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Le faux dans le musée Terrus de Elne et le Faschermuseum de Vienne.


Étude de cas dans le faux :

Commune de Elne, Musée Terrus (Photographie), Ville de Elne, en ligne https://ville-elne.fr/fr/rb/1227787/musee-terrus-1.

Par Solène Barcelona


Thomas Hoving, ancien directeur du Metropolitan Museum of Modern Art prétendait, en 1977 ; que 40% de la collection du musée était composée de faux (BELLET Harry, 2018). Tandis que notre vision de l’artiste tend à évoluer, celle de l’authenticité d’une œuvre continue de questionner. Le faux, parfois considéré comme prouesse technique, notamment lorsqu’un faussaire supplante un maître, comme outil d’apprentissage, comme valeur pécuniaire, objet de transaction, peut également parfois raviver la mémoire d’un artiste oublié, d’une institution méconnue. En 1994, ouvre le Musée Terrus dans la petite ville d’Elne dans les Pyrénées Orientales, consacré à l’œuvre d’Etienne Terrus (1857-1922). Le musée connait une renommée régionale jusqu’à sa réouverture en 2018 quand un historien estime que 60% de la collection n’est pas de la main du peintre. A l’instar du Musée d’Elne qui subit la présence de copies dans sa collection, certains musées en font leur essence. C’est le cas du Falschermusem de Vienne (le musée du faux), fondé en 2005, qui ne présente que des œuvres crées par des faussaires dans ses collections.


Au travers ces deux institutions, nous pouvons nous poser la question suivante : Le faux dans l’espace muséal, la découverte de fausses œuvres d’art entrave-t-elle la postérité des institutions ?


Les contrefaçons d’Étienne Terrus au musée de Elne :


Élève d’Alexandre Cabanel, dont il rejoint l’atelier à Paris alors qu’il n’a que 17 ans, mentor du peintre Aristide Maillol, grand ami d’Henri Matisse et de Paul Cézanne, Etienne Terrus est une figure proue de la peinture paysagiste en Occitanie au début du XXe siècle. Laissant après sa mort une petite production, son œuvre ne connait pas une grande postérité. Au début des années 90, la conservatrice Odette Traby a pour ambition de réunir les œuvres d’Etienne Terrus au sein d’un musée : en 1994, le Musée Terrus est inauguré dans la petite commune d’Elne. Plus de 140 œuvres sont réunis par la conservatrice et les associations locales jusqu’en 2015. Cette petite institution devient alors un acteur majeur de la culture locale, et contribue au rayonnement du peintre elnois. Ce n’est qu’en 2018, alors qu’il est chargé d’organiser une grande rétrospective au musée d’Elne, que l’historien de l’art Eric Forcada découvre qu’une partie de la collection du musée est fausse. Dans un premier temps, il est intrigué par la quantité d’œuvres exposées dans le musée : en effet, le peintre elnois est réputé pour sa faible production, et le musée présentait plus de 140 œuvres. De plus, il découvre un détail anachronique dans l’une des toiles. Un tableau présentait un paysage postérieur aux années 1950, alors que le peintre est décédé en 1922. Après une première enquête, la ville d’Elne annonce que sur les 140 tableaux exposés dans le musée, 80 sont estimés faux, soit 60% de la collection. En plus des dommages financiers (la ville d’Elne dénonce une perte de 160 000 euros, et porte plainte sous x), la révélation de ses fausses œuvres fait mauvaise presse à l’institution et aux organisations culturelles qui ont participé à l’achat des tableaux. Dans un premier temps, c’est l’ancienne conservatrice, Odette Traby, qui est accusé de ne pas avoir su reconnaître les Etienne Terrus, contrefaçons, puis l’expert, qui avait alors la charge de l’accompagner et d’authentifier les œuvres, puis les associations, qui devaient collecter les finances. Finalement, bien que cette affaire n’aboutisse à une condamnation, elle démontre que le marché de l’art dans les régions telles que l’Occitanie est la nouvelle cible des faussaires.

Selon Eric Forcada, les artistes méconnus du grand public tel qu’Etienne Terrus constituent une véritable niche pour les escrocs : moins le peintre est réputé, plus il est facile de créer de faux tableaux, de signer une œuvre sous un faux nom. Au premier abord, cette affaire pourrait sembler désavantageuse pour le musée, mais nous pouvons percevoir cette situation différemment. En effet, bien que le musée d’Elne ait subi l’escroquerie de plusieurs faussaires, la révélation et la médiatisation de ces contrefaçons a permis de raviver la création d’Etienne Terrus. Par les nombreux articles de journaux français (Le Monde, Le Figaro) et internationaux (Le Huffington Post ou encore National Geographic) l’œuvre d’Etienne Terrus connait une renommée internationale. La ville d’Elne et son musée bénéficient également d’un rayonnement qui dépasse les frontières occitanes. Bien qu’à ce jour le peintre n’ait fait l’objet d’aucune publication scientifique, nous pouvons espérer que cette affaire permette à une nouvelle génération d’historien de l’art d’étudier la singularité de la création d’Etienne Terrus, et qu’une fois réouvert, le musée de la ville d’Elne puisse accueillir de nouveaux visiteurs curieux de découvrir ce peintre occitan, qui fut le sujet de nombreux faussaires.


Le Falschermuseum de Vienne :


Si le faux n’a pas été consciemment collecté par Elne, certains musées en ont fait leur thème principal. Fondé en 2005 par un couple d’artistes peintres autrichiens, Diane Grobe et Christian Kastner, le musée du faux (Flaschermuseum) fait de la contrefaçon l’essence de sa collection. Après une rencontre avec l’illustre faussaire Edgar Mrugalla, Diane Grobe et Christian Kastner décident de fonder le musée du faux. Au travers sa collection (de 80 œuvres environ), le Falschermuseum présente l’histoire du faux dans l’art. Le musée distingue quatre grandes catégories de contrefaçons : la contrefaçon totale ; celle qui copie une œuvre existante en indiquant qu’elle est originale (telle qu’une copie d’après Bruegel l’Ancien créée par le faussaire anglais Eric Hebborn) ; le faux de style, celui qui imite le style d’un artiste, sans recopier une œuvre existante (comme une copie d’après Turner par le faussaire Tom Keating, lui-même victime de contrefaçons, elles-aussi exposées au musée…) ; et la copie, celle qui ne prétend pas être une originale (telle qu’une copie de Gustave Klimt, sans signature, que le musée présente comme parfaitement légale car l’artiste est décédé il y a plus de 60 ans). La thématique du musée n’est pas donc les fausses œuvres d’arts, mais bien des copies d’œuvres, des créations originales de véritables faussaires qui imitent le style d’un artiste mondialement connu.

Au-delà du fait d’exposer des œuvres, la galerie met en valeur une histoire du faux, notamment au siècle dernier (tels que le faussaire Han van Meegeren, qui trompa les nazis pendant la seconde Guerre Mondiale). Le musée se présente également comme accessible à tous : l’objectif n’étant pas les sujets représentés, mais l’histoire de l’œuvre. A L’instar du musée Terrus, le Museum of Art Fakes de Vienne fait de la contrefaçon et de ses scandales le sujet principal de sa la collection. L’exemple du Falshchermuseum renforce notre idée selon laquelle la contrefaçon en histoire de l’art peut avoir un impact sur la postérité d’une institution car son caractère insolite fait de cet établissement l’une des galeries les plus visités de Vienne. Nous pouvons ainsi considérer que le faux dans l’art peut avoir un impact positif sur une institution, ou un artiste. Mais le faux reste une catégorie d’œuvres problématique, en particulier dans le domaine juridique.


La conception du faux face au droit :

Par Estelle Blanquier


Pour définir une œuvre d'art comme « fausse », même d'un point de vue juridique, la preuve de la malveillance est nécessaire ; et c'est dans cet aspect que la difficulté de déclarer la fausseté est évidente. d'autre part, comme le dit Cesare Brandi ( BRANDI Cesare dans Théorie de la restauration, Editions Allia, Paris, 2011, p.144) ; « le faux n'est pas faux tant qu'il n'est pas reconnu comme tel, car la fausseté ne peut pas être considérée comme une propriété inhérente au sujet ». Brandi soutient en effet que « la fausseté ne peut se fonder que sur le jugement ». La difficulté de sa définition tient aux problèmes complexes, au phénomène, qui entretient des relations avec d'autres pratiques comme la copie, la réplique et l'imitation, dont la différenciation ne réside pas dans une diversité spécifique des modes de production, mais dans une intentionnalité différente.

Vue d’Elne attribuée au peintre Étienne Terrus (oeuvre) 1900, Musée Étienne-Terrus, Elne, en ligne https://ville-elne.fr/fr/rb/1227787/musee-terrus-1


Ainsi le musée Terrus d’Elne, comme dit plus haut, avec l’acquisition des œuvres frauduleuses a perdu un montant important et l’information judiciaire concernant cette affaire peine à aboutir. Le fait que le musée ait acquis un nombre important d’œuvres, sans pour autant avoir consulté un expert, a engendré une multiplication extrême des risques de propagations d’œuvres fausses. Cela a considérablement compliqué la recherche de l’origine des faussaires en l’absence d’éléments de traçabilité, de certificats et d’actes d’achats. Comme souligné plus en haut, le faux et les autres pratiques de réplique des œuvres d’art se différencient par la volonté de « tromper » l’acheteur sur l’origine du travail. Il est possible de parler de bonne contrefaçon et des contrefaçon grossière, mais même lorsqu'elle est grossière, la contrefaçon possède toujours une valeur, bien que de manière négative, sur la compétence du public qu'elle parvient à tromper. L’exemple de l’artiste Giogio De Chirico et son œuvre Place d’Italie est parlante. Bien que l’artiste ait attesté chez son notaire que cette œuvre était fausse et que le procès suite à cette plainte ait aboutis à l’affirmation que de l’oeuvre était fausses, les recherches de Giovanni Lista ont permis de mettre à jour le fait que De Chirico a déclaré comme faux une œuvre vraie dans un désir de vengeance politique et artistique face aux réalistes dont il détestait le style. Ainsi même les décisions juridiques peuvent être manipulées.


Le musée Terrus et les limites de l’expertise :


La question liée à la contrefaçon est extrêmement sensible dans l’enceinte des musées, portant atteinte à l’intégrité et au sérieux d’un musée. Le tableau faux devient le cauchemar des conservateurs. Juridiquement parlant, selon la Loi du 9 février 1895 dit Loi Bardoux (Modifié par Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 - art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002), tous « ceux qui auront apposé ou fait apparaître frauduleusement un nom usurpé sur une œuvre de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique ; ceux qui, sur les mêmes œuvres, auront frauduleusement et dans le but de tromper l'acheteur sur la personnalité de l'auteur, imité sa signature ou un signe adopté par lui » seront condamnés. Juridiquement, depuis le 9 février 1895, il existe une différence entre les faux issus d’une reproduction artistique et les contrefaçons. En effet, Denise Gaudel simplifie la compréhension de la loi Bardoux en faisant la différenciation importante qui se trouve entre ces deux notions. En ce qui concerne la production artistique, on entend généralement par contrefaçon un objet fabriqué dans l'intention spécifique de tromper sur son auteur et sur le moment de son exécution ; cette intention est généralement confirmée par la mise sur le marché de l’œuvre.

Selon François Duret-Robert, enseignant au Louvre et à l’Université Paris-Dauphine le droit du marché de l’art, une œuvre authentique ne peut être considérée comme tel seulement « lorsqu’elle est véritablement ce qu’on prétend qu’elle est ». L’expert joue donc un rôle primordial dans l’authentification d’une œuvre d’art. Cependant dans l’affaire du musée Terrus l’expert n’est présent qu’à la réouverture du musée après les travaux en 2018. Selon Eric Forcade en 2013, la municipalité de Elne avait acquis 16 œuvres puis en 2015 les associations locales de Elnes en ont acquis 47 par souscriptions et 13 tableaux proviennent de la collection d'Odette Traby. L’absence de preuve de vente et surtout d’authentification entraine un vide juridique ne permettant pas ainsi une action pénale pleinement efficace.

Cependant, la contrefaçon artistique ne peut pas être simplement identifiée à la fraude commerciale car elle est avant tout un fait culturel qui elle découle toujours d'un contexte culturel précis et est produite pour satisfaire des besoins qui sont avant tout culturels. Comme le note Carlo Ludovico Ragghianti (Carlo Ludovico Ragghianti, Coscienza e conoscenza dell’individualità, Pisa 1961), critique et historien de l’art, le faux est plus complexe qu'on ne le pense généralement, car il découle d'une étude approfondie de l'artiste, ce qui rend très compliqué dans de nombreux cas de distinguer le « vrai » du « faux ».



Pour conclure on peut constater que l’expertise aurait pu demandée en amont par le musée Terrus. Dans le cas de cette omission, la faute retombe sur les différentes parties qui constituent la gestion du musée comme la ville ainsi que les associations qui s’occupent du musée Terrus.

Un manque de rigueur dans la gestion a impacté le musée, mais cela ne devrait en rien nuire à sa réputation envers le public. Car, comme le montre le Fälschermuseum, il est facile de se faire tromper mais il est intéressant de voir comment un musée arrive à faire des œuvres fausses une thématique clé de communication.

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