Ils comptent parmi les invisibles des musées et sont pourtant des milliers : fragiles, extrêmement sensibles à la lumière, les dessins restent la plupart du temps dans les réserves des musées et ne sont dévoilés au public que le temps de courtes expositions. Cet abécédaire illustré (1) propose d’apprendre à mieux les connaître.
François Boucher, Buste d’une jeune femme de dos, vers 1740, 28,7 x 23,6 cm, trois-crayon sur papier coloré, Collection Jean Bonna, Genève
ARTS GRAPHIQUES
Les arts graphiques sont une désignation générique associée à diverses productions artistiques. En France, au sein des musées, les départements d’arts graphiques regroupent les collections de dessins, d'estampes, de photographies, de pastels, parfois aussi, faute de réserves spécialisées, les collections des manuscrits et des miniatures. Selon le CNRTL (2), les arts graphiques sont les « arts dont la technique de représentation utilise les lignes ou les courbes (dessin, gravure), et par extension, tout procédé de reproduction (typographie, photographie) ».
Au sein des départements d’arts graphiques, les dessins sont souvent réunis en une entité indépendante, le Cabinet des dessins.
BISTRE
De couleur brunâtre, le bistre est obtenu en mélangeant de la suie et de l’eau. Son coût modéré en fait un matériau plébiscité par de nombreux.ses dessinateurs.trices jusqu’à la fin du XIXe siècle.
CONTRE-ÉPREUVE
Une contre-épreuve est la réplique inversée d’un dessin. Elle est obtenue par pression du dessin original contre une feuille vierge. En résulte un dessin aux traits moins marqués, mais qui présente de nombreux avantages : la contre-épreuve permet ainsi de retravailler un dessin original ou encore d’en produire des multiples.
DIVERSITÉ
Le dessin a en réalité de multiples identités. Sous cette dénomination, on regroupe en effet des productions aux formes et fonctions très diverses : œuvres d’art autonomes, mais aussi croquis sur le vif, études d’après modèle, modello (étude préparatoire à la composition d’une œuvre d’art), programmes architecturaux ou décoratifs, projets de sculpture ou de mobilier, dessins d’illustration, dessins de presse … Les dessins sont ainsi largement liés à la production artistique (peinture, sculpture, arts décoratifs) et à la création visuelle en général.
G. Boffrand, Projet de décor de la Chambre du prince de Rohan à l’Hôtel de Soubise, 1735-1736, encre noire sur papier, Cooper–Hewitt, Smithsonian Design Museum, New York
ENCRES
De nombreux dessins sont réalisés à la plume. Les encres se définissent par leur couleur (le plus souvent noire ou brune) et par leur composition. Certaines sont produites par l’artiste lui.elle-même. Les encres au noir de carbone sont obtenues grâce au mélange d’un élément liquide avec le produit d’une combustion (encre de Chine, bistre), tandis que les encres métallo-galliques sont fabriquées à partir de sels minéraux et de tanins (substances végétales). Le sépia est une encre brune naturelle produite par la seiche.
L’usage d’une encre métallo-galliques ou du sépia peut compliquer la conservation du dessin ; en effet, les sels contenus dans la première peuvent attaquer le papier et la seconde, instable, a tendance à s’effacer.
FILIGRANE
Le filigrane est un motif que certains papetiers intègrent à la feuille lors de sa fabrication. Visible par transparence, le filigrane permet d’identifier le fabricant ou encore d’apporter des informations liées au papier (qualité, date de production, format, etc.).
FAC-SIMILE, FACTICE
A ne pas confondre entre eux, un fac-similé et un recueil factice n’ont rien en commun. Alors que le fac-similé est une reproduction à l’identique d’un dessin (dans un but pédagogique), un recueil factice est un ensemble de dessins originaux. Il est dit « factice » car ces dessins ont été réunis de manière artificielle et n’ont pas été produits ensemble, a contrario d’un carnet de croquis réalisé par un.e artiste par exemple. Un recueil factice peut ainsi rassembler des dessins distants de plusieurs siècles ou bien encore des œuvres réalisés par différents artistes.
HACHURES
Les hachures sont un ensemble de lignes servant à produire une demi-teinte ou à donner l’illusion d'un relief. Les hachures dites « à l’anglaise » sont parallèles et ne se coupent pas, tandis que les hachures dites « à l’italienne » s’entrecroisent.
M. Raimondi, Apollon (détail), 1554, 24,0 x 18,2 cm, encre brune sur papier, Galerie Nationale, Prague
INTENSITÉ LUMINEUSE
La lumière entraîne une dégradation irréversible des œuvres. C’est pourquoi les dessins, du fait de leur grande sensibilité, sortent si peu des réserves où ils restent dans l’obscurité. L’effet de la lumière étant cumulatif, on estime que la Dose Totale d’Exposition (DTE) annuelle à laquelle un dessin peut être soumis ne doit pas dépasser l’équivalent de 3 mois d’exposition sous une lumière de 50 lux (unité de mesure de l’intensité lumineuse).
JABACH et les autres
Everhard Jabach (1618-1695) fut un riche collectionneur qui céda une grande partie de ses collections au roi Louis XIV, parmi lesquels 5.000 dessins qui constituèrent le fonds historique de l’actuel Cabinet des dessins du Louvre. A l’instar de Jabach, de nombreux collectionneurs.ses amoureux.ses du dessin constituèrent d’importantes collections qui ont par la suite rejoint les Cabinets des dessins du monde entier. Qu’ils aient été acquis par l’achat, le don, le legs, ou plus récemment, par dation (don d’une œuvre d’art en échange de l’acquittement partiel de l’impôt), la quasi-totalité des dessins anciens conservés par les musées proviennent de collections privées.
LAVIS
Le lavis permet, grâce à la dilution d’une encre, d’obtenir différentes intensités de couleur. Le lavis crée ainsi de nombreuses nuances donnant l’illusion de relief, de profondeur, d’ombres … Un dessin est dit « lavé » lorsqu’il comporte des lavis, et, par extension, « un lavis » est un dessin exécuté avec cette technique.
S. Freudenberger, La Visite, 18e siècle, encre brune et lavis brun, Bibliothèque Nationale, Bern
MARQUES DE COLLECTION
Une marque de collection est un signe distinctif apposé sur la feuille par le propriétaire du dessin. Il s’agit généralement d’un tampon avec les initiales du.de la collectionneur.se ; mais il en existe autant que d’éléments personnels les liant à leur propriétaire (blason, monuments, animaux…). De collection en collection, une même feuille peut ainsi porter plusieurs marques. Ce sont autant d’indices susceptibles de renseigner l’histoire des dessins, ce qu’on nomme aujourd’hui « l’enquête de provenance ».
Le néerlandais Frits Lugt (1884-1970), en publiant Les Marques de collections de dessins & d’estampes (1921) et leur Supplément (1956), a fourni un outil de référence. Chaque marque est désormais identifiée à un numéro Lugt (du type L.221), y compris celles qu’il reste encore à identifier. Cette base de données très précieuse est aujourd’hui disponible en ligne (3) grâce à la Fondation Custodia.
La marque L.2213a (R.G.S.T)identifiant R. Gutekunst © Fondation Custodia
MINE DE PLOMB et POINTEs métalliques
La mine de plomb, appelée aussi « plombagine », est un type particulier de graphite très pur. Son usage remplace peu à peu les pointes métalliques, comme la pointe d’argent. Les pointes métalliques sont le résultat d’alliage de différents métaux se présentant sous la forme de stylets. La mine de plomb permet d’obtenir des contrastes sur une large gamme de gris et noir. La pointe d’argent, surtout utilisée durant la Renaissance, garantit une grande finesse du trait et est généralement employée sur du papier préparé.
A. Dürer, Etude de deux lions, 1521, 12,1 x 17,1 cm, pointe d’argent sur papier préparé, Cabinet des Dessins, Berlin
NUMÉRISATION
La numérisation croissante des collections d’arts graphiques du monde entier permet aujourd’hui une grande liberté dans l’étude des dessins. De Berlin à Saint-Pétersbourg, de Chicago à Canberra, des catalogues en ligne (4) rendent disponibles des milliers d’images gratuitement, que l'on peut consulter depuis chez soi. Fabuleux outils de travail, ces catalogues permettent aussi bien des rapprochements entre dessins que des « redécouvertes » (nouvelles attributions d’artistes par exemple, ou encore reconstitution de carnets dispersés).
OXYDATION
Parmi les dégradations auxquelles sont exposés les dessins, l’oxydation de la cellulose contenue dans le papier est une altération souvent due à de petits éléments métalliques. Ceux-ci ont pu être intégrés au papier au moment de sa fabrication, par le biais de clous en fer. Également appelée « foxing » ou « piqûres », cette oxydation se traduit par l’apparition de tâches rousses. Ces tâches peuvent être atténuées lors de la restauration - avec grande prudence - à l’aide d’eau ammoniaquée.
Pompeo Batoni, Polyphème (détail), vers 1761, 29,1 x 20,5 cm, sanguine, Musée National des Beaux-Arts, Rio de Janeiro
PAPIERS et autres supports
Le.a dessinateur.trice peut utiliser différents types de supports graphiques, choisis pour leur qualité (grains, épaisseur, longévité) ou encore leur couleur. Les supports d’origine animale (comme le parchemin) présentent une texture et une longévité recherchées pour les dessins les plus précieux. Les papiers d’origine végétale (que nous utilisons encore aujourd’hui) sont apparus plus tardivement, et leurs qualités sont très variables. De plus, ces papiers offrent l’avantage de pouvoir être "préparés" : s’ils sont colorés, ils se révèlent plus solides et permettent un plus grand jeu de contrastes. Les papiers huilés offrent également des qualités proches de notre papier-calque.
A. Dürer, Mains en prière, 1508, 29,1 x 19,7 cm, encre grise et blanche, lavis gris, sur papier préparé bleu, Musée Albertina, Vienne
REHAUTS
Les rehauts sont des touches plus claires, généralement réalisées à la craie blanche ou avec de la gouache. En créant des contrastes, le dessinateur.trice peut ainsi apporter de la lumière au dessin.
Un dessin au trait est également dit « rehaussé » lorsqu’il est peint en couleur.
Thomas Gainsborough, Six études de chat (détail), entre 1763 et 1770, 33,2 x 45,9 cm, pierre noire avec rehauts de craie blanche, Rijksmuseum, Amsterdam
SANGUINE
La sanguine si reconnaissable à son trait rouge-orangé provient de l'hématite, une argile contenant de l'oxyde de fer. Son utilisation se répand au XVIe siècle, en particulier dans les ateliers italiens. Par extension, un dessin monochrome exécuté à la sanguine porte aussi le nom de sanguine. L’école française du XVIIIe siècle, notamment Fragonard et Hubert Robert, en produit à un très haut niveau de virtuosité. La sanguine peut aussi être utilisée par l’artiste pour distinguer entre elles des études superposées sur une même feuille.
TROIS-CRAYONS
La technique dite des « trois-crayons » apporte une palette de nuances au.à la dessinateur.trice. Très prisée pour les portraits, cette technique utilise la pierre noire, la sanguine et la craie blanche réunies. Les traits et les ombres sont ainsi dessinés à la pierre noire, puis la sanguine est utilisée pour ajouter de la coloration ; enfin, la craie blanche apporte de la lumière à l’ensemble.
François Boucher, Buste d’une jeune femme de dos, vers 1740, 28,7 x 23,6 cm, trois-crayon sur papier coloré, Collection Jean Bonna, Genève
VÉLIN, VERGÉ
Au Moyen-Âge, le vélin est une peau de veau mort-né utilisée comme support d’écriture ou de dessin. Ses qualités exceptionnelles (finesse, douceur) et sa rareté font alors du vélin un matériau coûteux.
Au XVIIIe siècle, on parvient à obtenir un « papier vélin » : contrairement au papier vergé, où est visible en relief l’empreinte des lignes de laiton servant à la fabrication du papier (voir illustration), le papier vélin se caractérise par une surface lisse et sans grain rappelant le vélin d’origine animale.
C. Le Brun, Louis XIV visitant la Manufacture des Gobelins (détail), 17e siècle, 58,0 x 92,8 cm pierre noire sur papier vergé, Musée du Louvre, Paris
(1) Les images sont toutes libres de droit (Wikicommons), sauf mention contraire
(2) https://www.cnrtl.fr/definition/graphique, consulté le 10 janvier 2020
(3) disponible au lien suivant : https://www.fondationcustodia.fr/Marques-de-collections-16
(4) quelques exemples de collections muséales en ligne :
http://www.smb-digital.de/eMuseumPlus?service=ExternalInterface&module=collection&moduleFunction=highlight&filterName=filter.collection.highlights.1900 (Cabinet des dessins de Berlin)
https://sammlungenonline.albertina.at/default.aspx?lng=english2#/query/641819ed-8285-4927-b4aa-543763e87cfd (musée Albertina de Vienne)
http://collection.nationalmuseum.se/eMP/eMuseumPlus?service=ExternalInterface&module=exhibition&moduleFunction=result&filterName=filter.tours.all (Musée national de Stockholm)
Un ouvrage utile pour aborder la question des matériaux :
FUGA Antonella, Techniques et matériaux des arts, Paris : Hazan, 2005, 384 pages
Léa G.
Comments