Dès sa naissance, en 1895, le cinéma fait référence à la peinture. Les échanges entre les deux mondes sont récurrents. Imprégné d’une culture cinématographique, Edward Hopper devient lui-même une source d’inspiration pour Alfred Hitchcock. Dans cet article nous observerons le parallèle entre The House by the Railroad d’Edward Hopper (1925) et le film Psychose d’Alfred Hitchcock (1960).
Edward Hopper, The House by the Railboard, 1925, huile sur toile, 61 x 73.7 cm, MoMA New York. Copyright: URL: https://www.wikiart.org/en/edward-hopper/house-by-the-railroad
Photographie d'Alfred Hitchcock devant la maison du film Psychose en 1960. Copyright: URL: https://en.wikiquote.org/wiki/Psycho_(1960_film)#/media/File:Alfred_Hitchcock's_Psycho_trailer.png
Dès ses débuts, Louis Lumière est inspiré par les peintres impressionnistes[1]. Alfred Hitchcock, réutilise quant à lui The House by the Railroad d’Edward Hopper, lors de la réalisation de Psychose. Ces deux artistes ont des points communs, tous deux cherchant à mettre l’univers américain en abîme. Les tableaux de l’univers citadin peints par Edward Hopper sont fréquemment des images de « l’instant figé[2] », elles sont très souvent sans vie ni gaîté. Alfred Hitchcock et Edward Hopper cherchent à mettre en avant ce qui se cache dans ces intérieurs présentés comme trop lisses. Leurs représentations sont souvent immobiles ou lentes pour le cinéma, pour laisser place à l’imagination du spectateur.
La peinture d’Edward Hopper
Edward Hopper est un peintre américain, né à New York en 1882, quelques années avant la naissance officielle du cinéma. Il a longtemps gagné sa vie en tant qu’illustrateur, en représentant des scènes urbaines. Il côtoie les peintres de l’école Ash Can School[3], Robert Henri[4] sera son professeur. Edward Hopper est cinéphile, il s’entoure naturellement de personnalités reconnues dans le monde du cinéma comme Vachel Lindsay, théoricien pionnier du cinéma outre-Atlantique[5]. De cette passion grandissante pour la culture cinématographique naissent des peintures telles que New York Movie en 1939. Dans les années 1910, sa carrière professionnelle est également influencée par la création d’affiches de films policiers pour la société française des films et cinématographes Eclair[6]. En 1923, lors de sa présence à l’exposition internationale de l’aquarelle de Brooklyn Museum, sa carrière d’artiste peintre décolle car le musée expose 6 de ses aquarelles.
Edward Hopper, New York Movie, 1939, huile sur toile, 81,9 x 101,9 cm, MoMA New York. URL: https://www.edwardhopper.net/newyork-movie.jsp.
Le fantôme de The House by the Railroad:
Deux ans plus tard, en 1925, il exécute The House by the Railroad, peinture à l’huile de 61 x 73,7 cm. Edward Hopper représente une maison supposée abandonnée, dans un univers industrialisé avec la présence de la voie ferrée au premier plan. La dimension fantomatique de cette demeure sollicite l’imagination du spectateur. Il imagine un moment tragique, le peintre suggère l’idée d’un avant et un après, un moment de latence. Cette maison, typiquement américaine des années 1840, d’époque victorienne, présente une façade en bois recouvert de blanc avec un toit d’ardoise noire. La tour supporte un balcon dont les ombres cachent la porte d’entrée au spectateur, il n’est pas invité. De plus, la présence au premier plan de la voie ferrée en surplomb matérialise une lourde barrière entre l’histoire de la maison et le spectateur. Les ombres sur la façade accentuent cette atmosphère inquiétante. Autant d’artifices pour susciter la curiosité du spectateur et le laisser dans l’incertitude.
Pour créer ce climat, Edward Hopper fige sa toile comme un arrêt sur image, une pause dans le récit. Le spectateur n’a aucun indice sur le déroulement de cette histoire, néanmoins la composition l’invite à chercher un scénario. Ces représentations sont des scènes quotidiennes entre réalité et imagination. L’ambiance qui se dégage des peintures d’Edward Hopper est souvent imprégnée de nostalgie. Le spectateur n’a aucun indice sur le déroulement de cette histoire, néanmoins la composition l’invite à chercher un scénario.
The House by the Railroad est l’un des tableaux les plus reconnus de l’œuvre d’Edward Hopper. Il intègre les collections du Museum of Modern Art de New York dès 1930. La représentation de cette demeure a déjà inspiré George Steven pour son film Giant en 1956, puis Charles Addams pour la maison de La Famille Addams des années 1960. Elle illustre parfaitement la société américaine laissée à l’abandon, oubliée par son gouvernement.
Le cinéma d’Alfred Hitchcock
Alfred Hitchcock est un réalisateur de cinéma anglais (1899-1980) qui connaît un très grand succès dans le cinéma muet puis dans le cinéma sonore. Il est désigné souvent comme le maître du suspense. Ses plus gros succès seront notamment Fenêtre sur cour (1954), Les Oiseaux (1963), Le crime était presque parfait (1954) et Psychose en 1960.
Affiche du film Fenêtre sur cour, 1954. Copyright: URL: https://fr.wikipedia.org/wiki/Fenêtre_sur_cour.
Affiche du film Les Oiseaux, 1963. Copyright: URL: https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Oiseaux_(film).
Alfred Hitchcock connaît lui aussi une expérience professionnelle dans le milieu de la publicité. Il débute sa carrière cinématographique à partir des années 1920 dans les Studios Islington. Il est alors en relation directe avec les actualités cinématographiques et les personnalités importantes de ce milieu. En 1939 il part aux États-Unis et en 1941 avec le film Cinquième Colonne, la collaboration entre Alfred Hitchcock et Universal Picture démarre.
Le secret de Psychose :
Pyschose, en anglais Pyscho, est un film américain en noir et blanc de 1960. Il est inspiré du roman Psychose de Robert Bloch paru en 1959. Anthony Perkins et Janet Leigh interprètent respectivement les rôles de Norman Bates et Marion Crane. Le film est encore aujourd’hui considéré comme un chef d’œuvre du cinéma.
Il met en scène l’histoire de Norman Bates, un jeune homme malade, qui se grime en sa mère. Ils possèdent la vieille maison, près du motel où Marion Crane s’arrête lors de sa fuite, où elle sera victime d’une attaque au couteau, lors de la célèbre scène de la douche. Une enquête est menée par Arbogast et la sœur de la victime sera aussi à sa recherche. C’est à la fin du film que le spectateur comprend que Norman Bates et la vieille dame sont en fait une seule et même personne.
L’objectif d’Alfred Hitchcock est de réaliser un film qui représente une Amérique oubliée, incarnée par le personnage de Norman Bates. On peut également souligner le rapprochement du film avec un univers le plus réaliste possible, surement pour être crédible auprès des spectateurs. Le cinéaste construit son film de manière méthodique, afin de ne rien laisser au hasard. Chaque scène est passée au peigne fin. Par exemple, la découverte du corps de la mère de Norman Bates par le personnage de Marion Crane a un effet important à l’écran grâce aux jeux de lumières, calculés de façon à mettre en avant la surprise et l’horreur de la scène.
Quand cinéma et peinture se rencontrent
Les deux artistes ont des points communs, le cinéaste Alfred Hitchcock a pris des cours de peinture et le peintre Edward Hopper est passionné de cinéma. Ils ont tous deux le sens du détail, ainsi la scène de la mort de Marion Crane nécessitera environ 70 prises, et Edward Hopper se rendra de nombreuses fois au cinéma pour réaliser le drapé du rideau du tableau New York Movie. Ce besoin de perfection se retrouve lors de la construction de la maison pour le film Psychose. Le bâtiment est implanté seul sur une butte. Il s’inspire de The House by the Railroad d’Edward Hopper, peinture sur fond uni[7]. Le sentiment d’isolement est renforcé, l’arrière-plan est représenté sans vie ni végétation. Ainsi, les deux artistes suggèrent l’idée de l’abandon, dans un environnement où rien ne les rattache à l’univers citadin, les habitants semblent inexistants. Les ombres qui enveloppent les façades des bâtisses aux toits pointus, donnent une touche mélancolique. Les deux artistes traduisent la notion du passé, ce sera le motel dans le film Psychose et la maison en opposition avec la voie ferrée symbole de la modernité pour Hopper. Dans sa toile Hopper figure l’instant figé, avec ces espaces quasiment vides de personnages. Le parallèle dans le film s’illustre par des prises de vues ralenties voire des plans fixes qui laissent le temps d’apercevoir l’ombre de la mère de Norman Bates derrière la fenêtre. Les ombres imposantes qui envahissent la façade des deux maisons en contre-plongée renforcent cette impression fantomatique.
Alfred Hitchcock dispose des techniques cinématographiques et du son pour retranscrire le mystère et l’intrigue auprès des spectateurs. Les toiles sont souvent rapprochées à des décors de cinéma. Edward Hopper crée des scènes théâtralisées, comme il est coutume de le faire dans la production cinématographique. Les deux artistes sélectionnent des lieux ordinaires mais susceptibles de cacher derrière leurs murs des histoires désastreuses comme Psychose ou encore Fenêtre sur cour en 1954.
Dans les films d’Alfred Hitchcock, les longues scènes d’architecture sont fréquemment tournées sans personnage. Mais dans d’autres situations, les acteurs n’échangent même pas un regard, comme les individus inanimés peints par Edward Hopper. C’est par cette absence de lien, de communication entre les personnages que l’univers des deux artistes devient lourd de sens. Les personnages représentés dans les peintures et ceux incarnés par les acteurs (Tony Wendice incarné par Ray Milland pour le film Dial M for Murder de 1954) ne sont jamais représentés comme des héros de l’histoire, mais plutôt incarnant le mal être de cette société américaine des années 50-60.
Alfred Hitchcock et Edward Hopper ont des techniques de travail très méthodiques. Edward Hopper ne représente pas seulement une scène classique, il emprunte le vocabulaire du cinéma comme dans Night windows de 1928. C’est par l’utilisation de la lumière qu’Edward Hopper crée des contrastes frappants, augmentant ainsi la géométrie et l’architecture de ses univers. Les cinéastes exploitaient la lumière naturelle pour s’assurer des meilleurs contrastes dans les films en noir et blanc. C’est le choix d’Alfred Hitchcock pour tourner le film Psychose et augmenter l’atmosphère angoissante du scénario. La lumière présentée chez Hopper donne parfois l’impression d’être saturée, technique utilisée également par Alfred Hitchcock.
Edward Hopper, Night Windows, 1928, huile sur toile, 86,36 x 73,66 cm, collection privée. Copyright: URL: https://www.wikiart.org/en/edward-hopper/night-windows.
Pour conclure, le parallèle entre le film d’Alfred Hitchcock et les œuvres d’Edward Hopper ne se limite pas au décor de Psychose et le tableau The House by the Railroad. Le cinéaste s’inspire de la production picturale d’Edward Hopper pour construire ses univers cinématographiques, notamment des scènes urbaines du peintre telles que The city en 1927. Le réalisateur est un grand amateur d’art et possède de nombreuses œuvres dont certaines d’Edward Hopper[8]. Ce peintre est également le fruit de l’inspiration d’autres cinéastes ; Wim Wenders en 1997 avec son film The End of Violenceet le tableau Nightawks de 1942[9]. Et plus récemment le film Shriley, Visions of reality de Gustav Deutsch en 2013 qui reprend une grande partie de la production plastique de l’artiste.
[1] Exposition « Impressionnisme et naissance du cinématographe » au Musée des Beaux-Arts de Lyon du 15 avril au 18 juillet 2005. Commissaires d’exposition : Thierry Frémaux, Philippe-Alain Michaud, Vincent Pomadère, Sylvie Ramond. [En ligne], consulté le 27 décembre 2019. URL :http://www.mba-lyon.fr/static/mba/contenu/pdf/presse/dp-impressionnisme-cinematographe.pdf?&view_zoom=1
[2] Alain Bonfand, Le cinéma saturé : essai sur les relations de la peinture et des images en mouvement, Paris, Vrin, 2011.
[3] Mouvement pictural du XXe siècles aux États-Unis avec des représentations de scènes de la vie quotidienne.
[4] (1865-1929) Peintre américain faisant partie de l’Ash Can School.
[5] Jean Foubert, « Edward Hopper : film criminel et peinture », Transatlantica [En ligne] mis en ligne le 09 avril 2013, consulté le 21 novembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/transatlantica/5966.
[6] Société française de productions de films dès 1907, créée par Charles Jourjon et Ambroise-François Parnaland. Référencée sur le Catalogue collectif des bibliothèques et archives de cinéma, [En ligne] URL : http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=13363.
[7] Florence Colombani et Brigitte Hernandez, « Quand Hopper fait son cinéma », Le Point [En ligne], mis en ligne le 4 octobre 2012, consulté le 2 décembre 2019. URL: https://www.lepoint.fr/arts/quand-hopper-fait-son-cinema-04-10-2012-1514604_36.php.
[8] Guy Cogeval (dir.), Hitchcock et l’art : coïncidences fatales, cat. exp., (Paris, Centre Pompidou), Paris, 2001.
[9] Jean-Baptiste Roch, « Edward Hopper, du cinéma dans la peinture » Télérama [En ligne] mis en ligne le 28 septembre 2010, consulté le 28 novembre 2019. URL: https://www.telerama.fr/cinema/edward-hopper-des-toiles-aux-toiles-et-vice-versa,60882.php.
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