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Design et faux : la contrefaçon dans le design Scandinave du XXe siècle.

Le design mobilier n’échappe pas à la contrefaçon et au faux. La plupart des créations, qu’elles soient artistiques mais également pratiques comme la mode et le design, finissent pas être copiées par des personnes peu scrupuleuses. La contrefaçon s’attaque bien souvent aux objets tendances qui suivent la mode et qui intéressent les consommateurs comme le design mobilier scandinave très en vogue depuis plusieurs années. Le design scandinave, originaire des régions nordiques de l’Europe telles que le Danemark, la Suède, mais également la Finlande et la Norvège, prend de l’importance après la Seconde Guerre Mondiale et demeure toujours très populaire aujourd’hui. Mais comment distinguer la contrefaçon et le faux au sein du design mobilier scandinave du XXe siècle ? Pour quelles raisons est-il préférable de se tourner vers les modèles originaux et comment éviter les pièges de la contrefaçon ?



Arne Jacobsen, Ant Chair, 1951-1952, Hansen. © artnet.fr

Définition du design Scandinave

Le design scandinave prône le fonctionnel, le pratique, la recherche de la simplicité, le tout dans un état d’esprit de démocratisation ; il partage ainsi de nombreux idéaux avec le modernisme du XXe siècle et le fonctionnalisme. Ce design est à la recherche d’un équilibre avec une tendance à l’abstraction. Les créations prennent des formes organiques qui évoquent les motifs de la nature et le monde animalier à l’image des créations du designer Arne Jacobsen, Ant Chair, 1951-1952, dans laquelle on retrouve une inspiration de la nature dans sa forme proche de celle d’une fourmi ; ou encore Eero Saarinen, Tulipe Armchair, (Model 150), 1955-1956, exposée notamment au MoMA, dans laquelle le designer a utilisé des matériaux nouveaux tel que le plastique, mais en conservant la référence à la nature avec la forme de la tulipe.

Eero Saarinen, Tulip Armchair (Model 150), 1955-1956, Knoll. © MoMA

Les spécificités de ce design résident ainsi dans les matériaux avec une alliance de matières naturelles et de techniques industrielles, ce qui correspond à l’importance des techniques modernes et de l’artisanat ancrés dans le monde scandinave.

La culture libérale de ces pays caractérise très bien "l’esprit scandinave" car la recherche de l’intégration sociale se retrouve dans les créations des designers autour du concept de confort domestique et dans la volonté d’améliorer la vie de tous. Ce design cherche donc une ambiance chaleureuse avec la grande présence du bois, des jeux de couleurs, de textures et de motifs. Les productions sont de formes simples, d’une beauté discrète et la qualité de fabrication est une valeur très importante.



Le design mobilier, un statut à part dans l’histoire de l’art.


Si la copie existe dans de nombreux domaines, on la retrouve également dans le design et il faut la distinguer du faux à proprement parler. En effet, la copie se définit comme la reproduction ou l’imitation d’une œuvre originale. La définition du faux est plus subtile car il caractérise la reproduction d’une œuvre dans le but de la faire passer pour un original. Or, le design est caractérisé par une production en série, ce qui pose la délicate question de la définition du faux, ou de la copie ?

Les créations des designers se distinguent des œuvres d’art à proprement parler car les objets n’ont pas la même destination. Le mobilier a pour vocation, dans la majorité des cas, d’être reproductible faisant parfois l’objet d’une production en série. La valeur marchande du mobilier n’est donc pas la même que celle d’un tableau et son usage est également différent car la fonction est davantage tournée vers l’utilitaire même si l’esthétique des objets rentre en considération lors de l’achat. Il est pourtant clair que de nombreuses œuvres de design originales ont été copiées et vendues comme des originaux dans le but de faire du profit, et qu’il s’agit donc de faux et de contrefaçons.

Ceci s’explique car le design mobilier et de décoration bénéficie d’un statut particulier. En effet, de nombreux objets créés au départ pour la vie de tous les jours sont rentrés dans le domaine des "icônes" du design car ces créations sont porteuses d’une histoire notamment celle de l’industrie et du progrès technique. Elles sont également un témoin de l’évolution du goût et de la manière de vivre et d’habiter à travers les périodes. Nous pouvons trouver dans de nombreux musées tels que le MoMA à New York ou encore le Centre Pompidou à Paris, du mobilier de designers célèbres comme Verner Panton ou Marcel Breuer du Bauhaus. Les productions emblématiques du design sont parfois collectionnées au même titre que les œuvres d’art. Par conséquent, certaines créations ont connu une très grande célébrité et ont suscité l’intérêt de personnes peu scrupuleuses qui ont réalisé des contrefaçons. Deux sortes de contrefaçon sont alors apparues : la reproduction d’un objet en utilisant la marque, le modèle ou le brevet de ces derniers sans l’autorisation du titulaire de ce droit ; ou même la réalisation des produits qui s’inspirent des originaux sans reproduire avec exactitude le modèle, et qui échappent ainsi à la loi qui interdit ce genre de procédé.



Le Design Scandinave au cœur de la contrefaçon.


Arne Jacobsen, Chaise Serie 7, 1955, Hansen. © auction.fr

Depuis les années 1990 et 2000, le design mobilier est à la mode et les copies se multiplient avec l’essor d'internet et la multitude de sites en ligne qui proposent des modèles semblables aux originaux à des prix attractifs. Le design scandinave n’échappe pas à la contrefaçon en raison de son vif succès. Il fut notamment propulsé sur le devant de la scène par la célèbre enseigne de meuble suédoise IKEA. Légalement, toutes les créations sont soumises à la propriété intellectuelle du créateur et sont éditées par un seul fabricant, détenteur légal des droits et brevets. Pourtant de nombreux sites frauduleux n’hésitent pas à proposer des contrefaçons car la législation ne semble pas assez sévère et les éditeurs ont du mal à contrer la multitude de copie.

Verner Panton, Panton Chair, 1960, Vitra. © MoMA

Certaines créations scandinaves sont énormément copiées comme l’emblématique chaise Série 7 d’Arne Jocobsen créée en 1955, emblème du design danois. Cette création est d’ailleurs la chaise la plus copiée au monde, et on peut la retrouver sur de nombreux sites, notamment chinois, qui n’hésitent pas à casser les prix. D’autres créations subissent le même sort comme la Panton Chair de Verner Panton, créée dans les années 1960. Pour donner une idée de l’écart des prix, le modèle classique de la Panton Chair édité par la société Vitra coûte environ 300€, alors que le modèle contrefait est disponible à moins de 100€ sur internet. Cette chaise est fabriquée à partir d’un procédé très particulier de moulage de plastique. Ainsi, les contrefaçons sont souvent de moindre qualité et ne bénéficient pas de la solidité des orignaux dont la conception est le fruit de nombreuses années de recherche. Ces copies peuvent même être dangereuses pour les utilisateurs car elles risquent de se détériorer et de casser prématurément.



Pourquoi et comment choisir des modèles authentiques.


L’authenticité a un prix, mais elle véhicule par la même occasion de nombreuses valeurs chères aux designers et fabricants. Tout d’abord, un mobilier authentique fabriqué par son éditeur respecte le travail du designer et permet de lui reverser certains bénéfices pour faire vivre le patrimoine du créateur. Mais acheter des meubles authentiques est également un moyen de s’assurer la sécurité vis-à-vis de l’objet. En effet, pour baisser les coûts de production des contrefaçons, les revendeurs n’hésitent pas fermer les yeux sur la qualité des objets et les matériaux utilisés. Même si des matériaux nobles sont utilisés, l’aspect et le rendu esthétique ne sont pas les mêmes. Il est donc important de se tourner vers l’authenticité pour bénéficier d’un meuble de qualité et qui dure dans le temps, tout en respectant le travail de son designer.

Un autre aspect intéressant du design, qui le rapproche cette fois des œuvres d’art, réside dans le fait que certaines pièces sont de véritables investissements et possèdent des cotes parfois très importantes à l’image des tableaux de peintres célèbres. La mode du vintage est à l’honneur depuis quelques années, ces créations sont donc une aubaine pour les collectionneurs et amateurs de design. Un exemple flagrant de cet engouement peut être illustré par le miroir Ultrafragola du designer italien Ettore Sottsass, édité en 1970 par la société Poltronova. Cette création phare du design italien illustre l’esthétique Seventies qui a conquis la sphère Instagram en 2021. En effet, le miroir de Sottsass s’est retrouvé sur la plate-forme par le biais de nombreux influenceurs qui lui ont offert une nouvelle popularité en l’exposant à travers de nombreux posts Instagram à l’image de l’influence française Léna Situations (@lenamahfouf) ou encore de l’influence néerlandaise Noor Kleinenberg de Groot (@queenofjetlags). Ainsi, ce miroir fut le must-have de l’année en décoration d’intérieur. Le miroir Ultrafragola de Sottsass se trouve à 7500€ neuf, pour un modèle vintage, le prix peut monter jusqu’à 10 000€, ce qui place cet objet dans la catégorie d’objet de collection. Or, la popularité de ce miroir a suscité l’envolée des contrefaçons. En effet, il est possible de trouver des copies frauduleuses sur des sites tel que Ali Express au prix de 2 000€. Concernant le design scandinave, la Panton Chair de Verner Panton fut également très en vogue en 2021. Chaise emblématique du designer danois, elle a également colonisé les posts Instagram ce qui a participé à l’augmentation des prix des modèles vintage ; il faut compter environ 300€ pour un modèle neuf, et un modèle datant des années 1960-1970 peut valoir plus de 1 000€ suivant son état.

Il existe quelques précautions pour ne pas se faire berner par les producteurs de contrefaçon au sein du design. Il faut d’abord comparer les prix, et si un prix est trop bas cela paraît suspect. Une autre manière de ne pas tomber dans les pièges de la contrefaçon est de se renseigner sur le vendeur en analysant la provenance des meubles, les images utilisées pour l’annonce qui sont parfois empruntées aux sites des éditeurs officiels, l’origine géographique du site en tenant compte du fait que la Chine est le premier pays producteur et exportateur de contrefaçon. Néanmoins, ce travail d’analyse est fastidieux et même un amateur aguerri en design n’est pas à l’abri de se faire avoir par les méandres de la contrefaçon. Ainsi, il est également possible de passer directement par les éditeurs pour garantir l’originalité du mobilier car ce sont eux qui possèdent les brevets de fabrication, et sont par conséquent les seuls à être habilités pour la production du mobilier. Si le meuble est vintage, de nombreuses astuces existent comme le contrôle du logo et l’observation des détails de fabrication. Les éditeurs peuvent également fournir leurs expertises à partir des photographies de l’objet si les doutes persistent.


Le mobilier scandinave et le design mobilier en général est victime de son succès. Tandis que les contrefaçons abondent sur internet, la riposte s’engage du côté des défenseurs du design, en première ligne se trouvent les éditeurs qui se battent contre ce phénomène de copies. Ils sont protégés par les nombreuses législations, notamment européennes, qui participent à cette chasse aux faux dans le but de protéger les créations originales. Le design mobilier constitue un véritable patrimoine à préserver ; à ce titre la Panton Chair est entrée en 2006 dans les canons de la culture danoise : "Kulturkanonen", qui recense 108 œuvres d’exception allant des arts plastiques, à la littérature, la musique, l’architecture, le cinéma en passant par le design. Cette sélection représente le cœur de la culture danoise.

L’enjeu de la lutte contre la contrefaçon au sein du design réside également dans la volonté de prise de conscience de la valeur de ces productions par le public et les consommateurs, par l’acquisition d’une culture du design. Cette culture est mise en lumière par l’organisation de nombreuses expositions liées au design. Ainsi, en 2021-2022, le design scandinave est à l’honneur au National Museum de Stockholm qui organise une exposition mettant en perspective le design scandinave et américain : « Scandinavian Design & USA – People, Encounters and Ideas, 1890–1980 » du 14 octobre 2021 au 9 janvier 2022. Le Centre Pompidou organise également une exposition dédiée au designer italien Ettore Sottsass « Ettore Sottsass, L'Objet Magique », fameux créateur du miroir Ultrafragola, du 13 octobre 2021 au 3 janvier 2022.



Bibliographie :

Bony A., Le design : histoire, principaux courants, grandes figures, Paris, Éd. Larousse, 2008.


Fiell C., Design du XXe siècle, Taschen, Köln, 1999 (éd. 2020).


Jousset M., Moinot M. (dir.), La collection de design du Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle, Paris, Éd. du centre Pompidou, 2001.

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