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Copie, plagiat ou authentique Léonard ?

Le tableau le plus cher du monde entre querelles d’images, débats d’experts, intérêts politique et enjeux symboliques.


Le Salvator Mundi, œuvre d’atelier ou de la main de Léonard voit son authenticité remise en question depuis son achat par le prince saoudien Mohamed ben Salmane. La question de son attribution va au-delà de la simple validation scientifique et reflète l’importance du nom et sa sacralisation dans l’histoire de l’art. A la fois chef d’œuvre retrouvé ou fantasmé d’un maitre illustre, témoignage du musée en tant qu’Institution presque géopolitique, ou de la puissance diplomatique que revêt l’art et sa possession par un pays. Il s’agira d’en saisir les enjeux et rouages complexes et de s’interroger sur l’intégrité de l’art dans le monde moderne.



Contexte (redécouverte, achat, disparition)


Le Salvator Mundi (version de Cook), rapproché de Léonard de Vinci, figure le Christ Rédempteur sauveur de l’humanité. Cette peinture à l’huile sur panneau constitué d’une planche de noyer mesurant 65,6 cm. de hauteur sur 45,4 cm. de largeur figure le Christ en buste avance sa main droite où l’index et le majeur désignent le ciel selon le type de la benedictio latina ; sa main gauche soutient une sphère translucide. L’œuvre en question appartient à un corpus plus large puisqu’on recense à ce jour une vingtaine de versions de ce thème, certaines versions anonymes, et d’autres attribuées à des artistes de l’atelier de Léonard, mais sans attribution directe au maître.

Le tableau acquis en 2017 par Mohammed ben Salmane occupe une place particulière dans ce corpus. Jean Pierre Crettez rappelle que le panneau aurait été peint vers 1506, soit entre La Cène et Mona Lisa, à la demande du roi Louis XII (Crettez, 2019). L’œuvre aurait suivi en Angleterre par Henriette Marie de France lors de son mariage avec Charles Ier. En 1763, le tableau est vendu aux enchères par le fils du Duc de Buckingham et réapparait en 1900, lorsqu’il est acheté par un collectionneur britannique, Francis Cook, vicomte de Monserrate, dont il prend alors le nom. Lors de cet achat, l’œuvre était attribuée à Bernardino Luini, un élève de Léonard de Vinci, alors que l’œuvre est décrite comme une copie libre d’après un autre élève du peintre, Giovanni Antonio Boltraffio, lors de l’inventaire de la collection. Le panneau est ensuite vendu en 1958 par la famille du collectionneur sous le même nom, pour la somme de 45 livres.

Le Salvator Mundi (version de Cook) réapparait en 2005, racheté 10 000 dollars par les marchands d’art Warren Adelson et Robert Simon qui acquièrent le lot n°664, Christ bénissant de la dextre, tenant dans la senestre un globe de cristal. En 2008, le comité de spécialistes de Léonard destiné à authentifier constate que sous les couches successives de restaurations, se trouvent deux pouces sur la main droite du Christ. Ce repentir, consistant à modifier la composition initiale d’une œuvre, serait une preuve de son statut original, et donc de l’implication directe du maître car dans une copie l’artiste suit un dessin qu’il ne modifie pas (Bellet, 2021). L’œuvre, d’abord présentée à des conservateurs du Metropolitan Museum de New York puis de la National Gallery de Washington ne les convainc pas. Pourtant, elle sera lavée de tous soupçons par l’authentification de Martin Kemp, spécialiste de Léonard à l’université d’Oxford, dont l’opinion sera appuyée par Luke Syson, alors conservateur de la National Gallery à Londres et ayant pour projet d’organiser une exposition consacrée à l’artiste (Crettez, 2019). Le Salvator Mundi est alors rendu public en 2011, et « présenté comme la redécouverte d’un Vinci original » (Bellet, 2021) lors de son exposition à la National Gallery de Londres.

En 2017, l’œuvre est mise en enchères à New York par la maison de vente Christie’s. Elle bénéficie non pas d’une vente d’art classique mais d’une « vacation » dédiée à l’art contemporain, session où traditionnellement les clients sont moins regardants, dans un contexte où le Salvator Mundi (version de Cook) n’est pas clairement authentifié comme issu de la main de Léonard. (Bellet, 2021 , p.3). Après de nombreuses surenchères de plusieurs dizaines de millions de dollars, l’œuvre devient la plus chère du monde, vendue 450 millions de dollars par un acheteur anonyme. Cependant, l’œuvre qui devait être présentée au public au Louvre Abu Dhabi, n’est pas réapparue depuis son achat. Ce dernier dément avoir été en possession de l’œuvre, et l’acheteur reste anonyme. Les spéculations s’enflamment donc sur sa disparition avant que ne soit dévoilé le nom du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (Frieze, 2018) !



Débats sur la paternité de l’œuvre


Malgré l’authentification de l’œuvre, plusieurs spécialistes s’interrogent. Certains penchent pour une attribution à Léonard de Vinci par système de corrélations stylistiques entre plusieurs œuvres du peintre, la main, la maniera, tandis que d’autres y trouvent des contresens, des incohérences plastiques, et en font une œuvre d’atelier. Léonard de Vinci aurait effectivement travaillé sur un projet de Salvator Mundi, documenté par l’existence d’études et de croquis de préparations retrouvés de sa main, ainsi que de certaines versions du tableau en question provenant de son atelier, mais le panneau en question est-il l’original de toute cette série ?


Les positions en faveur de la paternité de Léonard tentent de s’appuyer sur des analyses scientifiques. Parmi elles, Michael Delhaye, directeur d’Art Watch UK, interroge l’absence de reflet de l’orbe (Liang, 2019). Dans la mesure où Léonard de Vinci appliquait ses connaissances scientifiques au sein de son expérimentation plastique, il aurait selon lui été parfaitement capable de représenter les réfractions de la lumière, ici invisible à l’œil. L’œuvre est reconstituée en 3D en prenant en compte tous les éléments lumineux présents pour déterminer si le rendu du Salvator Mundi pourrait être physiquement envisageable et tangible, et en partant du postulat que l’orbe n’était pas assez transparent et lumineux pour retranscrire fidèlement son interaction avec la lumière. Les chercheurs testent plusieurs ajustements pour tenter de déterminer si l’effet visuel de l’orbe correspond plastiquement aux propriétés lumineuses l’entourant. Finalement, l’orbe numérique apparaît similaire à la peinture du maître. Effectivement, la manière dont l’orbe est placé au sein de la composition admet scientifiquement un rendu opaque de la sphère. En ce sens, cet élément confirmerait non seulement la paternité de l’œuvre mais démontre la maîtrise de Léonard de Vinci quant à l’observation des phénomènes optiques et à leur retranscription plastique.

Dans un second temps, l’étude mettait en parallèle les différents procédés d’élaboration du portrait par Léonard de Vinci notamment par sa comparaison avec La Joconde dont il présente des similarités par sa géométrie interne. Il s’agissait, par cette méthode comparative de déterminer des consonances visuelles entre plusieurs œuvres du maître.

Ainsi, les entrelacs tissés dans la tunique du Salvator Mundi sont constitués d’une longue cordelette de fil d’or (un filigrane) qui, se repliant sur elle-même, forme des entrelacs. Ce motif se retrouve dans La dame à l’hermine, sur le haut de la robe par une bande de motif similaire, et plus tard sur celle de La Joconde. Plusieurs études d’entrelacs, réalisés entre 1495 et 1500 par Léonard de Vinci tendent à évoquer, par la continuité organique de formes entrelacées, une même tendance à la réalisation de ses motifs en filigranes. L’étude du chemin emprunté par le filigrane et de sa complexité par des systèmes d’espacement ainsi que l’étude de la périodicité des motifs tendent alors à confirmer l’attribution à Léonard de Vinci (Liang, 2019). Le Salvator Mundi est avant tout une représentation du Christ, mais Leonard de Vinci le traite de la même manière que la géométrie interne de ses portraits féminins.

Fig.1. Léonard de Vinci, Étude de draperie pour un Salvator Mundi, Sanguine avec plume et encre et rehauts de blanc sur papier préparé rouge pale v.1504-08, 16,4x15,8 cm., Royal Library 12525, domaine public © Royal Collection

Fig.2. Léonard de Vinci, Étude de draperie pour un Salvator Mundi, Sanguine avec plume et encre et rehauts de blanc sur papier préparé rouge pale, v. 1504-08, Royal Library 12524, domaine public © Royal Collection

Galerie de reproduction des Salvator Mundi :

Atelier de Léonard de Vinci, Salvator Mundi, Version Ganay, huile sur bois, 68,2 x 48,8 cm, Paris, Collection Privée, CC Lors de sa présentation à l’exposition L. De Vinci au Louvre, 2019-2020. © Adoc

Giampietrino, Salvator Mundi, vers 1520, huile sur bois, 65,4 x 48,3 cm., Détroit Institute of Arts. Domaine public. © The Detroit Institute of Arts

Copie de Cesare da Sesto (1516-1517) palais de Wilanow (Varsovie), huile sur panneau. Domaine public, © Fondazione zeri

Anonyme, Salvator Mundi, avant 1550, huile sur toile, 63 × 48 cm, Worsey Collection, domaine public, © Fondazione zeri

Anonyme, Salvator Mundi, Collection Stark, Zurich, Domaine public, © Anonyme

Andrea Previtali, Salvator Mundi (1519), National Gallery, Londres, Domaine public © The National Gallery

École lombarde, Marco d'Oggiono (?), vente Sotheby's du 29 janvier 2016 (collection privée). Domaine public © Guerrace01


Cependant l’attribution à Léonard de Vinci pose différentes questions notamment liées au fonctionnement de son atelier qui favorise la participation partielle voire complète des apprentis sur des œuvres, s’appropriant ainsi le nom du maître. De surcroît, Léonard a influencé, par sa manière et ses expérimentations, nombre d’artistes, faisant naitre beaucoup d’imitateurs et de copistes, ce qui entraînera à partir du XVIIIe siècle l’appellation léonardesque pour désigner son influence sur d’autres peintres.

Jacques Franck défend ainsi la thèse d’une exécution par l’atelier de l’artiste et de ses disciples. Selon lui, durant la période où fut peint le tableau, Léonard de Vinci faisait exécuter ses œuvres par son atelier. Il évoque ainsi la mauvaise exécution du majeur du Christ comme preuve que le tableau n’est pas de la main de l’artiste. Les doutes sur l’authenticité de la main de Léonard ont probablement joué, selon lui, un rôle dans la disparition et le non-affichage de l’œuvre par l’acheteur et ses collaborateurs.

Matthew Landrus, chercheur au Wolfson Collège d’Oxford et spécialiste de Léonard de Vinci, a, dès la mise en vente du tableau, contesté son appartenance aux chefs d’œuvres de Léonard de Vinci défendant également sa confection par l’atelier de l’artiste, en particulier par l’un de ses assistants Léonardo, Bernardino Luini. Selon lui, les éléments de la draperie ainsi que la forme du visage présenteraient des similitudes avec l’œuvre Le Christ parmi les docteurs (1515-1530) de Luini conservé à la National Gallery de Londres (Frieze, 2018).

Un porte-parole de Christie’s a rejeté cette thèse, affirmant dans l’Antique Trade Gazette « L’attribution à Léonard de Vinci a été établie près de 10 ans avant la vente par une douzaine de spécialistes, et a été reconfirmée au moment de la vente aux enchères en 2017 » (Morel, 2019). Le spécialiste de Léonard de Vinci, Martin Kemp déclare alors qu’il « révèlerait un ensemble concluant de preuves que le Salvator Mundi est un chef d’œuvre de Léonard de Vinci » (Morel, 2019) dans un livre effectivement paru en novembre 2019 intitulé « Le Salvator Mundi de Léonard et la collection de Léonard dans les tribunaux Stuart » , coécrit avec Robert B. Simon et Margaret Dalivalle. Effectivement, l’attribution de l’œuvre au maitre de la Renaissance est dans l’intérêt des maisons de ventes et pose question sur le rôle de l’argent et de l’influence institutionnelle et diplomatique dans l’attribution d’une œuvre.


Absent de la rétrospective du musée du Louvre du 24 octobre 2019 au 24 février 2020, non présenté au Louvre d’Abu Dhabi depuis son achat par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le Salvator Mundi continue à provoquer les débats. Récemment, l’authenticité du Salvator Mundi a de nouveau été remise en question, notamment au sein du catalogue d’exposition consacré à l’exposition Leonardo and the copy of the Mona Lisa. New approaches to the artist’s studio practices du musée du Prado autour de la copie de la Joconde de Léonard se déroulant de septembre 2021 à janvier 2022. Le catalogue, écrit par Vincent Delieuvin, Ana Gonzales Mozo et Phillipe Walter, évoque les différentes copies de Léonard de Vinci et conteste l’attribution du Salvator Mundi à Léonard, plaçant l’œuvre parmi celles « attribuées, atelier ou autorisées et supervisées par Léonard » (Hakoun. A,2021).

Ana Gonzales Mozo, conservatrice du musée du Prado évoque, dans le catalogue d’exposition, cette division entre les spécialistes, les uns pensant qu’il existerait un original, prototype de la main de Léonard de Vinci, aujourd’hui perdu, les autres avançant la version de Cook comme le prototype initial. Elle affirme également que l’existence même d’un prototype de la main du maître n’est pas garanti. Selon elle, c’est la version dite de Ganay (1505-1515) (parmi la vingtaine de versions du Salvator Mundi) – en collection privée mais présentée lors de la rétrospective du Louvre en 2019 et à ce jour au sein des collection du Prado - qui serait la plus ancienne et donc la plus proche copie de l’original sûrement perdu de Léonard de Vinci. Cette version Ganay serait alors, au même titre que la version Cook, une production de l’atelier de Léonard de Vinci, l’artiste l’ayant peinte étant, pour la conservatrice, à l’origine de la première copie de la Joconde, également présentée au Prado.

Le catalogue présente également un essai de Vincent Delieuvin, conservateur et co-commissaire d 'exposition de la rétrospective du Louvre en 2020, qui souligne « les détails d’une qualité étonnamment médiocre » du Salvator Mundi, espérant « une future exposition permanente de l’œuvre permettant de l’analyser à nouveau avec plus d’objectivité » (Hakoun, 2021)


L’œuvre comme légitimation d’un pouvoir institutionnel, diplomatique et symbolique

Au-delà de la simple question de l’authentification scientifique d’une œuvre donnée, il s’agit ici d’une question englobant des institutions, dont le poids à la fois culturel et diplomatique vient compliquer la recherche d’une véracité scientifique. Le Salvator Mundi, malgré les doutes sur son authenticité, a bel et bien été fermement attribuée puis vendu en tant qu’œuvre de Léonard. L’œuvre se retrouve aujourd’hui entre débats d’expert, bataille d’image et enjeux diplomatiques qui remettent en cause la place de la voix de l’historien de l’art et de la méthode scientifique dans un contexte où l’art et l’argent se regardent mutuellement.

Le Salvador Mundi se trouve à la convergence du désir des historiens de l’art d’inscrire un nouveau chef d’œuvre au corpus de l’artiste, du désir des institutions de perpétuer la sacralisation de l’artiste et de sa « main » et du désir diplomatique d’assoir une légitimité, un pouvoir symbolique grâce à l’acquisition de l’œuvre d’un maître à l’iconographie particulièrement significative, en particulier dans le contexte Arabo-saoudien.

Parallèlement aux conflits d’attribution, le mystère plane toujours autour de l’acheteur. Un premier rapport du Wall Street Journal désigne comme acheteur le prince saoudien Bader bin Adhullah bin Farhan Al Saud, travaillant comme mandataire au nom du prince héritier Mohammed bin Salman. Les autorités saoudiennes ont déclaré cet achat au nom du musée du Louvre Abu Dhabi des Émirats Arabes Unis où il prendra place. Le prix faramineux de l’œuvre serait en fait le résultat d’une guerre d’enchères accidentelle entre les autorités saoudiennes et émiriennes, chacune pensant que l’autre était rival du Qatar (Frieze,2018).

Le 13 avril 2021, France 5 diffuse un documentaire consacré au Salvator Mundi de Léonard de Vinci, écrit par Antoine Vitkine et réouvre l’enquête sur l’œuvre et notamment les raisons de son absence à la rétrospective du Louvre.

Au sein de ce documentaire, des témoignages restés anonymes issus des ministères de la Culture notamment, expliquent l’absence de l’œuvre au sein de la rétrospective due à une étude approfondie de l’œuvre en laboratoire prouvant la participation mimine du peintre, et en faisant une œuvre d’atelier. Pourtant, en 2019, un ouvrage censuré, coédité par Hazan et les Éditions du Louvre et préfacé le directeur de l’institution par Jean-Luc Martinez, directeur de l’institution, aurait insisté que les recherches du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) qui auraient démontré que le Salvator Mundi serait de la main de Léonard de Vinci (Bellet, 2021).

En effet, en 2018, le C2RMF a mené une étude confidentielle pour préserver la discrétion autour de l’éventuelle supercherie, pour le Louvre, autant que pour les Saoudiens (Rykner, 2021). A ce jour, les résultats de l’expertise ne sont officiellement pas connus. De ce fait, l’affirmation des témoignages anonymes, transmis aux autorités saoudiennes, semble erronée. Bien au contraire, les résultats de l’étude du C2RMF et du Louvre affirmeraient l’attribution de l’œuvre à Léonard de Vinci. Juste après l’annonce concernant la non-attribution à Léonard aux Saoudiens, les éditions du Louvre font paraitre un livre, coédité par Hazan, révélant dans deux essais devant à l’origine être inclus au catalogue d’exposition ainsi qu’une préface de Jean-Luc Martinez, ainsi le résultat des dites analyses.

L’ouvrage, reprenant les termes d’une analyse initialement officieuse se voit retiré de la vente, dont l’existence est même niée par le Louvre. Paru durant une journée au sein de la librairie du Louvre, Didier Rykner et La Tribune de L’art, ont tout de même pu en consulter le contenu qu’ils dévoilent.

Tout d’abord, la préface de Jean-Luc Martinez propose une remise en perspective des contestations quant à l’attribution de l’œuvre et, appuyé par l’évocation des résultats de l’étude du C2RMF, replace le Salvator Mundi au sein du corpus des œuvres de Léonard de Vinci dans la collection du Louvre , « l’exposition du tableau près des autres œuvres originales du maître conservées par le Louvre est donc un événement majeur pour les études léonardiennes dans l’histoire de notre musée » (Rykner, 2021) et affirme clairement l’attribution de l’œuvre à Léonard de Vinci par le musée du Louvre.

Le premier essai, intitulé « Le Salvator Mundi. Une redécouverte » écrit par Vincent Delieuvin, conservateur en charge des peintures italiennes du XVIe siècle, et co-commissaire de l’exposition Léonard, confirme, par l’évocation des résultats de l’étude, l’attribution de l’œuvre à Léonard, et donc sa reconnaissance par le Louvre lui-même. Il affirme que « le tableau de l’ancienne collection Cook se distingue donc des autres versions par son dessin sous-jacent très subtil, par la présence de repentirs importants et par l’extraordinaire qualité picturale des parties bien conservées. Tous ces arguments invitent à privilégier l’idée d’une œuvre entièrement autographe, malheureusement abîmée par la mauvaise conservation du support et par d’anciennes restaurations sans doute trop brutales. » (Rykner, 2021).

De surcroit, l’essai « Le Salvator Mundi. Une étude scientifique » écrit par Élisabeth Ravaud et Myriam Eveno transmet en détail les résultats de l’étude, par l’utilisation « d’examens non invasifs (dossier d’imagerie multi-spectrale, radiographie, réflectographie infrarouge, tomographie par cohérence optique et cartographie de fluorescence X), complétés par un examen approfondi au microscope. ». Cette étude, a notamment permis selon l’article, de distinguer les parties originales de celles abimées ou repeinte probablement issus d’anciennes restaurations invasives. L’examen au microscope a permis d’appréhender la manière de Léonard par la finesse de l’exécution « des carnations et les boucles de cheveux, et un grand raffinement dans la représentation en relief des fils des galons » (Rykner, 2021).

Cette étude permet plusieurs analogies stylistiques, effectivement « la première version du plastron central, de forme pointue, rappelle immédiatement la réserve présente dans la tunique du dessin de Windsor et n’a été remarquée à notre connaissance sur aucune copie. De plus, la modification du pouce droit du Salvator Mundi a été observée de la même manière sur le Saint Jean Baptiste de Léonard de Vinci. » (Rykner, 2021).

Enfin, « La radiographie du tableau montre la même image fantomatique que dans la Sainte Anne, la Joconde et le Saint Jean-Baptiste, caractéristique des œuvres de Léonard après 1500 » (Rykner, 2021). Des considérations sur la technique enfin, permettent l’attribution à la manière du peintre par « l’originalité de la préparation, l’emploi du verre broyé et l’usage remarquable du vermillon dans les ombres et la chevelure », et permettent de situer l’œuvre dans le contexte d’une exécution tardive du peintre, « postérieure au Saint Jean Baptiste, probablement à partir de la deuxième période milanaise ».

L’absence de l’œuvre au sein de la rétrospective du Louvre serait alors d’avantage liée à des raisons diplomatiques que relative aux conflits d’attribution liés à l’œuvre. En effet, les Saoudiens auraient souhaité l’accrochage de l’œuvre dans la salle de la Joconde. Ce choix fut refusé par les conservateurs du Louvre, pour des raisons évidentes de sécurité liés à la médiatisation de l’œuvre. Le musée aurait ainsi refusé de faire de l’œuvre l’une des œuvres les plus importante de l’exposition uniquement en raison de son caractère onéreux. Le choix des conservateurs d’exposer l’œuvre dans la salle des États a donc mené au refus du prêt de l’œuvre par les autorités Saoudiennes. L’entretien effectué par les journalistes de la Tribune de l’art avec Antoine Vitkine évoque les enjeux de l’attribution et de la publication allant au-delà du simple conflit entre débats historiens de l’art et querelles de musées mais s’ancrant véritablement au sein de conflits diplomatiques, en particulier des relations franco-saoudiennes.

Effectivement, l’existence du catalogue d’exposition publié par le Louvre « pourrait s’expliquer par le fait que le Louvre devait, dans tous les cas, se préparer à exposer le Salvator Mundi aux conditions saoudiennes si Emmanuel Macron n’avait pas refusé de donner suite aux exigences saoudiennes (l’exposition du tableau avec une attribution certaine à Léonard de Vinci) » (Rykner, 2021), expliquant, par-delà les conclusions avancés par l’ouvrage, d’ailleurs paru tardivement après le début de l’exposition du Louvre (décembre 2019), les discussion avec les Saoudiens s’étant elles aussi déroulées après cette exposition. Or aucune preuve tangible n’affirme aujourd’hui que le Louvre ait orchestré la publication de ce que qui s’apparenterait à un faux pour appuyer un désir d’attribution. En revanche, la parution tardive de l’ouvrage s’expliquerai probablement par les discussions autour de l’attribution entre les deux pays, et par la volonté du Louvre de montrer le tableau au sein de la rétrospective, sans y inclure les ‘preuves’ de son authenticité (étude de la C2RMF).

De nombreuses incohérences subsistent. Effectivement l’un des hauts fonctionnaires anonymes interrogé au sein du documentaire d’Antoine Vitkine avance que le Louvre n’aurait pas exposé l’œuvre car, après étude en laboratoire, celle-ci appartiendrai à l’atelier de Léonard de Vinci. Il déclare « du côté français il y avait deux positions : celle de Riester au ministère de la Culture et celle de Le Drian au ministère des affaires étrangères. Ils étaient sensibles à tous les projets que nous faisaient miroiter les Saoudiens. "Ma position, que j’ai relayée au plus haut niveau de l’État, c’était que la demande saoudienne était disproportionnée. L’exposer aux conditions saoudiennes ce serait du blanchiment d’une œuvre de 450 millions de dollars." ». Selon l’interrogé, Frank Riester aurait soutenu le Louvre qui n’aurait pas cru à l’attribution, tandis que Jean-Yves Le Drian aurait maintenu une volonté d’exposer l’œuvre pour répondre aux exigences Saoudiennes, or ces déclarations sont dissonantes et infondées car aucune discussion autour de l’attribution n’existait à cet instant.

D’où viendrai alors cette théorie du Louvre réfutant l’attribution à Léonard ?


Elle ne peut provenir du ministère de la Culture, ni du gouvernement, préférant perpétuer les relations entre France et Arabie Saoudite. Les Saoudiens également, n’ont intérêt à remettre en question l’authenticité d’une œuvre qui leur appartient. Didier Rykner avance alors une hypothèse, non appuyée de sources, qu’« il s’agirait d’une « opération » venant des Émirats Arabes Unis qui voient d’un mauvais œil le partenariat culturel qui s’instaure avec la France et le Louvre, notamment autour d’Al’Ula, qui concurrence d’une certaine manière le Louvre Abu Dhabi ». (Rykner,2021). Le mystère reste entier, pour connaitre la vérité, il faudrait que l’Arabie Saoudite libère le Louvre de son obligation de confidentialité et l’autorise à publier les résultats de l’étude du C2RMF, qui, appuyée du Louvre, confirme l’attribution pleine et entière à Léonard de Vinci.

L’enjeu que revêt le Salvator Mundi englobe ici bien plus qu’une simple authentification scientifique d’œuvre, il se doit d’être éclairé par l’importance du Nom dans l’histoire de l’art. Il s’agit ici d’une œuvre attribuée à Léonard de Vinci, dont l’histoire de l’art et les institutions gagnent à attester l’authenticité. S’ajoute à cela la puissance diplomatique et politique que revêt l’art et sa possession par un pays, dans le cadre ici de l’achat de l’œuvre par l’Arabie saoudite.

Effectivement, l’œuvre appartient aujourd’hui au département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi et est destinée à prendre place au sein des collections du Louvre Abu Dhabi. Le Louvre Abu Dhabi remplit une fonction diplomatique par l’utilisation de marque institutionnelle comme le Louvre qui favorise la notoriété du pays et le tourisme culturel en accroissant son soft power. La France de son coté, pérennise son rayonnement universel ainsi que ses relations diplomatiques avec la plaque tournante du pétrole.

La position du Louvre, n’ayant jamais accepté de s’exprimer sur le catalogue d’exposition « malencontreusement » mis en vente, et sous le joug des exigences saoudiennes concernant l’anonymat des résultats de l’étude de la C2RMF, plaide pour la censure à l’égard de l’œuvre assujetti par ses intérêts diplomatiques et politiques. Ce dernier devrait expertiser une œuvre privée, appartenant au prince Saoudien, mais qui est aussi le dirigeant un pays qui finance le musée du Louvre dans la cadre du projet Al Ula, site archéologique pré islamique, pour l’étude duquel le musée a signé un contrat évalué à 15 milliards de dollars.

La localisation actuelle du tableau fait encore débat, bien que certains supposent sa conservation dans les réserves du Louvre Abu Dhabi dans l’attente d’une éventuelle exposition. De son côté, la maison de vente Christie’s indique toujours que le Salvator Mundi a été transféré sans encombre aux nouveaux propriétaires. Selon Thierry Ehrmann, président de l’agence Art Price, représentant mondial des banques de données sur la cotation de l'art, les oulémas de l'université Al Azhar du Caire auraient déconseillé au prince héritier de s'afficher avec le tableau pour des raisons religieuses, Jésus y étant représenté en tant que Sauveur du monde. En effet, l’Arabie Saoudite étant une monarchie absolue islamique, la nation est dotée d’une confession officielle, l’Islam et une représentation catholique de Jésus incarnant Dieu serait problématique. Ce serait pour cette raison que le prince aurait préservé le mystère autour du tableau gardant l’emplacement secret pour éviter toute polémique au sein de sa population. Cependant, si le prince héritier a bien revendiqué être le propriétaire de l’œuvre, il ne s’est jamais prononcé sur sa destination ni sur les raisons de sa dissimulation.



Léna Desplans.



Bibliographie :

Bellet,H., (2021, 13 avril), « Salvaror Mundi », sur France 5 : Léonard de Vinci sauveur ou fossoyeur du marché de l’art ? Le Monde. URL.https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/04/13/salvator-mundi-sur-france-5-leonard-de-vinci-sauveur-ou-fossoyeur-du-marche-de-l-art_6076654_3246.html


Bellet, H., (2021, 15 avril), « Avec le « Salvator Mundi », la valeur de l’œuvre tiendrait au fait que Léonard de Vinci y a touché. Ou pas », Le Monde. URL. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/15/avec-le-salvator-mundi-la-valeur-de-l-uvre-tiendrait-au-fait-que-leonard-de-vinci-y-a-touche-ou-pas_6076946_3232.html


Rykner, D., (2021, 09 avril), « Une autre explication sur l’absence du Salvator Mundi dans l’exposition Léonard », La tribune de l’art. URL. https://www.latribunedelart.com/une-autre-explication-sur-l-absence-du-salvator-mundi-dans-l-exposition-leonard





MOREL, P., ( 2019, 08 juin) « Une experte de Léonard de Vinci nie avoir attribué le Salvator Mundi au maître italien », Le Figaro. URL. https://www.youtube.com/redirect?event=video_description&redir_token=QUFFLUhqbExvQ1M0R2sxTlVMNDBzRVU2TWpWUWJRQnJMQXxBQ3Jtc0ttRTJYSHJpRTZIRGo3R2dpVS1NMlY5VlRXelA3bk1GQlRnbWd2QWlyanNnT2Z0bllZa2FScWU0MHRqaXlTUnV1UFlTX2lOOEJDMGQ2MFdXd1VON1Vqd2FBWndzekFRTjExUmxyUUd4NS1uczBxMWNZdw&q=https%3A%2F%2Fwww.lefigaro.fr%2Farts-expositions%2Fune-experte-de-leonard-de-vinci-nie-avoir-attribue-le-salvator-mundi-au-maitre-italien-20190608

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