardes, a pour reliquaire le musée, nouveau lieu saint de l’Occident. Seul l’homme compte, Dieu est mort, l’artiste est le porte-parole de cette race humaine élue par le hasard ; nous allons au musée pour nous recueillir, mains jointes dans le dos, sourcils froncés, l’esprit plongé dans les tortures mentales que nous impose la dictature du concept. Tout cela n’est pas bien drôle, tout cela est froid. Tout cela est mortifère.


Pourquoi cette foutue typo linéale et ces foutus entrepôts (car la pierre c’est vieux jeu) empêchent-ils l’être humain de ressentir les émotions que prétendent lui transmettre la télévision, le cinéma, et le théâtre ? Pourquoi tant de cloisonnements dans un lieu qui a pour vocation de rassembler TOUTES les formes ? Enfin pourquoi se complaire dans un académisme contemporain qui a pour moteur le rejet du vieux et du mainstream ?


Le potache, épaulé du kitsch et du mauvais goût est une arme de résistance face à l’ennui, la tristesse, et le désespoir. Face à la rigidité et au bon goût que nous impose une société maniaque de l’hyper-contrôle, une bouffée d’oxygène nous est offerte dans ce monde anxiogène. Je revendique, à ce propos, une fonction divertissante à l’art.


Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas de défendre les contenus abrutissants que peuvent nous proposer les médias. Par l’utilisation du second degré, le potache, le kitsch, et le mauvais goût transcendent ces formes en leur donnant une signification nouvelle. Et, surtout ils nous ouvrent des perspectives de liberté incroyables ! Par la mise à distance que permet une forme ludique et plaisante ils permettent de traiter les zones les plus obscures de la psyché humaine, les tabous, les malaises, le refoulé. Le second degré a une fonction d’écran qui nous préserve de l’insoutenable violence de certaines émotions et expériences.


Dans L’Insoutenable légèreté de l’être Milan Kundera considère que « Le kitsch refuse de voir la merde », c’est faux ! Le kitsch c’est voir la merde, c’est même transcender la merde. À l’image de la tragédie, le kitsch fait catharsis. Ici ce n’est plus la beauté qui soigne mais l’humour.



 


J’aimerais à présent illustrer mon propos à l’aide d’un exemple réalisé en 2018.


Les Tourments de Jean-Jacques est une comédie musicale kitsch et bouffonne sur le thème du désir sexuel. À travers l’opposition de personnages antithétiques, incarnant un idéal éthéré d’amour platonique ou de désir physique brûlant, le film se propose de suivre les pérégrinations de Jean-Jacques, valet devenant vicomte suite à la mort de son maître. Jean-Jacques est naïf, coincé, ridiculement idéaliste et confronté à une peur maladive du sexe et du pulsionnel qui le mènera à la castration.

(Effrayé par les désirs brûlants de la séduisante veuve vicomtesse avec laquelle il se marie, Jean-Jacques s’en remet aux conseils intéressés de Jean-Philippe, le nouveau valet. Il mourra tragiquement mutilé).



Emmanuel Causse, Les Tourments de Jean-Jacques, 2018, film, 28 minutes.

Jean-Jacques confronté aux confessions zoophiles de son maître sur le champ de bataille.


Avec ses élans lyriques, ses sentiments exaltés, ses dialogues ampoulés, le film hérite de la littérature amoureuse du XIXe siècle et des mélodrames, romans-photos et films kitsch où idéalisme, bienséance et refoulement règnent en maîtres. Ici, comme un vaccin, le remède consiste à vaincre le mal par le mal; l’idéalisme est moqué par une surcharge abrutissante d’artifices et de stéréotypes. Tourné intégralement en studio sur fond bleu les décors sont bucoliques et pittoresques, au renfort de plantes et fleurs artificielles et de paysages incrustés en post-production.

Par ses choix esthétiques et de mise en scène ce court-métrage se veut une forme hybride entre le cinéma et le théâtre. Le but est également d’interroger la représentation des passions dans les médias, la culture, et l’industrie du divertissement.



Jean-Philippe enseignant à Jean-Jacques l’art de l’émasculation.



Dans le film, le potache, la blague, la surenchère d’artifices, de kitsch et de mauvais goût permettent d’aborder des angoisses primitives avec légèreté, ouvrant ainsi la voie à la catharsis et à la résilience.



La vicomtesse Jeanne succombant aux avances de Jean-Philippe sur la tombe de feu Jean-Jacques.

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