Jean-Jacques Breton, Le faux dans l’art, un ouvrage encyclopédique et vulgarisateur d’histoire de l’art présenté à travers des portraits de faussaires illustres et leurs productions de faux.
Un ouvrage encyclopédique à vocation de vulgarisation
Le faux dans l’art est un ouvrage de Jean-Jacques Breton publié en 2014 aux Éditions Hugo Image. Jean-Jacques Breton est aussi l'auteur du non moins connu L'Histoire de l’art pour les nuls, de l’Histoire de la peinture pour les nuls ou bien encore des Petites histoires de l’art, livres vulgarisateurs à vocation pédagogique ; vocation qui caractérise l'ensemble de son travail. Il faut tout de même rappeler que malgré ces publications axées sur l’art et l'histoire de l’art, Jean-Jacques Breton n’a pas de formation d’historien de l’art. En effet, il est docteur en littérature, collectionneur et passionné de peinture. Il a travaillé durant vingt ans à la Réunion des Musées Nationaux (RMN) dans le secteur bibliographie de l’institution. L'ensemble de son travail a donc pour vocation première de vulgariser l’art et l’histoire de l’art. Le sous-titre de cet ouvrage, Faussaires illustres, évoque la volonté de Jean-Jacques Breton de présenter un ensemble de portraits de faussaires qui structure ce livre, au travers des scandales et d’histoires sombres de l’histoire de l'art. Il est intéressant de constater que cette publication n’a pas eu de réception dans le champ de l'histoire de l’art, ce qui prouve son caractère plus axé vers le grand public que vers un public de connaisseurs.
L’histoire du faux dans l’art fait scandale, attire et attise les curiosités. Les faussaires illustres se font connaître, en trompant à la fois l’expert, le connaisseur, l’amateur et le scientifique, avec des impostures qui ont parfois traversé les siècles. C’est donc au travers d’un livre de deux cent quatre-vingts pages que Jean-Jacques Breton relate cette histoire du faux dans l’art. Plusieurs grands thèmes sont abordés, non pas dans un ordre chronologique, mais dans un ordre thématique qui mène jusqu’au scandale. Ce livre se découpe en sept chapitres distincts commençant aux frontières du faux, puis développant la notion même de faux, le rapport entre science et art, quelques fabuleux destins de faussaires, quelques scandales de musées dupés, quelques noms qui défrayèrent la chronique et enfin l’imagination au pouvoir, entre escroqueries et mystifications. La méthodologie est intéressante puisque l’on commence tout simplement en posant les limites de cette notion de faux pour déterminer l’objet même du livre, afin d’aller jusqu’au cœur des scandales. L’histoire que propose Jean-Jacques Breton se déroule donc autour des acteurs de la sphère artistique du faux. L'ouvrage commence avec de fausses gravures préhistoriques et s'étend jusqu'à l’affaire d'Hélène et de Wolfgang Beltracchi qui explose durant l’été 2010. Il recouvre ainsi un temps long du faux dans l’art, traversant les âges, de la période romaine, à la Seconde Guerre mondiale et jusqu'à notre époque.
Une réelle volonté pédagogique émane de cette publication, comme en témoigne le lexique qui ouvre ses premières pages. Sont également proposés des extraits des jugements de cour de cassation des procès de ces faussaires, offrant un aspect plus juridique à ce livre, restant toujours grand public. La présentation est assez générale en matière de support évoqué puisque les comparaisons et récits sur les copies et faux ne s'arrêtent pas seulement aux œuvres picturales, mais incluent aussi les gravures préhistoriques, l’orfèvrerie, la joaillerie, les statues, les monnaies et les bas-reliefs, même si la peinture reste le cœur même du propos. Par la suite, une émission de France Culture a été produite en 2017, pour développer le discours proposé par cet ouvrage Le faux dans l’art à travers un autre médium qui est celui du podcast. C’est au travers de deux épisodes d'une heure chacun autour de L’Affaire Vrain-Lucas, le "Balzac du faux" évoqué dans le livre (p.222-223) que s’est développé celui-ci. Le but était de toucher davantage de personnes encore, avec ce discours sur la notion du faux dans l’art.
Une mise en comparaison visuelle pertinente
Comme évoqué précédemment, cet ouvrage est porté par une volonté pédagogique et vulgarisatrice, qui est perceptible à travers les illustrations qu’il propose. En effet, ce dernier est composé d'environ cent vingt illustrations dont vingt-cinq sont en noir et blanc, et quatre-vingt-quinze en couleurs. La composition même du livre propose des doubles pages très intéressantes pour comprendre la volonté des faussaires et le décalage entre les vraies œuvres d’artistes et les faux. Cette organisation permet au lecteur lui-même de constater les dissonances entre les originaux et les faux.
Hans van Meegeren, Theo van Wijngaarden et Johannes Vermeer
La double page consacrée à l'œuvre de Johannes Vermeer, La jeune fille à la perle dont se sont probablement inspirés Hans van Meegeren et Theo van Wijngaarden pour réaliser leur œuvre nommée La jeune fille souriante, en est un parfait exemple. Selon l’auteur, Hans van Meegeren et Theo van Wijngaarden auraient réalisé ce tableau ensemble, le faisant passer pour une œuvre de jeunesse de Johannes Vermeer (p.118). Ainsi, la proximité des œuvres et leurs ressemblances sont mises en valeur, mais aussi leurs écarts. Le lecteur est ainsi capable par lui-même de constater les faits.
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Si la position des femmes, leurs corps, le traitement de leurs habits ou encore la composition globale des œuvres paraissent semblables, les visages des jeunes femmes sont traités différemment. Cette double page permet donc une mise en comparaison visuelle pertinente pour le lecteur.
Tom Keating et Auguste Renoir
D'autres faussaires sont aussi présentés comme Tom Keating, dont la production de faux est mise en avant à travers plusieurs doubles pages qui, de la même façon que pour l’œuvre de Johannes Vermeer, proposent de regarder en même temps, le faux et l'œuvre de référence de ce dernier. Grâce à celles-ci, nous comprenons de quelle manière les faussaires se sont inspirés de ces œuvres, et comment sont nés les faux qui en découlent.
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Ce livre propose donc des illustrations qui mettent parfaitement en image les propos de Jean-Jacques Breton sur le faux dans l’art, soulignant les correspondances entre œuvres originales et faux. De surcroît, les illustrations sont de bonne qualité ce qui témoigne encore de cette volonté pédagogique qui émane de l'ensemble de la publication. Chaque illustration accompagne le texte qui lui est lié et elles sont insérées dans celui-ci. Pour autant, relevons une association d’image et de texte qui ne semble pas avoir de sens. En effet, au cœur du chapitre Noms qui défrayèrent la chronique, une illustration d’une sculpture d’un faune attribuée par erreur à Paul Gauguin interroge. En effet, elle ne semble pas correspondre au texte qui lui est associé puisque sur la même page, l’image apparaît à côté du récit de l’affaire de la famille Greenhalgh ayant trompé la maison de vente Christie’s avec la création d’une fausse statue égyptienne (p.208). Cet écart semble le seul à relever dans l'ensemble de l’ouvrage, qui porte de façon générale, une attention particulière à l’association des propos et des illustrations.
L'absence du regard de l’historien de l’art
Si cet ouvrage nous propose une vulgarisation pédagogique de l'histoire du faux dans l’art, il faut pour autant constater l’absence de sources récentes sur la question. En effet, la bibliographie de Jean-Jacques Breton se base sur des sources, qui pour la plupart, sont anciennes. Sont notifiés les écrits de Giorgio Vasari, de John Ruskin, de Théophile Gautier ou encore d'Eugène Viollet-le-Duc. Il faut ajouter à cela le fait que le troisième chapitre du livre se nommant Sciences et art ne s’appuie que sur un faible nombre de sources scientifiques, pour ainsi dire uniquement sur la publication de Jean-Pierre Mohen, L’art et la Science, l’esprit des chefs d'œuvres de 1996. Mais au vu du nombre de sujets évoqués et de la volonté encyclopédique qui émane de cet ouvrage, celui-ci ne peut pas à la fois toucher à tous ces sujets, développer les portraits de faussaires et creuser chacune des notions évoquées.
Le faux dans l’art de Jean-Jacques Breton me semble, par conséquent, intéressant pour un public non averti qui souhaite découvrir le monde de l’art et la manière dont la tromperie y prend parfois place. Pour autant, si le public concerné est un public de connaisseurs, il semble alors intéressant de consulter ce livre de façon complémentaire à d'autres écrits, plus universitaires. De surcroît, l’ouvrage comporte dans son titre même le terme d’art et face à cette évocation, nous nous attendons à voir une notion d’histoire de l’art plus développée. Mais le constat est là, il manque à cette publication, le regard d’un historien de l’art. Certes, il a été rédigé par un auteur passionné d’art, mais qui reste néanmoins, un docteur en littérature. Il est alors intéressant de consulter cet écrit en corrélation avec d’autres, qui sont rédigés par des historiens de l’art comme celui d'Otto Kurz nommé Faux et faussaires de 1982 ou bien l'ouvrage collectif De main de maître. L’artiste et le faux publié en 2009.
Kurz, Otto, Faux et faussaires, Paris, Flammarion, 1982.
Le livre d’Otto Kurz nommé Fakes : a handbook for collectors and students de 1948, dont nous étudierons la version française traduite sous le titre Faux et faussaires publié en 1982 aux Éditions Flammarion semble pertinent à consulter en parallèle. Otto Kurz est un historien de l’art autrichien et éminent professeur d’université du XXe siècle. Il a écrit de nombreux essais et ouvrages d’histoire de l’art dont le fameux livre rédigé avec Ernst Kris, La légende de l’artiste. Une tentative historique de 1934. Son ouvrage Faux et faussaires permet quant à lui, de pallier cette absence du regard de l’historien de l’art sur la question des faux dans l’art. Ce livre est présent dans la bibliographie de Jean-Jacques Breton et propose une réflexion plus centrée sur la place du faux dans l'histoire de l’art. L’ouvrage propose un développement thématique subdivisé en fonction des supports de production des œuvres d'art : de la poterie, à l'orfèvrerie, mais aussi à la mosaïque, la sculpture, la peinture, le bronze, l’ivoire, la terre cuite, le verre, les meubles, l’art du manuscrit, et ainsi de suite… Il s’attarde plus amplement sur les techniques utilisées et sur la manière dont les scientifiques, amateurs, connaisseurs et experts ont pu se méprendre au vu de celles-ci. Cette partie-ci est extrêmement développée, passant au crible les méthodes scientifiques d'examen des tableaux, les analyses microchimiques des couleurs, la radiographie, la lumière ultraviolette ou encore la microphotographie. Le lien entre science et art revendiqué dans l’ouvrage de Jean-Jacques Breton, est ici, parfaitement exprimé. Pour autant, les illustrations des œuvres d’art présentées dans cette publication ne le sont qu’en noir et blanc et de relative petites tailles. Aucune mise en correspondance n’est réalisée et l’ouvrage ne permet donc pas une comparaison entre les œuvres originales et les faux, s’axant plus sur la technique elle-même de création des faussaires. Malgré le regard de l’historien de l’art exprimé ici, l’ouvrage date de 1948. Par conséquent, un second ouvrage plus récent semble intéressant à lire en corrélation avec le livre Le faux dans l’art de Jean-Jacques Breton afin d’avoir un regard moderne d’historien de l’art porté sur cette question.
Chéroux, Clément, et al., De main de maître. L’Artiste et le faux, Paris, Hazan, 2009.
Ce livre est issu d’un colloque qui a eu lieu au musée du Louvre à Paris, entre les 29 et 30 avril 2004. Il est la restitution des séances au cours desquelles plusieurs spécialistes se sont interrogés sur cette question du faux dans l’art, notamment Clément Chéroux, historien, conservateur et commissaire d’exposition français, ou encore Nathalie Heinich, sociologue de l’art française. L'ouvrage a une réelle portée scientifique et propose des regards d'historiens de l'art sur la question. Il commence de la même manière que celui de Jean-Jacques Breton, évaluant les frontières du faux, tout comme celles de la copie, mais étend ses questionnements jusqu’à l’Asie. Le développement est axé, lui aussi, sur un plan thématique et propose des interrogations larges comme La leçon du goût en musique ou bien Les faux-semblants de la photographie. Pour autant, les cent cinquante illustrations qui sont proposées ne sont pas insérées au cœur du propos, mais à la fin de chaque chapitre. Ce placement ne permet pas une réelle prise de conscience des ressemblances et dissonances entre les œuvres originales et les faux. Enfin, cet écrit est étonnamment mis de côté par Jean-Jacques Breton alors qu’il est paru en 2009, soit cinq ans avant sa propre publication. En omettant ce livre, Jean-Jacques Breton passe à côté de ce regard complet apposé par ces seize spécialistes qui s'interrogent sur la question du faux dans l’art.
Conclusion
L’ouvrage de Jean-Jacques Breton se veut encyclopédique incluant un lexique, des définitions, de nombreuses illustrations, mais aussi des portraits de faussaires, d’experts et une mise en rapport entre art et science ainsi que des extraits juridiques. Finalement, n’est-ce pas trop ? En effet, mû par une volonté pédagogique et vulgarisatrice, Jean-Jacques Breton semble toucher à de nombreux sujets divers sans pouvoir les creuser vraiment dans leur ensemble. Le livre est intéressant en tant que première confrontation à cette notion du faux dans l'art pour un public non averti. Par le biais de mises en pages pertinentes qui permettent aux lecteurs eux-mêmes de confronter faux et originaux, et d’images de qualité qui illustrent parfaitement les propos de l’auteur, la publication amène à comprendre les procédés des faussaires. Pour autant, le regard d’un historien de l’art manque à la rédaction du livre qui semble alors pertinent à mettre en rapport à l'œuvre d'Otto Kurz, Faux et faussaires ou à l’ouvrage collectif De main de maître. L’Artiste et le faux.
Bibliographie :
Breton, Jean-Jacques, Le faux dans l’art, Paris, Hugo Image, 2014.
Chéroux, Clément, et al., De main de maître. L’Artiste et le faux. Paris, Hazan, 2009.
Gautier, Théophile, « Des originaux et des copies », Le cabinet de l’amateur et de l’antiquaire, revue des tableaux et des estampes anciennes, des objets d’art, d’antiquités et de curiosités, Paris, 1842.
Kurz, Otto, Fakes: a handbook for collectors and students, Londres, Faber, 1948.
Kurz, Otto, Faux et faussaires, Paris, Flammarion, 1982 [Édition traduite de l’anglais par Jacques Chavy].
Kurz, Otto, Kris, Ernst, La Légende de l’artiste. Une tentative historique, Vienne, Krystall-Verlag, 1934.
Mohen, Jean-Pierre, L’art et la Science, l’esprit des chefs d'œuvres, Paris, Gallimard, 1996.
Ruskin, John, Les Sept lampes de l’architecture, Londres, Smith, Elder & Co, 1849.
Vasari, Giorgio, Vie des artistes, 1550 [Édition consultée : Paris, Grasset, 2007].
Viollet-le-Duc, Eugène, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, 10 vol., Paris, éditions Bance-Morel, 1854-1868.
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