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Suspicions et révélations, les faux ibériques du Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Article écrit par : Tymour Boussou - Lina Hammouche - Lucas Miquet-Sage - Sofia Accebbi

Morgane Mainguy - Tuvana Selçuk - Zlata Teplyshova



Lorsque Philippe Durey devient directeur du musée des Beaux-Arts de Lyon en 1986, une subvention de la part de la ville est accordée à l’institution pour le réaménagement des salles où étaient exposées les peintures italiennes et ibériques du XVe au XIXe. Ces travaux ont permis de mettre en lumière des œuvres peu étudiées de la collection permanente et notamment de remettre en question l'authenticité de deux panneaux ibériques issus d’un legs en 1972 et originellement datés du XVe s. Notre dossier traitera dans une première partie des différentes correspondances entre les acteurs muséaux et les spécialistes, afin de restituer les différentes étapes de l’expertise qui ont menées à ce constat. Nous nous intéresserons également au contexte et aux conditions juridiques d’acquisition des panneaux, issus d’un don, ce qui pose des questions sur la notion d'inaliénabilité des œuvres au sein des institutions ayant obtenu le label Musées de France.

(fig. 1) Aragon (faux), Scène de cour, Bois, H. 1,68 ; L. 0,94 cm. Inv.:1972-97 © Documentation du musée des Beaux-Arts de Lyon, Studio Basset, Lyon.

(fig. 2) Aragon (faux), Scène de cour, Bois, H.1,87 ; L. 1,03. Inv. : 1972-96 © Documentation du musée des Beaux-Arts de Lyon Studio Basset, Lyon

En 1991, les conservateurs découvrent que des faux sont présents au sein même de leur collection. Cette affaire concerne deux panneaux attribués à l’école aragonaise du XVe siècle. De productions anonymes, ces deux retables sont identifiés comme des scènes de la cour d’Aragon. Acquis par le musée des Beaux-Arts suite au don de Léon Emile Marcel Fontaine aux Hospices civils de Lyon en 1972, ces deux panneaux semblent, à première vue, bénéficier de toutes les caractéristiques stylistiques de l’école aragonaise du XVe siècle. Acceptés comme authentiques par les conservateurs du musée jusqu’alors, les interrogations émises par des spécialistes de la peinture espagnole ainsi que la comparaison des productions avec une œuvre similaire conservée au musée des Augustins de Toulouse vont permettre assez rapidement de déceler la supercherie.


Les panneaux de Lyon ne provoquent pas d’interrogation sur leur authenticité pendant de nombreuses années, tout comme le panneau conservé à Toulouse qui semble être de la même main. Une description précise de l’œuvre en question dans le catalogue publié à l’occasion de l’exposition Primitifs aragonais XIVe XVe siècles, qui a lieu entre le 15 janvier et le 15 mars 1971 au musée des Beaux-Arts de Pau, relève néanmoins des ambiguïtés et des incohérences quant aux caractéristiques stylistiques du panneau. La détrempe et or sur bois, de 150 x 115 cm., conservée au musée des Augustins à Toulouse, a été confiée à l’institution par Madame Gardes - à propos de laquelle nous n’avons pas plus d’informations. L'œuvre, attribuée à l’école aragonaise vers 1470 est présentée dans le catalogue comme la figuration du Mariage d’un prince. Dans sa notice, Philippe Comte, conservateur du musée des Beaux-Arts de Pau au moment de la publication, partage en premier lieu son ressenti face au panneau qu’il juge « étrange et intéressant » (Les Primitifs aragonais XIV-XVe siècles, 1971, p. 86).

La datation de l’œuvre de la fin du XVe siècle n’est pas remise en question par Comte, qui, après une analyse rapide du sujet, confirme la possibilité qu’elle traite d’une scène de mariage de futurs rois catholiques (« On sait en effet que l’infante Isabelle, sœur d’Henri IV, roi de Castille, épousa en 1469 Ferdinand, fils de Jean II, roi d’Aragon »). Aucun doute à l’égard de l’identité de l’auteur n’est alors émis. Pourtant, le mystère qui semble s’attacher à l’œuvre s’épaissit lorsque le conservateur étudie le traitement des personnages et des motifs qui composent le panneau. Il remarque alors « l’allongement des visages » qu’il rapproche des maniéristes (terme habituellement employé pour désigner des productions du XVIe s.) et une certaine maladresse dans les traits ; maladresse qu’il associe à une production rurale. Comte suggère également que l’arrière-plan, partagé en deux zones distinctes, une plus « sombre et unie », l’autre « opulente et dorée », pourrait représenter deux mondes, le spirituel et le temporel. La somptuosité de certains éléments de la composition - comme les orfrois, les couronnes ou le ceinturon -, dorés et traités en relief, est grandement appréciée, notamment dans le contraste qu’elle crée avec les couleurs chaudes et sourdes qui dominent l’œuvre. L’examen se termine sur une considération de l’état très fragile du panneau, dont la restauration avait été estimée nuisible par le conservateur du musée des Augustins de Toulouse, par crainte d’altérer l’œuvre ; « restituer ici les parties manquantes […] aurait inévitablement dénaturé cette œuvre ». Il juge au final la production « attachante », mêlant délicatesse, naïveté et habileté.

Le tableau de Pau est stylistiquement lié aux deux panneaux du musée de Lyon qui entrent dans les collections du musée des Beaux-Arts en 1972, soit un an après l’exposition du panneau des Augustins Toulouse au sein de l’exposition tenue à Pau. Si l’authenticité des retables espagnols de Lyon n’est pas questionnée au moment de leur acquisition via le legs de Léon Fontaine de 1972, elle va être remise en question vingt ans après, suite au réaménagement initié en 1990 des salles dédiées aux écoles étrangères du musée des Beaux-Arts de la ville. Dans la continuité des travaux, le projet d’un catalogue autour des peintures espagnoles du musée va permettre une réévaluation complète de la collection. Dans cette optique, la chargée de documentation du musée des Beaux-Arts de Lyon fait parvenir une lettre au musée de Saragosse afin d’obtenir une expertise concernant l’authenticité des panneaux lyonnais. Dans sa demande, elle explicite l’origine de l'attribution à l’école aragonaise : les panneaux de Lyon avaient été rapprochés du Mariage d’un prince, conservé au musée des Augustins de Toulouse, dont des similitudes dans le style et dans le traitement des personnages avaient été relevées. La documentaliste lyonnaise s’interroge sur les origines de ces retables mais également sur leur authenticité car il pourrait s’agir, selon elle, « d’habiles contrefaçons » (documentation du musée des Beaux-Arts de Lyon, désormais DBA, 1991, inédit).

À la réception de la lettre, la conservatrice du musée de Saragosse la transmet à une spécialiste, professeure d’histoire de l’art antique et médiéval à l’université de la même ville, Mme Lacarra Ducay. Sa réponse est sans appel, ces œuvres ne sont pas authentiques. L’experte avance une multitude d’explications et de détails. Selon elle, la physionomie des personnages ne coïncide pas avec les canons du XVe, de même pour les vêtements « folkloriques » qui seraient encore portés dans les années 1970. De plus, les écritures visibles sur le livre dans une des scènes de cour ne correspondent pas à la graphie du XVe: « Les lettres écrites dans le livre ne sont pas du XVe siècle, comme peut le montrer n’importe quelle étude de paléographie médiévale européenne » (DBA, inédit). D’après la spécialiste, « l’ambiance gothique » que le faussaire aurait souhaité reproduire aurait été traitée à travers un regard contemporain, ce qui a nui au résultat final (DBA, inédit). Ainsi, depuis sa contribution, les panneaux aragonais issu du legs Fontaine sont présentés dans le catalogue du Musée des Beaux-Arts de Lyon, comme étant des faux, « copiant le style du XVe siècle » (Lavergne-Durey et Buijs, 1993.).



Le faux, indice d’un goût des collectionneurs et d’une pratique des faussaires


Si le musée a donc pris conscience dès 1991 que ses peintures aragonaises sont des faux, les similarités entre les trois panneaux sont remarquées par d’autres experts de la peinture espagnole du XVe siècle. Le 18 juin 2000 Mauro Natale, professeur honoraire au département d'Histoire de l'art de l'Université de Genève, adresse une lettre à Philippe Durey, conservateur du musée des Beaux-Arts de Lyon (DBA, inédit) afin de lui fournir « une information mineure mais non dépourvue d'intérêt ». Il signale à ce dernier que les deux panneaux exposés sous le cartel « Faux, imitant l'école d'Aragon du XVe siècle » peuvent être analysés en comparaison à un troisième panneau, celui du musée des Augustins de Toulouse (inv. 4781). Selon lui, la comparaison avec ce panneau « du même format et de la même main » est fondamentale pour la redécouverte des « Primitifs » espagnols car les trois retables témoignent d'un intérêt précoce des faussaires pour cette école.

Dans ce processus d’analyse des faux, on voit donc bien que l’intérêt des experts se porte également sur une histoire du goût qui redonne aux faux une place importante dans l’histoire des sensibilités. Mauro Natale s'intéresse principalement à la peinture du Moyen Âge, à la production artistique de la Renaissance en Italie, en France et en Espagne, ainsi qu'aux échanges entre ces régions européennes et à l'histoire du collectionnisme. Considéré comme une autorité sur le sujet au sein de la communauté scientifique, son opinion sur les trois panneaux aide à éclairer les rapports entre les faux et les échanges de productions artistiques en Europe. Responsable du Catalogue des peintures italiennes du Musée d'art et d'histoire de Genève (1979), Mauro Natale a également fait du faux un objet d’étude à part entière dans son ouvrage L’art d’imiter. Falsifications - Manipulations - Pastiches (Genève 1997).

En raison de disparités stylistiques et techniques, on ne peut ni confirmer, ni démentir la possibilité que les trois panneaux aient été produits par le même faussaire. Cependant, ces œuvres permettent d’attirer l’attention sur la perception du style de l'école d'Aragon et donc sa reproduction par des faussaires à la fin du XXe s. et invitent à réfléchir sur la diffusion des faux espagnols en France et leur présence dans les musées.

L’imitation se base sur des éléments du style néo-gothique, en vogue au XIXe siècle (vêtements, blasons, motifs décoratifs, dorure. Leur exagération, ainsi que l’inspiration directe de stéréotypes, laissent penser que le faussaire n’aurait jamais vu d’originaux et aurait travaillé selon des intuitions générales reflétant davantage son époque que le XVe siècle aragonais. Par exemple, Mme Lacarra Ducay remarque que les vêtements des personnages reprennent des parures folkloriques et renvoient plutôt au style vestimentaire en vogue en Espagne dans les années 1970 qu’au style des vêtements du XVe siècle. Les fantasmes sur le romantisme imagé du Moyen Âge dans la littérature moderne peuvent être la raison d’une possible production en vogue à cette époque. Le catalogue d’exposition Le temps de la peinture (Ramond, 2007) souligne l’intérêt des collectionneurs lyonnais pour les primitifs italiens et espagnols à Lyon entre le XIX et le début du XXe siècle sous l’impulsion de “peintres troubadours”. Ces peintres et des collectionneurs ont longtemps été proches du musée municipal de Lyon. Leur objectif était d’en faire un lieu fort de culture locale, où les gens de la bonne société et les artistes pouvaient se réunir. Ces collectionneurs, fervents participants de la célébration et l’élaboration d’un goût lyonnais, avaient pour habitude d’enrichir les collections du musée par de nombreux dons et legs d'œuvres. Le catalogue dresse précisément le portrait du musée lyonnais comme le centre d’une société bourgeoise qui tente de rivaliser avec les autres lieux de culture de l’époque. Ainsi, une grande complicité se forge entre notables lyonnais et administration muséale. Ces grands collectionneurs pris dans un jeu social n’auraient-il pas été abusés lors de certains achats d'œuvre ? Les peintres “troubadours” semblent, au travers de leurs voyages, avoir pu voir des œuvres de primitifs aragonais et tirer parti durant leurs déplacements de leur talent et des ambitions culturelles locales.

Outre une histoire du goût, la question du faux au sein de collections publiques présente également des enjeux non négligeables dans le domaine juridique, en particulier dans le cas d’un legs. En effet, l’acquisition d’œuvres au sein de Musées de France entraîne des conséquences légales fondamentales, en particulier sur le principe d’inaliénabilité encore en vigueur de nos jours.



Les spécificités du legs de Léon Emile Marcel Fontaine (1972)


A la différence de la donation et du don où les personnes vivantes peuvent renseigner les institutions sur les méthodes d’achat, le legs rend bien souvent opaque l’origine des biens. Or, les conditions juridiques du legs au musée des Beaux-Arts interrogent. En effet, bon nombre de musées et de collections ont bénéficié de legs pour enrichir leurs collections. Ces legs permettent la conservation d'œuvres d’artistes parfois méconnus, d’un goût d’une certaine époque ou encore l’obtention de pièces rares. Les collections obtenues par legs reflètent des réalités et histoires locales. L’exposition Le temps de la peinture, Lyon 1800-1914 au musée des Beaux-Arts de Lyon en est la preuve. Cependant, l’histoire locale est parfois porteuse de spécificités difficiles à cerner, et les legs restent une question difficile à manier pour les musées, tant par les obligations légales qu’ils entraînent, que par les opportunités qu’ils présentent.

Le Code du Patrimoine de 2002 qui institue le label Musée de France, harmonise l’ensemble des institutions et des processus de leurs acquisitions Ces dernières seront alors munies d’un comité de spécialistes composé des acteurs culturels nationaux et régionaux. Autrement dit, entre 1945 et les années 1990 où s’opère une révision des institutions muséales, les acquisitions sont peu encadrées. À Lyon, il s’agit d’une période où les notables de la ville ont une place importante dans la gestion des institutions politiques et culturelles de la ville. C’est aussi une période où de nombreux legs d'œuvres ont été effectués en faveur du musée.

L’acquisition du legs de Léon Emile Fontaine est au centre du questionnement sur l’authenticité des panneaux lyonnais. En effet, à la suite du décès en 1972 de Léon Émile Marcel Fontaine vivant à Limonest, au 13 Grande Rue, les Hospices de Lyon sont désignés comme légataires universels. Le gestionnaire des legs, suite à l’évaluation des biens, propose au Musée des Beaux-Arts d’intégrer certaines pièces à ses collections. Dans une lettre du 6 juin 1972, Madeleine Rocher-Jauneau, alors Conservatrice en chef du Musée, dresse une liste du mobilier intéressant pour le musée et une liste ne présentant « aucun intérêt » pour ce dernier, avec recensement de la valeur du mobilier « intéressant » (DBA). Ainsi des chinoiseries et du mobilier français du XVIIIe s., et des panneaux espagnols du XVe s. sont transférés des Hospices de Lyon vers les collections du musée.

Cette décision soulève des interrogations du côté de la Mairie. Une lettre de Louis Pradel, Maire de Lyon, informé de cette transaction, est alors adressée à Madame la directrice du musée municipal des Beaux-Arts de la ville de Lyon. Il note dans cette lettre le cas d’un précédent legs et comme la loi l’indique, « l’avis de Monsieur le Ministre des Affaires Culturelles avait été sollicité, en application de l’article 9 de l’ordonnance 45-1546 du 13 juillet 1945 […] ». Il demande ainsi pourquoi dans le cas du legs de Fontaine, cette sollicitation n’a pas été effectuée. Puis il demande de démontrer « […] l’intérêt que présenterait ce mobilier pour le musée, avec indication, si possible, de sa valeur. » (DBA). Malgré des recherches approfondies à la Documentation du Musée, il ne nous a pas été possible de retracer l’arrivée des trois retables dans les collections privées de Madame Gardes (pour Toulouse) ni de Monsieur Léon Émile Marcel Fontaine. En effet, malgré nos requêtes, nous n’avons pu accéder à l’intégralité du registre d’entrée -seulement deux pages avec les numéros d’inventaire des panneaux ibériques- du musée pendant le temps de la direction de Mme Rocher-Jauneau afin de vérifier si le processus d’acquisition était le même pour chaque legs.

Cependant, l’histoire du musée semble indiquer que Madeleine Rocher-Jauneau, en poste jusqu’en 1986, a œuvré du mieux possible pour enrichir les collections d’un musée désargenté. Son successeur Philippe Durey a bénéficié d’un budget plus important pour les travaux entre 1990 et 1998. Durant ceux-ci, une campagne d’étude et de restauration est mise en place pour les peintures italiennes et espagnoles du XVe au XVIIe siècle, et mène – comme nous l’avons vu - au nouveau catalogue reconnaissant les panneaux ibériques comme des faux. Madeleine Rocher-Jauneau ne semble pas avoir disposé des mêmes moyens que ses successeurs, et elle essayait de promouvoir une culture locale au sein du musée des Beaux-Arts de Lyon, notamment avec la première exposition muséale du groupe Témoignage en 1976. (Groupe d’artistes lyonnais, fondé en 1936). Il est fort probable que le manque de subventions versées par la ville de Lyon, durant la période de direction de Madeleine Rocher-Jauneau n'ait pas permis une vérification des pièces reçues. Philippe Durey a ainsi relancé les recherches vingt ans plus tard. C’est alors que peut être posée la question de leur statut juridique.



L’inaliénabilité en question, rappel du contexte juridique concernant le legs


Le principe d’inaliénabilité qui régit la conservation muséale, bien que régulièrement remis en cause, est fondamental dans les collections publiques. L’inaliénabilité, dite aussi "l'indisponibilité", est le caractère d'un bien ou d'un droit lorsqu'il est insusceptible de faire l'objet d'un transfert de propriété. En somme, l’ensemble des objets acquis par les musées de France est leur propriété de manière définitive et incompressible. Les objets de musées issus de dons et legs bénéficient d’une inaliénabilité explicite, au titre du Code du Patrimoine, régi par le Code Civil qui ne fait pas de distinction entre donataire public ou privé. Cela peut être un avantage lorsque de grands collectionneurs, artistes ou marchands d’art, tels Yvon Lambert ou Guimet, s’évertuent à faire bénéficier la nation du travail de leur vie. Mais cela peut être un inconvénient lorsque des particuliers ou anonymes effectuent des legs sans pouvoir justifier leurs acquisitions.

Le principe d’inaliénabilité est pourtant régulièrement interrogé. Dans les années 2000, au sein du gouvernement s’ouvre une porte à la désaffectation de certaines œuvres, procédure lourde qui n’a pas encore été mise en place malgré la nomination tous les cinq ans d’un comité de scientifique à même de traiter ces questions. Le rapport Rigaud publié en 2008 offre alors une meilleure compréhension d’une telle mesure. Dans son approche de la conservation et de la gestion des collections, l’auteur questionne la possibilité pour les musées de faire « respirer » les collections notamment par la vente ou la cession d’œuvre. Au travers de cette idée de « respiration », Rigaud tente de répondre aux propositions du rapport de Jouyet-Lévy intitulé « l’économie de l’immatériel » dans lequel est suggérée une réduction de la notion d’inaliénabilité au sein des musées français. L’idée centrale du de-accessionning, d’origine américaine, serait d’autoriser la vente d’œuvres par les musées afin de leur permettre de s’engager dans de nouvelles acquisitions ou de soulager les gestionnaires des charges de conservation de certaines pièces jugées non essentielles pour le musée. Or, il pourrait être tentant de revendre une œuvre identifiée comme un ‘faux’. Les panneaux de bois peints du legs Fontaine occupent ainsi une place spéciale dans le débat autour de l’inaliénabilité. Les faux dans les collections des Musées de France sont, tout comme les autres œuvres, protégés par l’inaliénabilité. Ces objets particuliers pourraient pourtant questionner cette obligation à la conservation des œuvres et se présenter comme un argument contraire aux efforts de préservation des œuvres et du mobilier. Cependant seule l’étude approfondie et la compréhension des pièces concernées permet de mettre en lumière leur intérêt au carrefour de nombreuses problématiques, en particulier d’une histoire du goût des collectionneurs.

Dans une certaine mesure, l'étude de faux peut nous éclairer sur les différents enjeux d'une telle réglementation car elle interroge, tout comme les pièces issues de périodes coloniales, leurs légitimités dans les collections nationales, leurs méthodes d’acquisition, tout en témoignant de l’évolution de notre regard sur la valeur artistique et historique des objets d’art. Les défauts juridiques qui entourent l’acquisition des panneaux ibériques mettent en relief des possibilités quant à la gestion des faux au sein d’une collection nationale. En effet, les faux avérés semblent se rapprocher des problématiques de la restitution d’œuvres mal acquises. Comme le suggère Benedicte Savoy dans son rapport, il est possible de considérer les faux comme des objets non-appartenant à la collection du musée. En effet, les biens dont le caractère illicite serait révélé du fait de la découverte de nouveaux éléments, peuvent faire l’objet depuis la loi LCAP du 7 juillet 2016, d’une annulation par voie judiciaire de leur acquisition par vente, don ou legs à l’initiative de la personne publique abusée. Ainsi deux options se dessinent pour les panneaux ibériques : une conservation qui s’engage alors à une réévaluation des potentielles éducatifs des faux au sein des collections ou bien une exclusion des collections qui à long terme pourrait être dommageable dans la relation des musées et des futurs donateurs.

Par habitude ou manque de connaissances scientifiques lors des legs, des erreurs d’acquisitions peuvent advenir. Cependant, ces erreurs font partie intégrante de l’histoire des collections. C’est grâce aux inventaires critiques d’une collection que l’on peut repérer des erreurs d’attribution. Ces réévaluations révèlent une attention et une minutie certaine dans l’étude et la gestion des collections muséales. Toutefois il reste à savoir quel est l’avenir de ces faux dans les collections nationales. Pour cela, il faut contraster l’apport d’un faux en matière de connaissance et d’éducation face aux déficits et à la qualité d’ensemble d’une collection. Depuis la remise en question de l’authenticité de ces panneaux ibériques, ils n’ont pas figuré dans les catalogues ou les expositions du musée, les avis et échanges entre universitaires qui discutent de leur authenticité sont des documents confidentiels, partagés à de rares occasions. Or ces panneaux sont des objets historiques qui bénéficieraient d’un contexte détaillé pour que leur valeur historique et culturelle puisse être mise en lumière. En contraste avec des panneaux authentifiés, ils permettraient au grand public comme aux jeunes spécialistes de perfectionner leur œil, et pourraient aussi être un point d’entrée pour cerner l’importance des différents corps de métiers au sein du musée et la définition d’une pratique scientifique de l’histoire de l’art.

De telles pièces riches d’histoires par leurs créations puis leurs circulations pourraient être un outil à charge contre l'inaliénabilité des œuvres surtout lorsque leurs histoires sont enfouies, cachées ou dissimulées et que les œuvres ne sont pas exposées. Or les redécouvrir, les exposer et raconter leur histoire permettrait de mettre en lumière l'institution, son évolution, ses acteurs et les législations qui encadrent les acquisitions ainsi que les missions historiques et pédagogiques de tels lieux.


Panneaux étudiés

  • Anonyme, Scène de la cour, fin XIXe - début du XXe, huile sur bois, H. 1,87 m, L. 1,03 m, inv. 1972 - 96, Legs Léon Fontaine en 1972 (Collection Léon Fontaine à Limonest).

  • Anonyme, Scène de la cour, fin XIXe - début du XXe, huile sur bois, H. 1,68 m, L. 0,94 m, inv.1972 - 97, Legs Léon Fontaine en 1972 (Collection Léon Fontaine à Limonest).

  • Anonyme, Le mariage d’un prince, fin XIXe - début du XXe, tempera et or sur bois, H. 1, 50 m, L. 1,15 m, inv. 4781, Don de Mme Gardes (Collection Musée des Augustins à Toulouse).


Sources tirées de la documentation du Musée des Beaux-Arts de Lyon

  • Lettre du 12 mai 1972 (Lyon) envoyée par le maire de Lyon à la conservatrice du Musée des Beaux-Arts de Lyon (Valérie Durey), reçue le 15 mai 1971 (Objet: Succession Fontaine).

  • Lettre du 6 juin 1972 (Lyon) envoyée par la conservatrice du Musée des Beaux-Arts (Valérie Durey) au maire de Lyon (Objet: Succession Fontaine).

  • Lettre du 22 mai 1991 envoyée par la conservatrice du musée de Beaux-Arts de Lyon (Valérie Durey) à la conservatrice du musée de Zaragoza (Belén Diaz de Rabago Cabeza).

  • Lettre du 3 juin 1991 envoyée par la conservatrice du Musée de Zaragoza (Belén Diaz de Rabago Cabeza) à la conservatrice du musée des Beaux-Arts de Lyon (Valérie Durey), reçue le 7 juin 1991.

  • Lettre envoyée par la conservatrice du Musée de Zaragoza (Carmen Lacarra Ducay) à la conservatrice du musée des Beaux-Arts de Lyon (Valérie Durey), reçue le 11 juin 1991.

  • Lettre du 18 avril 2000 par un professeur de Faculté des Lettres (section de philosophie et d’histoire) de l’Université de Genève (Mauro Natale) au conservateur en chef du musée des Beaux-Arts de Lyon (Philippe Durey), reçu le 2 mai 2000.


Bibliographie :

Ouvrages

  • Jean-Pierre JOUYET, Maurice LEVY, L’économie de l’immatériel. La croissance de demain, Paris, 2006.

  • Sylvie RAMOND (dir.) Acquérir, De Palmyre à Pierre Soulages, éditions Musée des beaux-arts de Lyon, 2021.

  • Jacques RIGAUD, Réflexions sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections, rapport remis à Christine Albanel, Paris, 2008.


Articles


Catalogues

  • Philippe COMTE, Les primitifs aragonais XIVe - XVe siècles, Musée des Beaux-Arts de Pau, 15 janvier - 15 mars 1971, Pau, 1971.

  • Valérie LAVERGNE-DUREY, Chefs-d'œuvre de la Peinture italienne et espagnole, Musée des Beaux-Arts de Lyon, Lyon 1992.

  • Valérie LAVERGNE-DUREY et Hans BUIJS, Catalogue sommaire illustré des peintures du musée des Beaux-Arts de Lyon. I. Écoles étrangères XIIIe-XIXe siècle, Musée des Beaux-Arts de Lyon, Paris et Lyon, 1993.

  • Sylvie RAMOND et alii (dir.), Le temps de la peinture Lyon 1800-1914, Musée des Beaux-Arts de Lyon, Lyon, Fage, 2007.

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