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Photo du rédacteurCamille Garnier

Le faux en joaillerie : une quête éternelle d’argent et de pouvoir

Le monde du faux dans l’art existe dans une multitude de médiums. Si les plus célèbres faussaires se sont illustrés dans le domaine de la peinture, d’autres, moins connus du grand public, se sont fait connaître par leur talent caché de joaillier.



Vraies pierres, faux bijoux ?


Peut-on réellement parler de faux en joaillerie ? Salomon Reinach (1858-1932), archéologue français, affirme que non (Breton, 2014, p. 140) : le faux ou « pastiche » proviendrait davantage de mauvaises pratiques telles que la fouille sauvage ou la non-révélation aux autorités de découvertes impromptues, ce que prohibe fermement la loi (Article L. 531-14 du Code du patrimoine). De l’italien pasticchio (Breton, 2014, p. 140), le pastiche désigne un bijou de main moderne réalisé à partir de fragments anciens. Il est assez fréquent en effet que des tombes soient pillées et que des pièces d’exception se retrouvent sur le marché noir tel quel ou en plusieurs pièces. C’est ce qui explique par exemple la présence au musée du Louvre d’un pastiche réalisé en 1859 par Pietro et Enrico Pennelli, deux frères ayant travaillé pour la restauration de la collection de l’illustre Giampietro Campana (1808-1880), plus connu sous le nom de marquis de Cavelli et dont la majorité des œuvres - environ 12 000 - ont été acquises en 1861 par la France pour le musée Napoléon III. Les deux frères, fins artisans, auraient ainsi restauré « à l’étrusque » plusieurs pièces vendues par la suite comme des authentiques. Mais s’agit-il de faux ?


Là où le faux a pour but de tromper, la contrefaçon quant à elle correspond à tout acte portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle d’un auteur. Imitation ou substitution frauduleuse de la signature ou du signe distinctif d’un artiste sur une œuvre d’art, le faux se différencie de la copie par l’intention de tromper (Article L. 335-2, Alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle). Or, lorsqu’un bijou est réalisé à partir de fragments anciens, l’intention de tromper l’acheteur pour le revendre à un prix plus conséquent est claire.


Comment ces pastiches peuvent-ils circuler librement sur les marchés et se retrouver dans les salles de nos musées ? La première raison semble évidente : l’argent. Les pierres restent avant tout, au côté des métaux précieux, une monnaie d’échange. Le cours de l’or, en perpétuelle fluctuation, atteint aujourd’hui 51 000 euros le kilo. En ce qui concerne les pierres précieuses, qui se distinguent des pierres fines par leur rareté, elles atteignent elles aussi des sommets. C'est cela sans doute qui explique leur convoitise et leur dissémination aux quatre coins du globe.



Le « casse du siècle » : le vol des joyaux de la Couronne


En la matière, l’un des plus gros coups est sans doute le vol des joyaux de la Couronne, cambriolage qui s’est déroulé du 11 au 17 septembre 1792, sans que les gardes de l’Hôtel de la Marine ne s’en aperçoivent et qui sera suivi par une série d’exécutions à la guillotine place de la Révolution. Le résultat du larcin : près de 10 000 pierres furent dérobées, incluant quelques pièces d’exception telles que le Grand Diamant Bleu de Louis XIV, le Sancy ou encore le Régent pour un total estimé à plus de 23 millions de livres.


Si la plupart des pierres furent retrouvées dans les deux ans qui ont suivi le crime, le Grand Diamant Bleu ou Bleu de France, diamant de 123g de 112 carats anciens soit 115,4 actuels, et que le roi avait acquis de Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689), ne l’a jamais été. Ce n’est que 20 ans plus tard, en 1812, qu’un diamant similaire baptisé Hope, du nom de son premier propriétaire Thomas Hope (1802-1855), fait son apparition à Londres. Plus petit, il ne mesure plus que 44,5 carats, ce qui représente une perte de matière considérable (Farges, 2014. p. 76). C’est avec le concours de François Farges, minéralogiste et universitaire français, que son identification sera établie par comparaison avec un moulage en plomb retrouvé dans les tiroirs du Muséum national d’histoire naturelle. Malgré sa retaille approximative, qui aurait été opérée par le lapidaire londonien Daniel Eliason (1753-1824), le Hope s’inscrit parfaitement dans les mesures du Grand Diamant Bleu. Fait intéressant, celui-ci a fait sa réapparition 20 ans et deux jours après la date de l’infraction, soit deux jours après le délai de prescription légal.


Si certains bijoux arborent des pierres d’origine frauduleuse, d’autres vont être créés de toute pièce par leur auteur, reprenant le style et la signature de grands noms de la joaillerie.



Les faux œufs Fabergé

L’Œuf du Dixième anniversaire de mariage, 1904, Saint-Pétersbourg © Musée de l’Ermitage

Plus récemment, Andre Ruzhnikov, marchand d’art londonien, a remis en cause dans une lettre ouverte du 13 janvier 2021 adressée à Mikhaïl Piotrovsky, la provenance d’une vingtaine de pièces exposées au musée de l’Ermitage pour l’exposition « Fabergé, bijoutier à la cour impériale » inaugurée le 25 novembre 2020. Selon Ruznhikov, certaines pièces seraient anachroniques, à l’instar de L’Œuf du Dixième anniversaire de mariage de Nicolas II et de son épouse, daté de 1904, année où aucun œuf n’a pourtant été produit du fait de la guerre russo-japonaise. Face à ces accusations, le directeur Mikhaïl Piotrovsky, en poste depuis 1992, n’a su réellement se défendre.

Simple erreur ou stratégie financière ? Les œufs de Pierre Karl Fabergé (1846-1920) encore aujourd’hui font grimper les enchères jusqu’à plusieurs millions : 12,5 millions pour l’Œuf de Rothschild de 1902, acquis en 2007 par Alexander Ivanov, collectionneur russe et fondateur du musée Fabergé de Baden-Baden en 2009 ; 10,7 millions d’euros pour l’Œuf de l’hiver, daté de 1913 et adjugé en 2012. La palme revient à l’Œuf en émail bleu à nervures daté de 1887, qui a trouvé preneur en 2014 pour 24 millions d’euros.

Maison Fabergé, L'Œuf Rothschild, 1901, Saint-Pétersbourg © Christie's

Faux, contrefaçons, copies, imitations… Les termes juridiques pouvant qualifier des bijoux non authentiques sont multiples mais parfois difficiles à circonscrire, d’autant plus dans un monde où la pierre synthétique est de plus en plus courante. Comment les différencier ?



La science au service de l’art


L’histoire des gemmes est avant tout une histoire de science, science qui va permettre de même que dans les domaines de la peinture et de la sculpture, d’en authentifier la provenance. Pline l’Ancien, lorsqu’il parlait des gemmes, évoquait « la majesté de la nature des choses concentrée en petit » (Histoire naturelle, livre XXXVII, vers 77 ap. J.-C. L’authentification des pierres est le travail de l’expert gemmologue, qui est en charge de la qualité de la pierre qu’il va pouvoir contrôler à l’aide de plusieurs techniques, dont celle des « 4C » lorsqu’il s’agit de diamants : carat, clarity, color, cut (Bachelier, 1766, cité dans Glorieux, 2019, p. 22). En cas de doute sur la provenance d’une pierre, il peut éventuellement avoir recours à une expertise en laboratoire D’autres normes, telles que Kimberley Process, un régime commercial multilatéral entré en vigueur en 2003 dont font partie 53 participants dont l’Europe (soit près de 81 pays), ainsi que le Responsible Jewellery Council, organisme fondé en 2005 qui s’assure des bonnes pratiques des entreprises de la mine à l’atelier et qui compte aujourd’hui 450 membres, dont 310 certifiés. Ces normes permettent entre autres de s’assurer de la bonne provenance des pierres. Sont ainsi écartées celles provenant de zones de conflit et celles extraites de manière non responsable ou en violation des droits de l’Homme et des droits du travail. Le but ? Lutter contre le financement de la guerre par les diamants. Cependant, malgré ces normes et ces expertises, les ‘fausses pierres’ et les fausses pièces ne sont pas toujours décelées, faute de moyens, ou peut-être d’honnêteté, comme l’illustre l’histoire des faux œufs Fabergé.



Si les avancées scientifiques sont salvatrices dans l’identification des faux en joaillerie, la question de savoir si ces faux demeurent ou non des trésors de l’artisanat se pose à juste titre. Quel est le devenir de ces pièces, faut-il les retirer des collections ou les conserver précieusement, en tant que témoin d’un évènement passé, aussi sombre soit-il ? Les copies et bijoux reprenant le style d’un grand joaillier sont-ils des faux ? Pour répondre à ces questions, nous interrogeons aujourd’hui Marianna Lora, directrice-adjointe de Sotheby’s Belgique, spécialisée en bijoux, montres et art chinois et responsable des évaluations et des événements.


Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours ?

J’ai étudié l’histoire de l’art en Italie à l’Université de Venise. Ensuite, je suis allée à Paris I pour faire un Master puis une thèse de doctorat que je n’ai pas terminée parce que j’avais besoin d’un vrai métier. La vie de jeune chercheur était difficile. J’ai eu la chance de trouver un petit job chez Sotheby’s comme assistante puis j’ai gravi les échelons.


Vous êtes aujourd’hui deputy director. En quoi consiste votre métier, quelles sont vos tâches au quotidien ?

À la base j’ai toujours étudié la peinture ancienne, ce dont je m’occupe actuellement, mais depuis une dizaine d’années je m’occupe aussi des bijoux. Je n’avais aucune connaissance ; j’ai appris sur le tas, pris quelques cours de gemmologie, des cours à distance, etc. Je suis également en contact avec des collègues gemmologues avec qui je fais des journées d’expertises. C’est passionnant et on voit de très belles pièces tous les jours. Comme on n’est pas très nombreux et qu’on est une petite structure, on fait un peu de tout : on accroche les tableaux, on expertise, on s’occupe des paiements en retard, des invendus, des évènements, du marketing… Je travaille aussi sur le mobilier, sur l’art chinois, l’orfèvrerie et d’autres choses encore.


Qu’est-ce que le faux en joaillerie ? Les faux en joaillerie sont-ils fréquents ?

Non. Il y a beaucoup de bijoux non signés, qui ont des jolies pierres et qui ne prétendent pas être autre chose que ce qu’ils sont. Il peut y avoir un style qui rappelle quelque chose d’autre, mais qui n’est pas spécialement fait dans le but de tromper. Mais parfois, on voit des bijoux qui sont signés, souvent sur des grands noms tels que Cartier, Van Cleef & Arpels, Boucheron, Bulgari. On peut tout à fait rencontrer un bijou fait il y a 20 ans qui est marqué à l’intérieur par une signature incisée - comme c’est l’usage chez les joailliers - avec « Cartier Paris » ou « Van Cleef & Arpels », accompagnée parfois d’un numéro. Dans ces cas-là, il s’agit vraiment de faux. On les reconnaît le plus souvent à la signature, qui n’est pas très bien faite ou qui ne correspond pas spécialement à celles des grandes maisons, ou placée dans des endroits inhabituels. Il y a vraiment une volonté de faire passer le bijou pour ce qu’il n’est pas, de tromper. C’est ce qui fait de lui un véritable faux.


Les copies ou imitations employant des pierres de synthèse rentrent-ils dans la catégorie des faux ?

Quand on a un diamant synthétique ou une pierre qui a subi un traitement - qui est chauffée par exemple pour rehausser la couleur - ce ne sont pas des faux. Le diamant synthétique, bien que quelque part induise la volonté de tromper et de faire croire que c’est un vrai diamant, n’est pas un faux. Autant la copie est quelque chose de déclaré : on copie une peinture de Van Gogh, et on sait que c’est une copie. Entre faux et contrefaçon, il est vrai que la limite est étroite.


Les bijoux modernes qui reprennent des pierres anciennes sont-ils des faux ? Qu’en est-il des pierres qui sont d’origine illégale ?

Ce ne sont pas des faux : on parle de réemploi. On prend par exemple un diamant taille ancienne d’une bague de fiançailles des années 1920, on garde la monture et on décide à la place de mettre un saphir. Ce n’est ni un faux ni une contrefaçon, mais quelque chose que l’on décide de rendre plus moderne. Pour les fouilles illégales, c’est un autre discours. S’il y a un réemploi d’une pierre qui vient d’une fouille sauvage, il y a une pratique de restitution qui devrait être mise en place. Ce sont donc des objets qui sont sur le marché illégalement, mais ce ne sont pas des faux. Pour une maison comme la nôtre, il est impossible de les vendre.


Dans le cas où vous avez un doute sur un bijou, à qui faites-vous appel pour vérifier son authenticité ? Existe-t-il une procédure officielle d’identification ?

Il y a des recherches faites en amont d’abord au niveau de l’authentification de la pièce mais aussi de sa provenance. C’est une question d’expérience avant tout. Pour les pièces très importantes, si nos recherches n’aboutissent pas, on peut contacter les grandes maisons. Si une tiare par exemple nous fait penser à un dessin de Chaumet des années 1930, on peut contacter la maison pour qu’elle effectue des recherches dans ses archives.


Avez-vous un exemple à nous donner ?

Récemment, j’ai vu une broche avec une améthyste signée d’un grand joaillier. La signature était curieuse et le poids de la monture en or était étrange. Je l’ai montré à un collègue qui a exprimé les mêmes doutes et nous en sommes arrivés à la conclusion que c’était un faux.


Même chose il y a quelques jours avec une bague solitaire en diamant signée Cartier sur la monture. La signature n’avait pas l’air bonne. J’ai consulté un collègue gemmologue de Paris qui a eu directement la même impression et on a décidé de ne pas la prendre en vente.


Dans le cas où le faux est identifié après une vente, y a-t-il une responsabilité de la maison de vente envers l’acheteur ?

Les recherches effectuées en amont permettent d’éviter ce genre de problème. Par ailleurs, nos lots sont garantis à l’acheteur. Si on vend une bague Van Cleef & Arpels et qu’un an plus tard l’acheteur revient en disant que la maison, lors du changement d’une griffe par exemple, a estimé qu’elle n’était pas authentique, on la reprend et on rembourse l’acheteur. Mais cela reste très exceptionnel : lorsqu’on met en vente, c'est que les pièces sont authentiques.


Combien de temps dure la garantie ?

Généralement, les maisons de vente les plus importantes garantissent les achats pendant deux ans et les pierres, en particulier les diamants, pendant 21 jours. Cela signifie que l’acheteur dispose de 21 jours pour demander un certificat ou consulter un autre gemmologue pour faire authentifier la pierre. Cela dit, quand on vend un bijou avec une pierre importante, il y a toujours un certificat renseignant sa couleur, sa pureté, etc.


Pour finir, quel est le devenir d’une œuvre reconnue comme étant un faux ? Une œuvre reconnue comme fausse peut-elle légalement continuer à circuler ?


Le propriétaire d’un bijou qui a été reconnu comme faux ne peut pas en faire grand-chose à part le porter. Certaines maisons vont les autoriser à circuler puisqu’il s’agit avant tout de bijoux, parfois avec de vraies pierres, mais elles ne pourront pas les vendre.




Bibliographie :

  • Jean-Jacques Bachelier, Discours sur l’utilité des écoles élémentaires en faveur des arts mécaniques, prononcé lors de l’ouverture de l’École royale gratuite de dessin, 1766 cité dans Glorieux, 2019, p. 22.

  • Jean-Jacques Breton, Le Faux dans l’art. Faussaires de génie, Hugo image, 2014.

  • François Farges, « Les grands diamants de la Couronne de François Ier à Louis XVI » Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, n°17, 2014, p. 55-78.

  • Glorieux, Guillaume, Les arts joailliers : métiers d’excellence, L’École des arts joailliers, Paris, Gallimard, coll. « Découverte Gallimard : hors-série », 2019.

  • Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre XXXVII, vers 77 ap. J.-C.


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