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‘Divine Violence', d’Adam Broomberg et Olivier Chanarin. Utiliser l’art comme arme politique?

L’art, pour Adam Broomberg et Olivier Chanarin, est conçu comme une arme politique, un moyen pour le spectateur et celui qui regarde de penser le monde et son fonctionnement. Depuis une vingtaine d’année, les deux artistes d’origine sud-africaine mettent en place un art violent qui interroge des sujets de l’actualité ou de la mémoire collective. Dans Divine Violence, œuvre qui sera présentée au Centre Pompidou du 21 février au 21 mai 2018, les deux artistes proposent une réflexion autour de la Bible et de la parole violente qu’elle entraîne.


L’œuvre est composée de 57 cadres correspondants aux livres de la Bible. Sur chacun d’entre eux sont disposées des photographies collées sur 724 feuillets du Livre. Cette œuvre, monumentale, entraîne un sentiment de vertige pour le spectateur : il lui est impossible de tout voir et de tout lire dans le seul temps de sa visite. Mais le but de l’œuvre ne se situe pas dans ce vertige. Le vertige est l’effet produit par la sémantique de l’œuvre. En effet, les deux artistes se sont inspirés de la Bible de Bertolt Brecht, dans laquelle on pouvait retrouver des annotations ainsi que des photographies découpées dans la presse durant la Seconde Guerre Mondiale, créant un lien physique, visuel, textuel et sémantique entre la violence de la Guerre (et de l’époque) et la violence du livre Saint. Pour faire surgir ce sens, les deux artistes ont souligné en rouge (attirant la vision du « regardeur » vers des passages précis) des phrases sur les feuillets, pour les mettre en lien avec les photographies sélectionnées. Il s’agit de faire place au désastre comme révélateur du divin.



Adam Broomberg et Olivier Chanarin mettent en lumière la possibilité d’annoncer Dieu, au sein du désastre et de la catastrophe; le point de vue des artistes est donc autant satyrique que dénonciateur, créant un lien de corrélation entre religion et violence. La Bible devient non plus ce qu’on pouvait penser : un livre d’apprentissage, mais un moyen de gouvernance par la violence.




Il s’agit pour les deux artistes de faire une place à l’Homme dans l’évasement de la figure divine. Cette pensée du Mal, que Friedrich Nietzsche avait reprise dans un retournement qu’est l’éternel retour et qui trouve sa concrétisation dans la pensée de la mort de Dieu, permet à la pensée de l’Homme de surgir. L’œuvre d’Adam Brooberg et d’Olivier Chanarin fonctionne comme une mise à mort de la figure divine. Cette œuvre, en créant l’Homme dans l’anéantissement de Dieu, en rendant impossible tout renvoi à l’Absolu divin et au mot même de Dieu, permet la libération par l’art sur fond d’absence: un 'absentement' au dedans comme le nomme Jean-Luc Nancy en parlant de “déclosion” dans son livre sur la déconstruction du christianisme (1). Ce constat opéré par l’œuvre place l’existence sous la responsabilité humaine de la volonté. Une simple humanisme de l’art, la reconnaissance de ce fait que privé ou libéré d’un sens absolu conçu sur le modèle de Dieu, c’est à l’homme de faire le monde et d’en créer le sens. C’est ainsi que l’homme prend une place particulière dans l’œuvre. L’Homme naît de la mort de Dieu, alors que l’Homme périssait dans ce dépassement qu’était Dieu. C’est ce qu’écrit Georges Bataille dans L’absence de Dieu (2) : « créé par la mort de Dieu et la dégradation des valeurs, parce qu’il a su reconnaître en ce vide le pouvoir de surmonter, qui est devenu en lui non seulement pouvoir, mais vouloir – le vouloir de se surmonter soi-même ». Inspirés par la verve de Bertoldt Brecht, les deux artistes mettent en lumière les clichés qui se jouent entre la parole religieuse et l’apparition d’un conflit.



(1) Jean-Luc Nancy, La Déclosion. Déconstruction du christianisme 1, Galilée, 2005.

(2) Georges Bataille, L'Absence de Dieu, dans Ibidem, Oeuvres complètes, Tomes I, Gallimard, 1970.


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