Bûches et embûches : le parcours végétal du Musée des Beaux Arts de Lyon
Veillant à entretenir son taux de fréquentation élevé tout au long de l’année, le Musée des Beaux-Arts de Lyon multiplie les propositions artistiques auprès de ses visiteurs. À la collection permanente d’œuvres allant de l’Egypte ancienne (XVe siècle avant Jésus Christ) à l’art moderne du XXe siècle, s’ajoutent des expositions temporaires dans un bâtiment entièrement dédié à celles-ci mais pas seulement. Une partie de la collection permanente, située dans une aile au deuxième étage, est parfois déplacée en réserve offrant l’opportunité pour le Musée d’accueillir une seconde exposition temporaire. Actuellement, cette aile du deuxième étage accueille une exposition de l’artiste Fred Deux, intitulée Les Mondes de Fred Deux.
Parmi les activités que propose le Musée, divers cartels à parcours thématique sont disponibles pour les visiteurs proposant ainsi de s’attarder plus particulièrement sur des œuvres pouvant attirer notre attention. Les parcours proposés sont les suivants : chefs-d’œuvre, couleur/noir, nature/végétal, nature/fleurs, femmes, héros ainsi que le parcours chefs-d’œuvre/peintures qui sera prochainement disponible. Pour ma part, j’ai choisi de partager avec vous mon expérience sur le parcours nature/végétal, ponctué de croquis personnels effectués au cours de cette visite. De plus, bien que je ne l’ai pas utilisée, une application mobile est disponible sur trois des parcours thématiques, proposant les mêmes textes que la brochure papier ainsi que des visuels de bonne qualité et surtout des animations vidéos nous permettant de localiser plus aisément les œuvres dans les différentes salles du musée. Mon objectif à travers cet article ne consiste pas à apporter une analyse des œuvres vues au cours de ma visite mais plutôt à partager une expérience sensorielle ainsi qu’une conclusion personnelle sur ce concept de parcours thématique.
Les douze travaux de Déméter ?
Mon expérience en douze étapes a débuté en Egypte ancienne, à la recherche de la stèle dédiée à Osiris et aux dieux d’Abydos (vers 1450-1400 avant J.-C.). Le motif végétal sur cette stèle funéraire en calcaire polychrome figure le lotus sous ses trois états : en tige, en bouton et en fleurs. Prendre le temps de s’attarder sur des motifs végétaux mais surtout sur des détails et les reproduire en quelques coups de crayon m’a permis de pénétrer pleinement dans l’œuvre. Au cours de ces dernières années passées à Lyon, j’ai régulièrement eu l’occasion de passer dans cette salle sans jamais remarquer la précision des traits d’outils ayant servi à cisailler la pierre ni même les restes de rehauts colorés, imitant la sanguine, visibles de part et d’autre sur les personnages et les objets en bas-relief. Cette stèle funéraire représente le défunt et son épouse respirant le lotus, symbole de la vitalité retrouvée dans l’au-delà. Le lotus n’est pas extrêmement présent sur cette pierre en terme d’espace car d’une part, il s’agit d’un motif de moindre dimension dans un ensemble respectant l’échelle réelle entre les éléments présentés et, d’autre part, l’iconographie égyptienne se scande en plusieurs temps, n’offrant pas une image globale en une scène unique. L’espace est dès lors restreint. Cependant, sa place au sein de ce témoignage funéraire est importante dans une optique symbolique et spirituelle.
Une dizaine de mètres effectués représentent presque un millénaire traversé au musée. Me voici désormais en plein cœur de la Grèce Antique avec une hydrie[1] en céramique à figures rouges. Le motif commence à prendre de l’envergure puisqu’il est désormais présent sur toute une moitié de l’hydrie, l’autre étant consacrée à la représentation de trois personnages : Déméter, Perséphone et Dionysos. On lit dans la brochure la présence de palmettes entourées de motifs courbés. Finalement, dans cette œuvre, la végétation est davantage présente comme idée que comme image puisque la figure de Déméter vient représenter l’agriculture tout comme celle de Dionysos figure la vigne.
Je me dirige ensuite vers une tempera sur bois anonyme, Le Christ au jardin des oliviers (1460). L’espace consacré à la nature dans ce jardin des oliviers me permet alors de faire le tour d’une sélection de végétaux à la portée symbolique dans cette célèbre scène d’arrestation du Christ. Tout est végétation dans ce jardin, le ciel lui-même, imprégné d’or, est orné de motifs floraux, symbolisant alors la présence du divin. Le végétal endosse désormais la fonction du symbole qui mènera aux siècles suivants à la composition de l’emblème et de la figure allégorique. Ces sauts dans le temps nous permettent d’avoir un large aperçu de l’importance du motif végétal à travers les siècles et les civilisations.
L’ampleur du motif végétal au fil du temps
La quatrième œuvre est un élément de frise originaire d’Iran que l’on date aujourd’hui du XIIIe siècle. Cette œuvre, très précieuse dans sa composition, est fabriquée en céramique à décor de lustre métallique sur glaçure opacifiée. Je n’aurai eu le temps d’observer que quelques secondes cette préciosité puisqu’une visite étant à ce moment là en cours dans ce petit recoin du musée, la médiatrice m’a invitée à quitter cet espace le temps de son commentaire. Première embûche dans mon parcours végétal, mais elle ne sera pas la seule.
Après une dizaine de minutes à tourner en rond dans l’espace réservé à l’art nouveau, j’ai finalement trouvé le vase en verre d’Emile Gallé ! L’ayant imaginé bien plus grand et plus opaque d’après la photographie de la brochure, j’ai été surprise de son apparence réelle. Légèrement boudiné et jouant de la transparence, il s’agit d’un vase réellement magnifique sur lequel j’ai eu la chance de pouvoir m’attarder grâce à ce parcours. Les couleurs utilisées s’unissent parfaitement et dessinent des fleurs veloutées sur fond abstrait. La description indique qu’il s’agit de chatons de noisetiers, d’anémones et de branches. Rien d’étonnant à cela lorsque l’on connait la devise d’Emile Gallé « Ma racine est au fond des bois ».
Figure 1: croquis d'après le vase d'Emile Gallé, stylo, trait continu, format A5.
La lignée de Sainte Anne (1490-1500), sixième œuvre de ce parcours, joue du célèbre « arbre généalogique » pour retracer à même les branches les portraits des différents descendants de Sainte Anne, le tout sur fond doré. Les portraits des membres de la famille se tiennent en buste sur des fleurs colorées d’un ton rosé pour celles situées à notre gauche, et plutôt bleuté pour celles de notre droite. Les rinceaux sont imposants dans cette composition fantastique et donnent de la vivacité à l’ensemble ; certains personnages s’accrochent à cette végétation flamboyante. Contrairement à l’arbre généalogique que l’on connaît où l’objectif est d’inscrire le nom des ancêtres, Gérard David inverse la tendance et aborde la descendance.
La végétation prend de plus en plus d’envergure au sein des œuvres au fil du parcours, notamment avec l’exemple du vase d’Emile Gallé. Mais la suite ne fera que confirmer cette idée que l’homme n’est finalement plus l’unique centre de l’inspiration artistique où la végétation s’impose et sublime son support.
C’est le cas notamment avec les deux œuvres qui suivent, La Terre de Jan Brueghel l’Ancien (1610) et Vase de fleurs avec une tubéreuse cassée de Jan Frans van Dael (1807). La nature prend le dessus. Sur la première, une nature sauvage et maîtrisée – avec des fruits et des légumes rajoutés de manière peu naturelle sur l’ensemble de l’œuvre – forme un cadre à la scène centrale. La seconde se rapproche davantage d’un portrait de fleurs où l’attention se stabilise autour d’éléments floraux seulement : ni mouche, ni papillon ou autres insectes souvent illustrés dans ce genre de peinture, ne sont mis à l’honneur ici, laissant l’entière admiration du public à la flore.
Figure 2: croquis d'après Fleurs des Champs de Louis Janmot, aquarelle et crayon, format A3.
Ma visite s’est brutalement terminée à la neuvième œuvre, Fleurs des champs de Louis Janmot (1845) où se confondent différentes variétés de fleurs sauvages, pâquerettes, coquelicots, bleuets, liserons des champs, ainsi qu’un églantier en fleurs en arrière plan. La végétation sublime davantage la jeune femme, soulignant sa beauté pure et portant sur ses vêtements les couleurs des champs que l’on retrouve au printemps. Je n’ai malheureusement pas pu observer les trois dernières œuvres. Celle de Gauguin était en prêt au Grand Palais de Paris pour l’exposition « Gauguin L’Alchimiste[2] » tandis que les deux suivantes ont dû rejoindre les réserves le temps de l’exposition « Le Monde de Fred Deux[3] », celle-ci occupant les locaux des peintures modernes.
Effectuer ce parcours végétal m’aura permis de me rendre compte d’une part, de la vision que les différentes sociétés ont eu de la nature, mais également de la manière dont ses emplois ont évolué dans l’art ; le symbole, la sublimation qui sont autant de moyens pour l’artiste de rendre compte de la flore à travers les siècles. Cette visite est également l’occasion de montrer au public le dynamisme d’une structure muséale : les visites commentées, les prêts et les expositions temporaires sont les embûches rencontrées au cours de ma visite, mais elles offrent de surcroît une bonne raison de revenir au musée !
Notes:
[1] Vase grec à trois anses.
[2] Gauguin L’alchimiste, exposition au Grand Palais de Paris du 11 octobre 2017 au 22 janvier 2018.
[3] Le monde de Fred Deux, exposition au Musée des Beaux Arts de Lyon du 20 septembre 2017 au 8 janvier 2018.