Depuis l’inauguration de la ligne 2 du métro athénien en 2000, je traverse souvent une station à proximité de chez mes parents, appelée Syggrou-Fix. En rentrant au premier niveau du sous-sol, près des guichets de ventes et des automates pour les billets, devant les portes d’entrée on peut apercevoir un mur couvert d’une planche noire, parsemée de sept formes géométriques de couleurs vives. Chaque forme est dotée d’une ampoule qui s’allume à intervalles irréguliers.
J’ai toujours été perplexe par cette installation et, étant petit, j’avais demandé à ma mère ce qu’elle représentait. C’était à ce moment que j’ai entendu parler pour la première fois de l’artiste « Takis ».
Son art est connu en Grèce, en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis. En France, on peut voir certaines de ses œuvres dans le quartier d’affaires de la Défense à Paris, comme le Bassin et les Arbres lumineux, ainsi que dans le métro de Toulouse Cascades et vis d'Archimède, à la station Reynerie.
Ses œuvres font partie des collections permanentes des musées les plus importants du monde comme le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, le MOMA et le New York Guggenheim Museum, la De Menil[1] Collection à Houston, le Tate Modern à Londres ou encore la Peggy Guggenheim Collection à Venise.
En France, le Musée du Jeu de Paume, le Palais de Tokyo et la Fondation Maeght ont organisé de grandes expositions rétrospectives dédiées à Takis. Son travail est également exposé au Jardin de l'UNESCO à Paris et dans le quartier de La Défense, où le gouvernement français lui accorde le plus grand espace public jamais accordé à un artiste, 3 500 m² pour une « forêt » de 49 Lumières.
Le 3 juillet 2019, la Tate Modern à Londres lui a consacré une grande rétrospective, retraçant l’ensemble de sa carrière à travers plus de 70 œuvres. L’exposition est organisée par la Tate Modern, en collaboration avec le Musée d’art contemporain de Barcelone et le Musée d’art Cycladique d’Athènes.
Les œuvres majeures et historiques de l'exposition proviennent de grands musées, tels que le Centre Georges Pompidou et la Fondation Louis Vuitton, ainsi que de collections privées.
Takis (Panayiotis Vassilakis) né en 1925 à Athènes[2] et décédé en 2019, était un sculpteur grec, véritable pionnier dans le domaine de l’art cinétique, c’est-à-dire des œuvres d’art qui se composent de parties en mouvement. Ce mouvement peut être généré par plusieurs forces motrices telles que le soleil, le vent, ou comme le plus souvent dans les œuvres de Takis, un aimant.
Malgré le fait que sa famille n’accepte pas son attrait pour les beaux-arts, il commence sa carrière artistique à l'âge de 20 ans, dans un petit atelier collaboratif, dans un local situé dans le sous-sol d’un immeuble au centre-ville d’Athènes. Ses premières œuvres sont des bustes sculptés en plâtre et en fer forgé, inspirés à la fois de la civilisation grecque antique et d'artistes tels que Picasso et Giacometti. Vers la fin de l’année 1953, il part à Paris, où il rejoint l’atelier de Brancusi pour quelques mois. Pendant les trois années suivantes, il voyage et vit entre Paris et Londres, où il s’inspire et crée ses premières œuvres automobiles. Lors de ses voyages, il est impressionné par les radars et les antennes qui ornent les gares de France, et s’en inspire pour créer son premier « Signal » qui, tout en étant initialement rigide et avec des signaux lumineux sur le dessus, change progressivement de forme.
Takis continue de faire évoluer son art et commence à orner ses Signaux de feux d'artifice qui servent pour divers événements de street-art éphémère qui ont lieux sur les voies publiques et les places de Paris (comme par exemple devant la Gare de Montparnasse). Ces sculptures, composées à la fois de fer et d’objets trouvés, acquièrent au fur et à mesure une nouvelle souplesse et légèreté. En 1968, il reçoit une bourse d’étude par l’université du MIT et déménage dans le Massachusetts afin de poursuivre sa recherche au sein du département de Advanced Visual Studies de l’université[3].
Au Massachussetts il crée une série de sculptures électromagnétiques et étudie l'énergie hydrodynamique, ce qui l’inspire à créer une série de sculptures hydromagnétiques.
Takis était autodidacte, et grâce à la recherche, à l'étude et à l'expérimentation, il est arrivé à renouveler la sculpture, fondant son expression artistique et sa créativité sur l'utilisation fonctionnelle des lois naturelles[4]. Il expérimente les éléments naturels qui formeront la base de son parcours artistique et de son exploration artistique. Il explore l'énergie des champs magnétiques qui sont l'un des fondements de son travail dans sa recherche artistique, puis l'électricité, le son et la lumière comme d'autres artistes de la génération néo-réaliste des années 1960 à Paris.
Ses sculptures défient toutes les lois et techniques connues : les matériaux, la gravité et le volume dominent. Ses œuvres saisissent l'espace, elles se déplacent constamment, produisent des sons, transforment le magnétisme en un corps d'art (étonnant comme terme). Son art se transforme de statique en cinétique, il commence à bouger. Ainsi, à travers son art, il rend visibles tous ces éléments invisibles. Influencé par les éléments mentionnés mais aussi par les pouvoirs cosmiques et la communication avec le surnaturel, il crée Telegraphs and Tablets, Telephones, Callan, Music.
La lumière et le mouvement, sous toutes leurs formes (mécanique, électromécanique, thermique, magnétique, hydrodynamique), sont des éléments clés de son travail. L’œuvre intitulée Signaux, qui évoque des antennes, fait partie de ses créations les plus célèbres.
Son travail audacieux lui a valu la réputation d’artiste avant-gardiste et il a su se faire remarquer par ses pairs tels que son ami, Marcel Duchamp. Ses œuvres ont la capacité de se faire bercer par le souffle du vent, de produire des sons uniques au toucher.
Takis, reste toute au long de sa vie une figure radicale et subversive. Il co-fonde la Art Workers Coalition[5], dans le but de défendre les droits des artistes contre l'exploitation par les galeries, les conservateurs d'art et les musées. L’exposition à la Tate Modern, met en avant un événement marquant pour l’histoire de l’art du XXe siècle : Takis est photographié avec une de ses œuvres dans les bras, après l’avoir retirée du Musée d’art Moderne à New York. Ce geste symbolique qui à l’époque a fait la page de couverture de plusieurs journaux aux États-Unis, est expliqué dans le cartel de l’exposition : Takis a affirmé que l'institution ne l'avait pas consulté pour inclure sa sculpture de 1960 Tele-Machine dans l’exposition « The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age, 27 novembre 1968 – 9 février 1969 ».
L'exposition nous présente des œuvres magnétiques, sonores et lumineuses, parmi lesquelles les Champs magnétiques, une œuvre composée d’un grand nombre de pendules magnétiques se déplaçant à l’aide d’aimants, qu'il a créée en 1969 et qui n'a pas été présentée au public depuis les années 1970. L’œuvre est composée d’un pendule magnétique opéré par un agent du musée et déclenchée par la circulation. Takis, lie la « méditation sonore » au bouddhisme zen, un élément qui se reflète dans certaines œuvres présentées à l'exposition de la Tate Modern, à travers ses réalisations musicales, comme le Music Ball et Gong, réalisées à partir du mur d'un pétrolier – deux œuvres qui doivent être ‘activées’ par des agents du musée.
Une grande partie de matériaux qu'il utilise dans son atelier, proviennent des restes de véhicules militaires, d'avions et même de fragments de bombes qu'il a obtenus de diverses sources. Les aimants ont également été utilisés pour des sculptures qui produisent des sons cosmiques, accordés ou aléatoires. L’installation « Electro-Magnetic Musical, 1966 », avec une corde de guitare enfilée sur un panneau et une grosse aiguille planant devant lui et se déplaçant à l'aide d'aimants, a pour effet de produire des vibrations et des mélodies mystérieuses transmises à l'espace par des amplificateurs.
Non loin de cette œuvre, dans une salle en forme de U, on aperçoit une installation composée cette fois-ci de neuf panneaux qui animent neuf aiguilles, appelée Musicals.
En fin de compte, faire la visite de cette exposition c’est entrer dans une expérience surréaliste et dans un espace parsemé de sculptures en métal qui produisent des sons, des ombres, des lumières et des mouvements. Les visiteurs se promènent à travers la forêt des Signaux, et se sentent entourés par les sons des sculptures musicales. La scénographie de l’exposition a été conçue en collaboration avec Takis qui s’est rendu au la Tate Modern avant de mourir environ un mois plus tard.
[1] https://www.menil.org/exhibitions/37-takis-the-fourth-dimension [2] https://www.tate.org.uk/art/artists/takis-2019/introducing-takis. [3] « La Tate Modern se ploie devant Takis » Thodoris Antonopoulos , Magazine Lifo, Juillet 2019, https://www.lifo.gr/articles/arts_articles/243559/i-tate-modern-ypoklinetai-ston-takis. [4] Tobias Grey, « Greek Sculptor Takis Bends Nature’s Laws to Art’s Benefit », The Wall Street Journal donner les références complètes. [5] Rachel Rivenc, Reinhard Bek, Keep it Moving?: Conserving Kinetic Art, Los Angeles, The Getty Conservation Institute, 2018.
Commentaires