La médiatisation des scandales dans l’art du faux : le faux mobilier du XVIIIe de Versailles.
- Lina Hammouche-Mehah
- 2 févr. 2022
- 6 min de lecture

Plusieurs affaires concernant les fausses acquisitions d’œuvres d’art par un individu, une collectivité ou une institution, sont connues de tous et certains faussaires deviennent même des stars médiatiques, comme Wolfgang Beltracchi ou bien Hans Van Megereen. Mais d’autres le sont beaucoup moins… Il est intéressant de s’interroger sur la médiatisation des faits et de comprendre comment la presse s’empare des recherches sur la mauvaise attribution d’une œuvre pour créer des « scandales » médiatiques. En France, l’enquête concernant le faux mobilier du XVIIIe de Versailles fait couler de l’encre en 2016. La première publication de Connaissance des arts du 6 mai 2016 par Guy Boyer fait part d’une rumeur dans le monde de l’art parisien concernant l’existence d’un atelier de faux meubles du XVIIIe siècle. Il s’agit ici de comprendre que cette affaire ne concerne pas uniquement les artisans dans la fabrique du faux mais également les « restaurateurs, intermédiaires, antiquaires et experts » (Guy Boyer, 06 mai 2016). De plus, « certains d’entre eux [les meubles du XVIIIe] auraient rejoints les collections nationales ». Concernant Versailles, « deux ployants de François Ier Foliot (présentés dans la Salle du Conseil (fig.2.)), de la bergère de Madame Élisabeth (exposée dans l’appartement du capitaine des gardes au rez-de-chaussée du corps central du château (fig.3.)), d’une chaise de Jacob (actuellement dans le studio photo du musée (fig.1.)) et de quatre chaises de Louis Delanois (leur garniture est en cours de restauration) » (Guy Boyer, 06 mai 2016) sont soupçonnés d’être issus d’un atelier de faux.

Quand les médias s’emparent du scandale de Versailles….
Au cours du mois suivant la première publication de Connaissance des arts (Eric Boyer, 6 mai 2016), Le Ministère de la Culture et de la Communication annonce dans un communiqué de presse le 11 juin 2016 que :
« L’office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) a procédé le 7 juin 2016 à trois interpellations de professionnels du marché de l’art, dans le cadre d’une enquête sur le commerce de faux meubles du XVIIIe siècle. Plusieurs meubles acquis pour le Château de Versailles entre 2008 et 2012 semblent concernés, pour un montant de 2,7 millions d’euros.Parallèlement à l’enquête menée par l’OCBC qui se poursuit, la ministre de la Culture et de la Communication va lancer sans délai une inspection administrative relative aux processus d’acquisition des biens évoqués en l’espèce dans cette affaire, ainsi que, plus généralement, sur les procédures d’acquisition en faveur des collections nationales »
(Ministère de la Culture et de la Communication, Délégation à l’information et à la communication, Paris, le 11 juin 2016.).
Á la suite de cette annonce, six autres médias[1] publieront des articles, notamment Le Monde, France TV infos, les Inrockuptibles, Le Parisien…

Des perspectives différentes selon les médias…
Avant le communiqué du ministère de la Culture, et l’accusation publique de Bill Pallot, collectionneur, expert et historien de l’art à Paris. Les médias spécialisés en arts et en histoire de l’art, notamment Connaissances des Arts et leur premier article le 6 mai 2016, questionnent plutôt la gestion des institutions dans le parallèle entre les faux circulants dans les galeries de Paris et les ventes acquises par le Palais de Versailles. Le 19 juin 2016 La Tribune des arts condamne directement les conservateurs et la direction du Palais de Versailles. En effet, le journaliste Didier Rykner[2] affirme avoir lu des courriels de Charles Hooreman, envoyés à partir du 3 septembre 2012 (année de l’acquisition de meubles Foliot en provenance de la galerie Aaron), adressés à Beatrix Saule, directrice de la conservation du Palais de Versailles, dénonçant déjà les faux. Pour clôturer cet échange par courriel, la direction du Palais de Versailles aurait répondu qu’une procédure est en cours, et que la fausse attribution et la fausse datation n’ont pas encore été attestées à ce jour. Didier Rykner s’en prend principalement au musée et critique le fait qu’autant de pistes n’aient pas éveillé les soupçons concernant l’authenticité historique de ces œuvres.
Les médias d’actualités.
Les journaux d’actualités accordent également une place à cette enquête mais uniquement après le communiqué de la ministre de la Culture, Audrey Azoulay. Le premier article publié par le journal Le Parisien, dans la rubrique fait divers, le 11 juin 2016, s’intitule « Château de Versailles : trois interpellations dans une affaire de trafic de faux meubles ». Les auteurs détaillent uniquement les moyens entrepris par les deux acteurs de l’enquête, le ministère de la Culture et le Château de Versailles. Le second article du Parisien, publié le 3 septembre 2016 en ligne, revient sur le versant juridique de l’affaire en liens avec l’actualité de la Biennale des Antiquaires, avec un titre plus accrocheur « Trafic de faux meubles : comment Versailles s'est fait escroquer ». Contrairement à La Tribune des Arts, cet article place le château de Versailles en victime et incrimine d’autant plus l’auteur de cette supercherie, Bill Pallot, qui a joué de sa notoriété d’expert.
Connaissances des arts, suivra l’affaire jusqu’au 24 mars 2017, date de la troisième publication à ce sujet « Une réforme des commissions d’acquisition des musées français confirme enfin l’achat de faux meubles XVIIIe par Versailles », qui pour finir affirmera dans ce court article le verdict des experts, qui « confirme l’achat par Versailles de faux meubles du XVIIIe ».
La presse, les scientifiques et la justice s’entrecroisent. Les médias participent activement aux enquêtes, et sont parfois à l’origine de l’ouverture des investigations. Ici, c’est Guy Boyer, historien de l’art et directeur de la rédaction de Connaissances des Arts, qui entame la discussion, un mois en amont du communiqué du ministre de la Culture et de la Communication. Et c’est Didier Rykner, directeur de La Tribune des Arts qui mène son enquête en parallèle de la justice, pour soulever une problématique interne concernant les institutions culturelles nationales. Alors que la justice et le ministre du gouvernement ne diffusent pas publiquement les nouveautés sur cette enquête, France Culture, reviendra sur cette affaire en 2019. Guillaume Erner s’entretient alors avec Jean-Louis Gaillemin, docteur en histoire de l'art et fondateur de Beaux-Arts Magazine et de L'Objet d'Art.
« Il y a eu un effet d'aveuglement. Quand on attend quelque chose avec impatience, avec désir, avec fureur, quand on est un chasseur à l'affût, il ne suffit de rien pour y croire. Quand on a retrouvé un fauteuil pour la méridienne de Marie-Antoinette, le saint des saints de Versailles, l'un des conservateurs a dit : "La qualité et les moindres détails de son décor sculpté sont en parfaite adéquation, en harmonie, avec les deux fauteuils versaillais". On regarde, mais on regarde mal, puisque quand ces chaises dont nous parlons ont été soupçonnées d'être fausses, il a suffi d'une demi-journée pour que des spécialistes se rendent compte que c'était faux[3]. » Jean-Louis Gaillemin, 2019, entretien avec Guillaume Erner pour France Culture.

Désir de croire, envie de voir…
Comme le dit si bien Jean-Louis Gaillemin, (Guillaume Erner, Jean-Louis Gaillemin, France Culture, 2019), parfois la recherche rend aveuglement sûr de certaines attributions à un style ou à un individu. En effet, certains faussaires s’emparent de ces opportunités mercantiles, lorsque la recherche est intense et surtout lorsque les faussaires participants sont aussi des acteurs du monde de l’art. Ici, Bill Palot, collectionneur, expert et historien de l’art, connaissait bien l’équipe du château de Versailles, ce qui a d’autant plus trompé les experts de ce château. Le faux est tabou ! On le remarque dans cette affaire, le château de Versailles a tout fait pour éviter le scandale. Il est vrai qu’économiquement parlant c’est un problème d’avoir fait le choix d’acheter ces œuvres et de favoriser la confiance entre collectionneur, experts et conservateurs plutôt que de questionner ces arrivées miraculeuses sur le marché de l’art.
Parler et écrire sur cette affaire, mettre au jour des interrogations concernant les fausses acquisitions, les productions de faux, les marchés de faux, etc., permettraient de réfléchir à sa valorisation en tant qu’effet sociologique dû à la spéculation et notamment à Paris et dans ce milieu mondain.
[1] Les Inrockuptibles (publie le 9.06.2016), Le Monde (publie le 9.06.2016), Le quotidien de l’art (publie le 10.06.2016), France TV infos (publie le 11.06.2016), Europe1 et Télérama (publie le 13.06.2016).
[2] Auteur de l’article dans La Tribune des Arts.
[3] Guillaume Erner entretien avec Jean-Louis Gaillemin dans l’article, « Du faux à Versailles : comment le château a acheté des copies au prix du vrai », France Culture, 18/11/2019.
Communiqué de presse :
Ministère de la Culture et de la Communication, Délégation à l’information et à la communication, Paris, le 11 juin 2016. https://www.culture.gouv.fr/Presse/Archives-Presse/Archives-Communiques-de-presse-2012-2018/Annee-2016/Communique-de-presse-OCBC
Sitographie :
Guy Boyer, « L’affaire du faux mobilier XVIIIe de Versailles », Connaissances des arts, 06 mai 2016 [en ligne] https://www.connaissancedesarts.com/monuments-patrimoine/laffaire-du-faux-mobilier-xviiie-de-Versailless-1142989/ [consulté le 02 décembre 2021]
Didier Rykner, « Des faux à Versailles ? », Tribune des Arts, 08 juin 2016 [en ligne] https://www.latribunedelart.com/des-faux-a-versailles [consulté le 15 décembre 2021]
Harry Bellet, « Le château de Versailles, victime d’un trafic de fausses chaises ? », Le Monde, mis à jour le 9 juin 2016. [en ligne] https://www.lemonde.fr/arts/article/2016/06/09/peches-de-chaises_4943975_1655012.html [consulté le 02 décembre 2021]
J.Cl., « Château de Versailles : trois interpellations dans une affaire de trafic de faux meubles. », Le Parisien, 11 juin 2016. [en ligne] https://www.leparisien.fr/faits-divers/chateau-de-versailles-trois-interpellations-dans-une-affaire-de-trafic-de-faux-meubles-11-06-2016-5875215.php [Consulté le 02 décembre 2021]
Didier Rykner, « Faux sièges : l’aveuglement de Versailles », Tribune des Arts, dimanche 19 juin 2016. [en ligne] https://www.latribunedelart.com/faux-sieges-l-aveuglement-de-Versailless [Consulté le 02 décembre 2021]
Par J.Cl., « Trafic de faux meubles : comment Versailles s'est fait escroquer », Le parisien, Le 3 septembre 2016. [en ligne]https://www.leparisien.fr/faits-divers/trafic-de-faux-meubles-comment-Versailless-s-est-fait-escroquer-03-09-2016-6091451.php [Consulté le 02 décembre 2021]
Guy Boyer, « Une réforme des commissions d’acquisition des musées français confirme enfin l’achat de faux meubles XVIIIe par Versailles », Connaissances des arts, 23 mars 2017. [En ligne]https://www.connaissancedesarts.com/marche-art/une-reforme-des-commissions-dacquisition-des-musees-francais-confirme-enfin-lachat-de-faux-meubles-xviiie-par-Versailless-1165966/ [Consulté le 02 décembre 2021]
Guillaume Erner, « Du faux à Versailles : comment le château a acheté des copies au prix du vrai », France Culture, 18 novembre 2019. [en ligne] https://www.franceculture.fr/emissions/superfail/du-faux-a-Versailless-comment-le-chateau-a-achete-des-copies-au-prix-du-vrai [Consulté le 02 décembre 2021]
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