Les 14 et 15 décembre 2021, le Théâtre Nouvelle Génération de Vaise près de Lyon accueillait le collectif Berlin pour deux représentations de True Copy. Ce spectacle met en scène le fameux faussaire Geert Jan Jansen qui a réussi à tromper collectionneurs et experts de l’art pendant plusieurs décennies. Seul sur scène, il nous raconte son histoire, ses techniques et nous propose une réflexion sur la relation entre le marché de l’art et le faux.
GEERT JAN JANSEN – L’HOMME DU FAUX
Geert Jan Jansen est un artiste peintre et faussaire néerlandais. Sa passion pour l’art vient sans doute de son père, technicien chez Philips et amateur d’art. Il étudie l’histoire de l’art et rencontre Michel Poltuke, propriétaire de la galerie Mokum à Amsterdam. Jansen commence ainsi sa carrière auprès de son ami en organisant des expositions. Il ouvre ensuite sa propre galerie Jacob & Raam. Il rencontre cependant des difficultés financières menaçant l’existence de sa galerie. C’est alors qu’il produit des lithographies dans le style de Karel Appel, célèbre peintre et sculpteur néerlandais, qu’il vend en tant qu’originaux. Sa carrière de faussaire est lancée. Il produit son premier faux, un tableau vendu comme étant de la main d’Appel, qu’il parvient à vendre 2 600 florins, soit environ 5 200€. La production et la vente de faux devient sa principale activité parvenant à duper plusieurs maisons de vente en Europe.
En 1981, il est déjà inquiété par la police pour un faux Bart van der Leck. La police fouille sa galerie et son domicile trouvant 76 tableaux d’après Appel, qui ne seront pas retenus pour preuves. La justice ne disposant pas d’assez de preuves propose un accord : Jansen ne doit plus produire de faux pendant une durée de 3 ans. On ne sait pas s’il a respecté cet accord. En 1988, la galerie MAT d’Amsterdam identifie de faux tableaux d’Appel. La justice remonte ainsi la piste de ces faux. Le propriétaire les a achetés à la galerie Tripple Tree les ayant elle-même obtenu de Henk Ernste à Paris. Ernste est arrêté. Pendant ce temps, Jansen, vraisemblablement producteur de ces faux, émigre à Paris avec sa compagne.
En France, Jansen fait perdurer son activité de faussaire. Se présentant sous divers pseudonymes et en tant que propriétaire de galeries dans la région d’Orléans, il se présente dans des galeries et maisons de vente européennes en proposant à la vente des tableaux d’Appel, Chagall, Asger Jorn, Van der Leck, Matisse, Miró et Picasso. Ses nombreuses ventes lui permettent d’acquérir une grande richesse et d’acheter un domaine dans le sud de Poitiers.
En 1994, un certain « Jan van den Bergen », propriétaire d’une galerie d’art à Orléans se présente à la maison de vente Jarl & Faber à Munich. Il présente un dessin de Chagall, une gouache d’Asger John et une peinture d’Appel avec des certificats d’authenticité pour les deux premiers. Les œuvres sont examinées par Sue Cubitt qui détecte une faute d’orthographe dans le certificat du Chagall. Elle informe la police et l’ensemble des œuvres proposées par ce vendeur sont retirées de la vente. La police identifie d’autres ventes réalisées par ce « Jan ver den Bergen », et découvre que la galerie d’Orléans n’existe pas. La police française parvient ainsi à remonter jusqu’à Greet Jan Jansen et perquisitionne sa propriété. Découverte stupéfiante dans ce petit château du Poitou : près de 1600 œuvres de Karel Appel, Jean Cocteau, Raoul Dufy, Ferdinand Erfurt, Charles Eyck, Léo Gestel, Bart van der Leck, Henri Matisse, Juan Miró et Pablo Picasso, mais également plusieurs pièces servant d’ateliers, chacune dédiée à la production d’un artiste.
La machine judiciaire se met en marche. Jansen est emprisonné pendant 6 mois, gardant le droit de pratiquer la peinture durant son emprisonnement. La police tente de découvrir d’autres ventes frauduleuses réalisées par le faussaire en Europe. Elle lance des appels dans les médias afin que les acheteurs de faux se manifestent. Ceux-ci risquent, en cas de non-déclaration, d’encourir une peine pour complicité. Après 6 ans d’enquête, la police, à partir des livres de la maison de vente Drouot, parvient à identifier d’autres pseudonymes de Jansen et donc des faux produits qui sont ainsi confisqués. Cependant, faute de preuves, en février 2000, les treize accusations recueillies sont retirées les unes après les autres. Seules sont retenues deux accusations produites par des commissaires-priseurs, eux-mêmes emprisonnés.
Greet Jan Jansen est condamné à cinq ans d’emprisonnement dont quatre ans ferme. Il fait appel. Sa peine est réduite à cinq ans d’emprisonnement dont trois avec sursis. Son avocat lui obtient la restitution d’une centaine d’œuvres sur les 1600 saisies dans sa propriété ; enjeu important pour lui car certains tableaux étaient des authentiques achetés légalement par le faussaire.
Greet Jan Jansen est libre. Il continue à produire en signant de son nom. Il réalise des œuvres selon les artistes qu’il a imité pendant des décennies, en n’oubliant pas la mention « dans le style de » mais également des œuvres dans le style personnel qu’il a développé durant ces dernières années.
UN RÉCIT PERSONNEL PRÉSENTÉ AU THÉÂTRE
Le collectif BERLIN nous présente ainsi sur scène l’histoire de Greet Jan Jansen, racontée par le faussaire lui-même. L’histoire s’intègre dans une série de spectacles caractéristiques de la production de ce collectif fondé en 2003 et aujourd’hui mené par ses deux fondateurs Yves Degryse, comédien, et Bart Baele, designer lumières et vidéos. Toutes leurs productions suivent le même projet : présenter des histoires personnelles sur scène via le mélange des médiums. Utilisant la vidéo, l’interview journalistique et la mise en scène, le collectif présente une vision de la réalité. Leur première série de spectacles Holocène met en scène les portraits de villes telles que Jérusalem, Iqaluit, Bonanza et Moscou. Avec Zvizdal, le collectif se concentre sur l’histoire d’un couple vivant aux abords de Tchernobyl.
True Story s’intègre dans la série Horror Vacui qui comprend également les spectacles Tagfish, Land’s End, Perhaps All The Dragon et Remember The Dragons. La série s’identifie par un travail de la mise en scène incluant la vidéo mais également la production d’une installation. Dans Tagfish, six personnages discutent autour d’une table en attendant l’arrivée du septième protagoniste. La table se retrouve dans Land’s End avec des avocats se réunissant autour d’un meurtre et dont les pièces de l’énigme judiciaire sont réunies dans une installation servant de grand puzzle. Dans Perhaps All The Dragons, le collectif BERLIN filme trente personnes racontant leurs histoires singulières et qui ont fait les titres de la presse internationale. Les monologues sont ensuite mis sur écran et présentés au public. Quelques volontaires sont placés autour d’une table et choisissent les histoires qu’ils veulent entendre. Remember The Dragons reprend le fonctionnement du spectacle précédemment décrit mais est une adaptation pour les enfants à partir de onze ans. Les adultes narrateurs sont remplacés par des enfants de 21 pays différents racontant leurs histoires. Ces histoires peuvent être vraies ou fausses.
True Copy se place ainsi dans la continuité de ces précédents spectacles. Greet Jan Jansen faisait partie des narrateurs de Perhaps All The Dragon. Le collectif BERLIN, marqué par son histoire, a décidé de lui consacrer un spectacle entier. Le collectif amène donc sur scène le sujet du spectacle. Le spectacle prend la forme d’une interview/conférence. Geert Jan Jansen est présenté par Jane Seynave qui mène l’interview du faussaire questionnant celui-ci sur ses débuts et sur sa manière de voir sa production. Progressivement Jansen prend la main et entame une véritable conférence sur son activité de faussaire, proposant ses techniques et conseils pour faire vieillir une œuvre, réaliser une fausse photographie d’archives ou encore réaliser une fausse signature. Dialoguant d’abord avec sa partenaire de scène, il se tourne ensuite vers le public créant une relation particulière avec celui-ci. Lui et sa partenaire organisent aussi une vente aux enchères autour d’une de ses œuvres rendant le public acteur du spectacle.
D’abord assis à une table sur laquelle il présente des coupures de journaux, il se déplace ensuite sur scène devant un mur réunissant des tableaux de grands maîtres que le faussaire a copié. Ces tableaux sont en réalité des écrans projetant des images prises chez Jansen et permettant aux spectateurs de suivre le protagoniste dans ses mouvements. En effet, la scène semble découpée en deux espaces : l’avant du mur d’écran et l’arrière de celui-ci occupé par une reconstitution des ateliers de Jansen. Jansen se déplace ainsi devant les spectateurs mais également derrière ce mur tenant une caméra et suivi par des cameramen. Il circule entre ces espaces au gré de son récit. Quand il est à l’arrière, sa caméra permet de filmer les espaces cachés à la vue du public, et les écrans retransmettent les images où il montre ses outils, les papiers qu’il utilise pour tel ou tel artiste. Il réalise également, en direct, des dessins selon Matisse et Picasso.
Les écrans projettent également une tromperie organisée par le collectif BERLIN pour ce spectacle. En 2002, le Kunsthal Museum de Rotterdam est victime d’un des plus grands vols du monde de l’art par des voleurs qui emportent leur butin en Roumanie. Parmi les œuvres volées, une Tête d’Arlequin par Pablo Picasso. Deux écrivains, Frank Westerman et Mira Feticu reçoivent alors une lettre anonyme indiquant l’emplacement de cette œuvre, sous une pierre dans une forêt en Roumanie. La découverte fait les grands titres des journaux roumains. Ce dessin est en réalité un faux produit par Geert Jan Jansen dans le cadre du spectacle et le public suit la conception, l’installation de l’œuvre et sa découverte dans la forêt.
UNE RÉFLEXION SUR LA RELATION ENTRE LE MONDE DE L’ART ET LE FAUX
Ce spectacle joue sur la question du vrai et du faux. Faut-il croire l’ensemble du discours du faussaire ? L’ensemble de la mise en scène ? Geert Jan Jansen apparaît comme un charmant vieil homme. Il crée un véritable lien avec le public qui devient presque admiratif de cet homme. Son discours teinté d’humour met cependant le point sur un débat plus sérieux : la place du faux dans le monde de l’art et le marché plus précisément.
Comment un homme tel que Jansen a pu duper des experts pendant des décennies ? Cela s’explique d’abord par une technique particulièrement précise. Jansen ne réalise pas des faux de tableaux existants car c’est le meilleur moyen de se faire attraper. Le plus simple est de faire apparaître une œuvre nouvelle, non identifiée mais correspondant à la manière d’un artiste. Cette méthode est particulièrement efficace pour les artistes prolifiques tels que Picasso ou Appel. Sur scène, Jansen prend l’exemple de Monet qui réalise la série des Meules en 1890-1891. Combien de tableaux composent cette série ? Nous ne le savons pas alors il est d’autant plus facile d’en faire apparaître quelques autres.
Le faussaire pointe également la responsabilité du marché dans la propagation des faux. Le marché de l’art devient un marché prolifique à partir des années 1980 brassant des millions chaque année. En 2018, il est estimé à près de 52 milliards de dollars. Les œuvres d’art sont ainsi des biens avec une valeur financière particulièrement importante. Cette valeur est fixée à partir des noms de leurs différents créateurs. Progressivement le monde de l’art s’est focalisé sur le prix des œuvres permettant des profits toujours plus élevés. Galeries, musées et collectionneurs, éternellement à la recherche d’œuvres nouvelles, alimentent cette frénésie. Le faussaire ne jouerait ainsi qu’un rôle mineur dans les malversations du marché, car il ne répond qu’à une demande.
L’expérience de Greet Jan Jansen montre ainsi que l’ensemble des acteurs seraient responsables de la prolifération des faux. Même les artistes ne sont pas à exclure. Greet Jan Jansen affirme ainsi que certaines de ses réalisations ont été authentifiées directement par les artistes. Sans oublier, les plaintes contre lui qui ont été retirées avant son procès. Musées et collectionneurs n’auraient aucun intérêt à rendre public la possession d’une œuvre frauduleuse car cela nuirait à la valeur de leur expertise et de leur collection. Artistes et maisons de vente autoriseraient la diffusion des faux car ils alimentent la cote de chaque artiste. Tout le monde y trouverait ainsi son compte expliquant l’estimation que près de 20% d’œuvres présentées dans les galeries et musées du monde serait des faux (RELTIEN et Cellule Investigation Radio France, Faux tableaux, 2018).
Greet Jan Jansen n’aurait ainsi pas tort quand il affirme que « Parfois, il est juste merveilleux d’être trompé ». Cette phrase résonne étonnamment dans le spectacle qui met constamment en doute la confiance que porte le public sur le récit raconté. Le collectif BERLIN met en lumière un homme, faussaire, mais qui finalement devient artiste, et propose une expérience inédite au public. Et le twist final de la mise en scène permet une mise en abyme supplémentaire, le faux s’invitant dans le spectacle lui-même.
« Peu importe qu’une chose soit vraie ou non, tant que la qualité est bonne » Greet Jan Jansen
Trailer True Copy, Réalisé par le Collectif BERLIN, publié le 2 septembre 2019.
WEBOGRAPHIE
Thomas H. GREEN, « Berlin : True Copy, Brighton Festival 2019 review – tricksy forgery masterclass », Theartsdesk.com, publié le 28 mai 2019.
Anaïs HELLUIN, « True Copy, l’heure de gloire d’un faussaire », Sceneweb.fr, publié le 16 mai 2019.
Caïn MARCHENOIR, « Théâtre à Lyon : « True Copy » au TNG, une copie enfin rendue ! », Lyon Capitale, publié le 11 décembre 2021.
Dominic MAXWELL, « Review : True Copy at the Attenborough Centre, Brigthon », The Times, publié le 21 mai 2019.
Liam REES, « Why are we so attched to the truth ? – True Copy and Theatre for the Post-Truth Era », Theatrefestival.be, publié le 9 spetembre 2019.
Philippe RELTIEN et Cellule Investigation de Radio France, « Faux tableaux : quand les musées d’art et les experts se font avoir », France Culture, publié le 7 septembre 2018.
Joyce ROODNAT, « Faux Picasso roumain est vrai », NRC, publié le 21 novembre 2018.
Marie-Agnès SEVESTRE, « True Copy par le groupe BERLIN », Théâtre du blog, publié le 16 mai 2019.
Jean-Pierre THIBAUDAT, « Groupe BERLIN : que vaut le tableau d’un faussaire vraiment signé Picasso ? », Balagan, Le blog de Jean-Pierre Thibaudat, Médiapart, publié le 17 mai 2019.
Filip TIELENS, « Seeing is (not) believing », De Standaart, publié le 18 novembre 2018.
Bella TODD, « True Copy review at Brighton Festival – « ingenious caper about a true-life art forger » », The Stage, publié le 24 mai 2019.
Site Internet du Collectif BERLIN.
Théâtre Nouvelle Génération, « True Copy ».
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