top of page

Jeff Koons : inspiration ou contrefaçon ? Un artiste controversé.

Jeff Koons est un artiste contemporain principalement connu pour ses œuvres datant des années 1980-1990 telles que Balloon Dogs (1994-2000), Michael Jackson and Bubbles (1988) ou encore Rabbit (1986). Sa popularité est également liée aux records de ventes de ses œuvres atteignant jusqu’à 91,1 millions de dollars dans la maison de vente Christie’s en 2019. En tant que figure par excellence de la star-artiste mondialisée, Jeff Koons est de ce fait très controversé au sein des mondes de l’art, d’autant plus que ses œuvres l’ont souvent amené à s’expliquer devant la justice.


Procès et condamnations

Jeff Koons a fait l’objet de nombreux procès pour cause de contrefaçon et plagiat. En effet, au-delà de faire l’objet de procès, ces derniers ont souvent abouti aux condamnations de l’artiste et de sa société Jeff Koons LLC, l’obligeant à verser des sommes de dommages et intérêts importantes. Les premières condamnations pour plagiat ont eu lieu aux États-Unis en 1992 et 1993. Tout d’abord, il fut condamné pour son œuvre String of Puppies qui reprend à l’identique les éléments d’une photographie prise par Art Rogers ; puis, pour son œuvre Wild Boy and Puppy où l’artiste reprend le personnage d’Odie tiré de la série Garfield sans l’autorisation de son créateur.


Fig. 1 : Jeff Koons, String of Puppies, 1988, bois polychromé, 106.7 x 157.5 x 94cm. ©Jeff Koons.


Fig. 2 : Art Rogers, Puppies, 1985, lithographie, 11.75 x 14.60cm. ©Art Rogers.

En France, Jeff Koons est également accusé à plusieurs reprises de contrefaçons. Il s’agit des œuvres Naked (1988) et Fait divers (1988) présentées lors de la rétrospective de Jeff Koons au Centre Pompidou Paris en 2014. Dans le premier cas, l’œuvre se compose d’une sculpture de deux enfants situés debout côte à côte et nus. En 2019, la Cour d’appel de Paris a reconnu cette sculpture comme étant une contrefaçon du cliché original intitulé Enfant, réalisé par Jean-François Baudet en 1970. Lors du procès,


les juges déclarent que « Jeff Koons a délibérément incorporé dans son œuvre les composantes de la photographie constituant ainsi une œuvre composite qui ne pouvait se faire qu'avec l’accord de l’auteur de l’œuvre préexistante » (COHEN, 2020). Les condamnés sont Jeff Koons et sa société, mais aussi – et c’est une nouveauté importante - le Centre Pompidou qui a diffusé la représentation de l’œuvre dans le catalogue d’exposition, dans les supports de médiation et dans des reportages télévisés. Dans le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) « est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière » (article L.113-2 du CPI). Seulement, l’auteur de l’œuvre préexistante, en l’occurrence Jean-François Baudet, conserve ses ayants droits et peut donc en interdire la réalisation, la reproduction et la représentation.


La deuxième œuvre pour laquelle Jeff Koons fut condamné est Fait d’hiver (1988), sculpture en porcelaine figurant le buste d’une femme habillée d’un haut à résille, allongée dans la neige et secourue par un cochon accompagné d’un pingouin. Cette sculpture se rapproche très largement d’une publicité de 1985, portant le même nom que le titre de l’œuvre, de la marque Naf Naf. Franck Davidovici, concepteur visuel à l’origine des clichés de cette publicité, a fait appel à ses ayant droits. Jeff Koons est alors condamné à verser la somme de 190  000 euros de dommages et intérêts à Frank Davidovici. Le Centre Pompidou est également condamné car cette œuvre figure aussi dans le catalogue de l’exposition rétrospective de Jeff Koons. De plus, la maison d’édition Flammarion est impliquée en raison de la reproduction de l’œuvre dans plusieurs de leurs publications.


Ainsi, la contrefaçon d’une œuvre n’implique pas simplement l’artiste ou l’auteur de la contrefaçon mais tous les protagonistes qui ont collaboré avec l’artiste en question et qui ont participé à la diffusion de son œuvre, bien que cela se fasse à leur dépend. En effet, ceci fait partie des risques à prendre par les musées et Alain Seban, directeur du Centre Pompidou au moment des faits, affirme ainsi : « une large part de la création moderne et contemporaine repose sur le concept de la citation, voire d’appropriation. Il est essentiel que les musées puissent continuer à rendre compte de ces démarches artistiques ». (COHEN, 2020).


Fig. 3 : Jeff Koons, Faits d’hiver, 1988. ©Emmanel Dunand – AFP.


Fig. 4 : Franck Davidoci, Publicité Naf Naf « Fait d’hiver », 1985. ©Franck Davidovici.

Le mouvement de « l’appropriation »

Pour plaider sa défense, Jeff Koons parle de son affiliation au mouvement « appropriationniste ». En effet, la majorité de ses œuvres sont des reprises d’images ou d’objets issus de la communication et de l’industrie. De ce fait, Jeff Koons affirme en parlant de l’œuvre Naked, que la photographie retravaillée

« sert au mieux son message et sa démarche artistique, car il choisit les sources d'inspiration de ses œuvres et les transforme en sculpture autonomes, (…), et lui permett[ent] de transmettre son message de libération de l’être, annonçant une nouvelle ère, ce d’autant qu’elle n’était pas connue du grand public. » (COHEN, 2020).


Ainsi, son principal argument est celui d’avoir réalisé une œuvre d’art autonome qui se détache alors de l’original. Il ne s’agirait donc pas d’une simple copie ou imitation. Cependant, le mouvement « appropriationniste », auquel Jeff Koons se rattache, s’inscrit principalement dans un échange avec le spectateur qui aurait déjà vu le référent que l’artiste exploite. C’est ce qu’on peut retrouver par exemple dans son œuvre Michael Jackson and Bubbles (1988), reprenant la figure de Michael Jackson, alors clairement identifiable. À ce titre, Benjamin Bianciotto explique que ce « mouvement artistique ne modifie pas simplement le rapport de l'artiste au monde environnant, il trouble surtout le regardeur en le forçant à réitérer une pensée qu’il considérait comme établie. […] Avant de revoir, il faut avoir vu. » (BIANCIOTTO, 2021).

Cependant, ces propos laissent entrevoir un paradoxe avec l’argument de condamnation à l’encontre de Jeff Koons. En effet, lors du procès de l’œuvre Naked, les juges du Tribunal de Grande Instance (TGI) décident de la condamnation de Jeff Koons en raison des faibles variations entre l’œuvre authentique et celle-ci, qui n'empêchent donc pas de reconnaître et d’identifier les modèles et la pose.


Quelles sont les limites entre contrefaçon, plagiat et création artistique ?

Selon l’INSEE, la contrefaçon se définit comme étant « la reproduction, l'imitation ou l'utilisation totale ou partielle d’une marque, d’un dessin, d’un brevet, d’un logiciel ou d’un droit d’auteur, sans l'autorisation de son titulaire, en affirmant ou laissant présumer que la copie est authentique » (INSEE, 2020).

La différence entre la contrefaçon et le plagiat réside dans la typologie même de la version originale : le plagiat concerne la propriété intellectuelle, c’est-à-dire l’idée, tandis que la contrefaçon renvoie à l’expression et à la composition de l’œuvre, c’est-à-dire à sa forme. Afin d’éviter tout risque de contrefaçon ou de plagiat dans la production d’une œuvre d’art, il est primordial de demander le consentement de l’auteur de l’original, alors « titulaire d’un monopole pour la reproduction et la représentation de son œuvre » (COHEN, 2018). D’autre part, la limite entre délit de contrefaçon et création artistique pourrait résider dans l’intentionnalité même de l’œuvre. En effet, la reprise ou ‘l’appropriation’ de l’authentique doit modifier clairement le message véhiculé dans un premier lieu, pour que la liberté artistique soit reconnue.

C’est à ce titre qu’en 2006 Jeff Koons remporta un procès qui l’opposait à la photographe Andrea Blanch. Il était alors accusé d’avoir intégré une publicité de la marque Gucci, alors parue dans la revue Allure en août 2000, dans son œuvre intitulée Niagara (2000). Cette dernière a pour objectif de dénoncer la relation entre médias et désir de consommation, ce qui diffère du message premier de la publicité qui, à l’inverse, diffuse et suscite cette consommation de luxe.


Fig. 5 : Jeff Koons, Niagara, 2000, huile sur toile, 304.8 x 426.7cm. ©Jeff Koons.


Fig. 6 : Andrea Blanch, Publicité Gucci Silks sandals, 2000. ©Andrea Blanch.

Bibliographie :

Article L.113-2 du Code de la Propriété Intellectuelle.


BIANCIOTTO, Benjamin, « L’appropriationnisme, ou comment apprendre à revoir ses positions », Sociétés & Représentations, vol. 51, n° 1, 2021, p. 119-134.


COHEN, Béatrice, « Jeff Koons de nouveau condamné pour contrefaçon d’une photographie », Village Justice, 9 janvier 2020, en ligne, https://www.village-justice.com/articles/jeff-koons-nouveau-condamne-pour-contrefacon-une-photographie,33412.html [consulté le 13 janvier 2022].


COHEN, Béatrice, « Inspiration ou contrefaçon dans l’art contemporain : Jeff Koons va-t-il trop loin », Village Justice, 29 novembre 2018, en ligne, https://www.village-justice.com/articles/inspiration-contrefacon-dans-art-contemporain-jeff-koons-trop-loin,30110.html [consulté le 13 janvier 2022].


COHEN, Béatrice, « Artiste contre artiste : simple inspiration ou contrefaçon d’oeuvre d’art ? Retour sur la contrefaçon dans l’art contemporain », Village Justice, 5 mars 2018, en ligne, https://www.village-justice.com/articles/artiste-contre-artiste-simple-inspiration-contrefacon-oeuvres-art-retour-sur,27871.html [consulté le 13 janvier 2022].


EVANS-CLARK, Philip, STORR, Robert et alii, Jeff Koons, Paris, Artpress, 2019.


VUSLER, Nicole, « Jeff Koons à nouveau condamné pour contrefaçon », Le Monde, 23 décembre 2019, en ligne, https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/23/jeff-koons-a-nouveau-condamne-pour-contrefacon_6023897_3234.html [consulté le 13 janvier 2022]


Webographie :

INSEE, « Contrefaçon », 13 mai 2020, en ligne, https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1447 [consulté le 19 janvier 2022].

bottom of page