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Histoire du Faux - Episode 1 : Qu'est-ce qu'un faux?



Le faux, une question de vocabulaire et d’intention


En nous intéressant au faux dans l’art nous nous sommes rapidement heurtés à un écueil : la notion même de faux reste floue en raison de la relativité historique de sa définition. Cette définition, indissociable du contexte culturel et historique de la production artistique, varie grandement dans le temps et se trouve étroitement liée à deux autres notions : l’authentique et la copie.


Le terme même de faux pose problème. En effet, le mot semble absent du vocabulaire pendant une longue période historique. C’est plutôt le terme « contrefaire » qui est utilisé aux XVIe et XVIIe siècles pour désigner à la fois la reproduction à l’identique d’un objet, donc ce que nous nommons une copie, mais aussi pour désigner la représentation en peinture de cet objet. Cette définition s’appuie en fait sur l’un des grands thèmes philosophiques concernant les relations de l’art à la nature. En effet, selon la théorie des idées de Platon (aussi appelée théorie des formes intelligibles), le monde physique ne serait qu’une reproduction imparfaite, une mimésis, c’est-à-dire une imitation, du monde des idées où les formes sont parfaites. L’art ne serait donc qu’une copie de cette nature, copie d’autant plus imparfaite qu’elle est une deuxième contrefaçon du monde des Idées.


Le mot contrefaire apparaît aux anciens Pays-Bas dans le Livre des peintres publié en 1604 par Karel van Mander où l’on retrouve l’expression « contrefaire d’après nature » pour désigner la pratique du portrait. Dans son dictionnaire des termes propres aux arts de 1676, André Félibien ne donne pas les mots copie, réplique ou faux, mais uniquement le terme imiter.


Cet aperçu de l’évolution linguistique de la notion de faux permet le constat suivant : en histoire de l’art, le phénomène le plus ancien et universel n’est pas le faux mais la copie.


Lorsque l’on parle de faux, c’est souvent pour désigner une œuvre longtemps considérée comme étant de la main d’un grand maître et qui a perdu son attribution. Dans certains cas, il s’agit en effet d’une contrefaçon réalisée avec la volonté de tromper son acquéreur. Il est cependant aussi fréquent que l’œuvre n’ait pas été faite dans un but répréhensible. Il peut s’agir tout simplement d’une réplique d’atelier, une copie d’élève, une copie d’étude réalisée postérieurement. De l’Antiquité à la Renaissance, l’exercice de la copie faisait partie de l’apprentissage des jeunes artistes dans les ateliers. C’est avec l’évolution du statut de l’artiste qui s’opère au cours de la Renaissance que la définition de l’authenticité d’une œuvre évolue, notamment avec l’apparition de signatures sur les œuvres.


Mais l’innocent pastiche peut aussi avoir été retravaillé et maquillé pour passer pour la réalisation d’un maître. Il faut également prendre en compte les nombreux phénomènes de revivals qu’a connu l’histoire de l’art. Par exemple, au XVIIe siècle, le Napolitain Luca Giordano peint une série d’œuvres « à la manière » de maîtres anciens parmi lesquels on compte Raphaël, Titien, Véronèse, ou même ses contemporains comme Giuseppe Ribera et Giovanni Benedetto Castiglione. Pour souligner sa virtuosité, Giordano va même jusqu’à ajouter sa signature à côté du monogramme de Dürer dont il s'approprie la manière dans sa Guérison du paralytique.

Michel Laclotte définit le « véritable faux » comme toute « œuvre intégralement fabriquée dans l’intention délictueuse de tromper ». Il admet donc l’existence de « faux partiels », des œuvres maquillées postérieurement et dont l’intention initiale n’était pas de tromper. Il regroupe dans cette catégorie les œuvres ayant subi des repeints pour mieux correspondre au goût nouveau, tout comme celles altérées avec la complicité d’un marchand d’art afin de les attribuer à un artiste dont les créations se vendent à des prix élevés.


La notion de faux serait donc surtout déterminée par l’intention. Mais comment prouver, par l’étude d’une œuvre, l’intention délictueuse de son auteur ?


Faux et copie : une brève histoire


On trouve les premières traces de copies avérées dès l’Antiquité, en particulier dans la Rome antique où des ateliers romains avaient pour habitude de copier massivement des statues originales grecques très recherchées par les riches patriciens. Il est en revanche difficile de déterminer si les Romains y voyaient un acte délictueux. Si la notion d’auctorialité était déjà présente, tout porte à croire que la copie d’originaux grecs était acceptée et encouragée.


Au Moyen Âge, ce sont les reliques qui deviennent les proies des faussaires qui les vendaient par la suite à des établissements religieux. Dans ce cas précis, l’intention de tromper est clairement présente, la vente de fausses reliques étant un commerce florissant durant cette période.


C’est à la Renaissance, époque marquée par un attrait accru pour les œuvres d’art et les objets antiques, que l’on retrouve des exemples avérés de faux. La valeur des œuvres contemporaines se voit de plus en plus liée à leurs qualités plastiques, et donc au nom de leurs auteurs. Les peintres commencent à apposer des signes distinctifs, puis des signatures sur leurs œuvres.


À la Renaissance également, le commerce d’antiquités gréco-romaines se développe avec les collections d’antiques des grands mécènes humanistes. Certains faussaires vont saisir cette occasion pour réaliser de faux antiques. C’est le cas d’un jeune Michel-Ange, dont l’historien Giorgio Vasari rapporte l’anecdote suivante : Michel-Ange aurait sculpté un Cupidon endormi en marbre en s’inspirant de marbres antiques. Le jeune artiste l’aurait patiné, puis enterré afin que son œuvre soit artificiellement vieillie. Après quelque temps, Michel-Ange aurait sorti de terre son Cupidon et l’aurait vendu au cardinal de Saint-Georges en le faisant passer pour une sculpture antique. Une fois la supercherie révélée, le cardinal aurait exigé qu’on le rembourse.



Giorgio Vasari conclut ainsi son anecdote :


« Cette affaire ne s’acheva pas à la gloire du cardinal de Saint-Georges : il fut incapable de reconnaître la valeur de l’œuvre, qui réside dans sa perfection, et ne comprit pas que les ouvrages modernes sont aussi bons que les antiques, si excellents que soient ces derniers, et qu’il y a beaucoup de vanité à s’attacher plus aux mots qu’aux faits. »

Giorgio VASARI, Le Vite, Florence, Milanesi, 1878-1885, vol. III, p. 147-149.



La tromperie est ici vue comme une prouesse, elle est la preuve de l’achèvement d’une formation fondée sur l’exercice de la copie. C’était pour les jeunes artistes un moyen de s’affranchir du modèle antique pour mieux le dépasser et de prouver leur dextérité.

Mais la copie d’œuvres antiques et la copie d’œuvres de contemporains n’entraîne pas les mêmes conséquences, notamment en termes de propriété intellectuelle et donc de profit. Au XVIe siècle, Albrecht Dürer ajoute à l’un de ses traités la mention « que soient maudits les pilleurs et les imitateurs du travail et du talent des autres » en réaction à certains de ses suiveurs qui contrefaisaient sa signature afin d’augmenter la valeur de leurs œuvres. C’est d’ailleurs à partir des procès menés par Dürer contre ses copieurs que la notion de copyright va apparaître dans le monde de l’art.


Dans une conférence donnée à l’Académie Royale de peinture et de sculpture le 11 juin 1672, Philippe de Champaigne condamnait également les « copistes des manières » dont l’imitation servile bride le génie et la création. Cultiver la singularité de la manière d’un artiste apparaissait nécessaire pour les premières académies fondées à partir de la fin du XVIe siècle. L’Accademia di San Luca fondée à Rome en 1594 par Federico Zuccaro en est un exemple clair. L’apprentissage, auparavant sous la tutelle d’un unique maître, est alors pris en charge par douze artistes afin que les jeunes artistes n’adoptent pas la manière d’un maître.

Le XVIIIe siècle voit l’émergence d’un désir nouveau. Les amateurs, personnages qui se consacrent à l’étude des œuvres d’art sans avoir de pratique artistique, veulent voir des pièces autographes. Le terme de « griffe » qu’utilise Diderot pour désigner la manière dont Jean Siméon Chardin signe de son nom fait bien apparaître le phénomène de fétichisation de la signature qui se met en place. L’artiste signe comme pour projeter sa présence dans l'œuvre elle-même.


Selon Charlotte Guichard, historienne de l’art dont les recherches portent sur les signatures d’artistes et leur lien au marché de l’art, le surgissement de faux sur le marché de l’art dévoile les attentes des acheteurs et des experts. En observant quels artistes sont les plus copiés, on comprend rapidement lesquels sont particulièrement recherchés à une époque donnée. L’étude des faux est donc un véritable reflet de l’histoire de l’art.


Au XIXe siècle, la notion d’originalité et d’authenticité prend une valeur post-romantique dans la valorisation du génie individuel. La question du faux devient alors une question morale. Pourtant, en parallèle, l’exercice de la copie fait encore partie intégrante de l’apprentissage des artistes. En témoignent les copies réalisées par Théodore Géricault (v. 1810-1812) et Eugène Delacroix (1820) d’une œuvre du Titien, Le Transport du Christ vers le tombeau (1520). Les deux artistes ne cherchent pas à copier fidèlement l'œuvre mais marquent la singularité de leur manière tout en s’inscrivant dans le sillage du maître. Il s’agit presque plus d’une interprétation que d’une copie.



Fig 1. Titien, Le Transport du Christ vers le tombeau, 1500-1525, huile sur toile, 148 x 212 m, Paris, Musée du Louvre, © 2009 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Stéphane Maréchalle.
Fig 1. Titien, Le Transport du Christ vers le tombeau, 1500-1525, huile sur toile, 148 x 212 m, Paris, Musée du Louvre, © 2009 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Stéphane Maréchalle.

Fig 2. Théodore Géricault, d’après Titien, La Mise au tombeau, c. 1810-1812, huile sur toile, 46 x 60,99 cm, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne.
Fig 2. Théodore Géricault, d’après Titien, La Mise au tombeau, c. 1810-1812, huile sur toile, 46 x 60,99 cm, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne.

Fig 3. Eugène Delacroix, d’après Titien, La Mise au tombeau, 1820, huile sur toile, 40 x 55,5 cm, Lyon, Musée des Beaux-Arts, © Lyon MBA.
Fig 3. Eugène Delacroix, d’après Titien, La Mise au tombeau, 1820, huile sur toile, 40 x 55,5 cm, Lyon, Musée des Beaux-Arts, © Lyon MBA.

Au XXe siècle, la définition du faux est remise en cause avec la pratique contemporaine de la citation et de l’appropriation que l’on peut voir notamment chez Marcel Duchamp qui fait éclater la notion même d’œuvre originale en réalisant des ready-made. Des objets du quotidien, manufacturés, deviennent des œuvres d’art sans aucune intervention de l’artiste (Porte-bouteilles, 1914) ou avec la simple apposition de sa signature (Fontaine, 1917).


Et pourtant, c'est véritablement au XXe siècle que les faux se multiplient. Après 1918, la demande explose, en particulier pour certains artistes modernes comme Gustave Courbet, Vincent van Gogh, Pablo Picasso ou Henri Matisse. Durant la Seconde Guerre mondiale, le marché de l’art dans la France occupée va connaître un développement fulgurant inévitablement accompagné de la création et de la vente de faux.


Bibliographie


• Jean-Jacques BRETON, Le faux dans l’art. Faussaires de génie, Paris, Hugo image, 2004.

• Clément CHEROUX, Nathalie HEINICH, Antoine HENNION [et al.], De main de maître. L’artiste et le faux [actes du colloque, musée du Louvre, 29 et 30 avril 2004], Paris, Musée du Louvre, Hazan, 2009.

• Jean-Louis GAILLEMIN, Trop beau pour être vrai. Le faux dans l’art, de la tiare du Louvre aux chaises de Versailles, Paris, Le Passage, 2019.

• Charlotte GUICHARD, La Griffe du peintre. La valeur de l’art 1730-1820, Paris, Seuil, 2019.

• Charlotte GUICHARD (dir.), De l’authenticité, Une histoire des valeurs de l’art (XVIe-XXe siècles), Paris, Sorbonne, 2014.

• Otto KURTZ, Faux et Faussaires, Paris, Flammarion,1983 (1e éd.angl . 1948.).

• Giorgio VASARI, Le Vite, Florence, Milanesi, 1878-1885, vol. III, p. 147-149.


Webographie


• Adèle VAN REETH, Nicolas BERGER, « Ressemblances et faux-semblants (4/4) : Le faux en art », les chemins de la philosophie, France culture, diffusé le 14/11/2013, consulté le 24/01/2022. URL:https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/ressemblances-et-faux-semblants-44-le-faux-en-art

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