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« Jack London dans les mers du Sud» ou le voyage par l’imaginaire de l’homme blanc



L’exposition "Jack London dans les mers du Sud" au musée de la Vieille Charité à Marseille (8 septembre 2017-7 janvier 2018) retrace le voyage de l’auteur de Croc-Blanc dans les îles du Pacifique entre 1907 et 1909. Le site de La Compagnie des Indes, société de production audiovisuelle partenaire de l’exposition, la présente comme « Une invitation au voyage et à l’aventure » [1]. Mais ne s’agirait-il pas plutôt d’une invitation dans l’imaginaire de l’écrivain, un imaginaire teinté d’amateurisme et de colonialisme ? La question est posée.



Fig 1 : Affiche de l’exposition

Jack London dans les mers du Sud

au centre de la Vieille Charité, Marseille.


Les rêveurs du Snark ou l’aventure en amateur


Le périple est décliné en cinq salles : « Le rêve du Snark », « Les îles Marquises », « Samoa », « Les îles Salomon » et « Après le Snark ». La première salle est consacrée au projet tel qu’il est imaginé par Jack et Charmian London. On suit alors les diverses péripéties autour de la préparation du Snark – le fameux voilier sur lequel embarqueront Jack London et son équipe.



De l’idée même du voyage – en passant par le retard du chantier et la constitution d’un équipage – jusqu’au départ du navire le 23 avril 1907, nous suivons au plus près la préparation du périple. On apprend alors que le rêve d’aventure de l’écrivain est avant tout une entreprise d’amateur. En effet, ce dernier n’a pas jugé bon d’engager un seul marin de métier. Jack London doit donc apprendre in extremis à se servir d’un sextant, et tous les membres de son équipage sont frappés par le mal de mer. Quelques pages du journal de bord de l’auteur rendent l’entreprise plus humaine. On s’attendrit devant les maladresses et la naïveté de ce doux rêveur.



Fig 2 : Maquette du Snark.

Maquettiste : René Beaufils.

© La Compagnie des Indes, droits réservés.


Les sarcasmes de quelques journaux, qui suivent le voyage de près – et qui annonceront la mort de l’équipage à plusieurs reprises – nous font ressentir amusement et empathie pour les aventurier·ère·s…


Le voyage de "l’homme blanc" chez "les sauvages" : une démarche initiatique et coloniale


Hawaï, les îles Marquises, Tahiti, Fidji, Samoa, le Vanuatu, les îles Salomon... Autant de destinations par lesquelles le Snark passera, non sans difficultés. Le voyage se veut également initiatique pour l’auteur qui visitera Nuku Hiva, île décrite par Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, dans son roman Taïpi. Il ira également se recueillir sur la tombe de Robert Louis Stevenson l’auteur de L’île au Trésor enterré sur l’île Upolu. Une occasion donc, pour l’auteur, de confronter son savoir littéraire à la réalité.

Fig 3 : Jack London vêtu d'une jupe de danse en cheveux humains et fibres de coco. Nuku Hiva, archipel des Marquises, 1907. © Courtesy of Jack London Papers, The Huntington Library, San Marino, California.

Témoins d’une certaine réalité, on trouve dans les salles 2, 3 et 4 des documents d'archives sur ce voyage à travers les îles : des photographies mais aussi des objets culturels ou d'arts "collectés" par Jack London. On peut également contempler des œuvres d’art issues des collections du Musée des arts africains, océaniens et amérindiens (MAAOA) et d’autres musées tels que le Musée du Quai Branly, le Musée Barbier-Mueller ou encore le Musée d’Aquitaine... Si de très belles pièces sont présentées, on ne sait plus si l’on se trouve dans une exposition ethnographique, ou si l’on explore les îles du Pacifique selon la même vision que l’écrivain. Il est effectivement dommage que l'exposition n'insiste pas plus sur la démarche coloniale de ce dernier. Quelques mentions dans les cartels présentent sa position "critique" de l'administration coloniale, mais ils montrent également que Jack London entretient de bonnes relations avec certains administrateurs coloniaux qui reçoivent l’équipage et lui font, en maîtres des lieux, visiter certaines îles. Même si la plupart du temps, les London ont à cœur d’être en contact avec les locaux, certaines îles font exception et ces derniers ne visitent celles-ci que par le biais de l’administration coloniale. On peut également constater la méfiance voire le dégoût des London lors de la visite du "cannibale" Vanuatu ou des "îles noire", alias La Mélanésie. La bonne surprise de l'accueil que certains peuples réservent à l’équipage est relatée, sans que jamais ne soit évoqué le mythe du bon sauvage pourtant latent. Quelques suppléments d’analyse sur le sujet, qui n’est que rapidement évoqué, auraient été bienvenus dans une exposition qui souhaite pourtant promouvoir « une formidable opportunité pour chaque visiteur de s’ouvrir à la diversité des cultures de cette région du monde. » [2]


« L’après Snark » ou le retour à la réalité


La visite se termine aussi brutalement que s’est terminé le périple du Snark. Jack London et son équipage ayant contractés diverses maladies, ils doivent rentrer en urgence afin de survivre. Peut-être la dernière salle, qui se déploie dans la Chapelle de la Vieille Charité, est-elle justement le seul lieu où l’on découvre, sans concessions, l’esprit de ce voyage. Un retour à la réalité aussi cru que le retour précipité du navire. En effet, les quelques affiches faisant la promotion des conférences de Martin Johnson, membre de l’équipage, ne mentent pas. Présentées à la fin du parcours, on peut observer des titres tels que « Domestiquer l'homme sauvage » avec de nombreuses mentions du danger que représente le fait de vivre au milieu de tribus cannibales.

Fig 4 : Affiches pour les conférences de Martin Johnson © Mélissa A.


Une drôle d’invitation au voyage que nous fait donc le musée qui, en étant si peu critique, prend le risque de reproduire un regard fantasmé et exotique sur cette région du monde. Cela est d’autant plus étonnant que la commissaire d’exposition Marianne Pourtal-Sourrieu témoigne de l’intérêt de travailler sur la notion d’altérité et sur le regard occidental « […] le musée s’est toujours intéressé à cette notion de regard, celui que nous portons sur l’Autre, celui porté par les Occidentaux lors de leur contact avec d’autres peuples d’Afrique, d’Océanie et des Amériques » [3] dit-elle. De plus, certaines expositions permanentes comme celle – magnifique – sur les Arts Populaires du Mexique ont un discours plus critique et nuancé à propos du regard extérieur. En somme, une exposition qui, si elle mériterait une prise de position plus franche, se révèle néanmoins riche et intéressante par la présentation de documents exceptionnels et par une scénographie travaillée.


Notes


[1] « Jack London dans les mers du Sud », Jack London Aventure, La Compagnie des Indes, http://www.jacklondonaventure.com/expo_jack-london-dans-les-mers-du-sud/ consulté le 08/01/2018.


[2] « Jack London dans les mers du Sud », Jack London Aventure, La Compagnie des Indes, http://www.jacklondonaventure.com/expo_jack-london-dans-les-mers-du-sud/ consulté 08/01/2018.


[3] « Les commissaires », Jack London Aventure, La Compagnie des Indes http://www.jacklondonaventure.com/expo_jack-london-dans-les-mers-du-sud/expo_commissaires/ consulté le 08/01/2018.


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