top of page

Retour sur une exposition pionnière : ‘The New Japanese Photography’ de 1974


« The New Japanese Photography » est la première exposition muséale collective de photographie contemporaine japonaise en dehors du Japon. Elle se tenait au MoMa de New-York du 27 mars au 19 mai 1974 et présentait cent quatre-vingt-sept photographies, réalisées entre 1940 et 1973 par quinze photographes. L’évènement est connu pour avoir marqué un tournant dans la réception occidentale de la photographie japonaise.


Figure 1: Vue d'installation de l'exposition 'New Japanese Photography'. MoMA, New York, du 27 mars 1974 au 19 mai 1974. Photographe: Katherine Keller. Image numérique © 2013, Le Musée d'Art Moderne, New York / Photo SCALA, Florence.



Une exposition exhaustive, un large panel d’artistes


Pour créer cette exposition, John Szarkowski, photographe et conservateur pour la photographie au MoMA de New York de 1962 à 1991, s’associe à Shōji Yamagishi, critique photographique, conservateur et éditeur du magazine Camera Mainichi. Ils réunissent des artistes contemporains encore inconnus en Occident pour la majorité. Sur l’ensemble des quinze artistes, Yasuhiro Ishimoto, Ikko Narahara et Ken Ohara sont les seuls photographes internationaux ayant déjà exposé aux États-Unis. Cette sélection d’artiste permet ainsi de présenter une large vue d’ensemble de la photographie contemporaine japonaise, modifiant radicalement la manière dont la photographie japonaise était perçue en Occident.


Sur l’ensemble des quinze artistes, presque un tiers développe un travail sur les ravages de la seconde guerre mondiale, en mémoire des explosions nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki. Ces photographes sont Shomei Tomatsu, Kikuji Kawada, Ikko Narahara et Hiromi Tsuchida. Le plus célèbre est Tomatsu, déjà considéré à l’époque comme la figure centrale.


Parmi les photographes encore inconnus en Occident, Tetsuya Ichimura et Eikoh Hosoe développent un travail sur le nu. Hosoe développe en outre un travail avec des personnalités artistiques japonaise importantes, comme Tatsumi Hijikata, le créateur du butō[1] ou encore avec le célèbre auteur Mishima[2]. Par le biais de ces collaborations, Hosoe catalyse, extrait et documente la contre-culture japonaise des années 1960.


D’autres photographes présentent des œuvres directement liées à la culture traditionnelle japonaise. C’est le cas des photographies de Ken Domon du temple Muro-ji, celles de Yasuhiro Ishimoto des tremplins du Palais Katsura à Kyoto, ainsi que celles d’Hiromi Tsuchida et Masatoshi Naito portant sur les traditions folkloriques et ésotériques du Japon.



Figure 2 : Daido Moriyama, Stray Dog, Misawa, 1971, Gelatin silver print, 48.0 x 71.2 cm © 2018 Daido Moriyama



L’exposition présente en outre les séries Nippon theater (1968) et Hunter (1972) de Daido Moriyama. Ce dernier est présenté dans le catalogue d’exposition comme le plus influent des jeunes photographes japonais de l’époque. Avec Shomei Tomatsu, il est la seconde figure majeure de l’exposition. Marqué par les changements spectaculaires qui ont touché le Japon durant les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale et animé par un esprit de rébellion, il contribue à l’invention d’un langage visuel nouveau entre tradition et modernité et se fait le reflet de l’esprit de contestation et de la prise de conscience japonaise.


La photographie japonaise, entre particularismes et universalité


Si l’occupation effective du Japon par les États-Unis suite à la Seconde Guerre mondiale prend fin en 1952, la présence américaine se fait ressentir tout au long des années 1960. Tandis que le Japon se reconstruit, la culture américaine s’infiltre, déclenchant en réaction l’affirmation d’une culture ancestrale japonaise, qui fusionne avec la modernité. Ainsi, dès les années cinquante, le Japon construit son identité artistique contre l’hégémonie américaine. Loin de voir disparaître ses traditions locales, le Japon affirme et revendique sa culture traditionnelle. De la même manière, la technique occidentale de la photographie a été profondément transformée par les artistes japonais, revisitée par leurs concepts esthétiques et leur rapport singulier au réel. En s’appropriant le medium photographique, le Japon a créé le genre de la photographie fictionnelle. D’une manière générale, l’art japonais est nourri par la tradition shintoïste, par une relation particulière avec la nature, une conception cyclique du temps et une conscience aigüe de l’impermanence des phénomènes.


Figure 3 :Shomei Tomatsu, Americanization, Zushi, 1964, Gelatin silver print, 33 x 47.7 cm © 2018 Shomei Tomatsu



L’esthétique photographique proprement japonaise est pourtant passée sous silence dans cette exposition et les commissaires ont délibérément choisi d’axer cette première exposition sur des questionnements extrêmement généraux :


« Qu’est-ce que la photographie ? », « Comment la photographie japonaise se rapporte aux préoccupations contemporaines de la communauté photographique tout entière ? »[3].


Au sein du catalogue d’exposition, tandis que John Szarkowski fait allusion à une esthétique « typiquement japonaise » qu’il ne définit pas, Shōji Yamagishi rattache la photographie contemporaine japonaise à une esthétique « universelle ». Cette volonté d’universalité révèlerait, selon Kai Yoshiaki, une certaine anxiété de la part du commissaire japonais, craignant que le public américain ne recherche dans cette exposition des images exotiques et étranges d’un ailleurs lointain représenté par le Japon[4]. Pour ne pas enfermer les œuvres dans une image fixe, restreinte voire faussée de ce que pourrait être la photographie japonaise, Yamagishi insiste sur son caractère général et universel, au risque d’en livrer une image floue.


Un discours politique ignoré


Il est pourtant difficile de passer sous silence le discours politique des photographes. L’exposition présente notamment la série 11:02 Nagasaki de Shomei Tomatsu, réalisée à partir de 1961 afin de montrer l’empreinte éternelle des tragédies d’Hiroshima et Nagasaki à travers les cicatrices, les maladies, les blessures physiques et psychologiques. Il témoigne ainsi d’une menace d’amnésie collective et réalise une photographie en mémoire, qui s’inscrit dans le passé et dans le présent, le temps n’ayant rien effacé des blessures. Sa série Okinawa réalisée en 1969, est éminemment politique et dénonce l’impérialisme américain au Vietnam. Au moment de la création de cette série ont lieu de violentes révoltes et émeutes étudiantes en réaction aux bombardements américains visant le Vietnam et partant de la base militaire à Okinawa, au Japon.


Le discours occidental comme le discours japonais semblent alors mis à mal. Cette exposition entre Japon et États-Unis, dès 1974, soulève des questionnements importants concernant la définition de la photographie japonaise, son image en dehors du Japon, les échanges artistiques au sein d’une exposition internationale ainsi que leur dimension politique. Si cette exposition est incomplète du point de vue de l’analyse historique et artistique, elle prend le parti d’offrir au regard les photographies, librement, et d’inviter à la réflexion, ouvrant des voies à explorer.



Laurie L.




[1] Le butō est traduit comme la « danse du corps obscur ». Cette danse subversive est créée par Tatsumi Hijikata, artiste performeur, à la fin des années cinquante, en réaction aux conséquences de la Seconde Guerre mondiale et à l’occidentalisation du Japon. A la croisée des genres, le butō mêle la littérature, les arts plastiques, la danse et le théâtre et ne suit ni narration, ni chorégraphie, ni vocabulaire gestuel établi : il est uniquement lié à l’expérience de la corporalité, révélant sa part obscure et violente.


[2] Il est notamment l’auteur de Confession d’un masque, livre hautement subversif au succès international, développant la question des marges identitaires et sexuelles au Japon. Dans les années soixante, Mishima est opposé à l’internationalisation et rend hommage à la culture japonaise ancienne par ses écrits.


[3] Shōji YAMAGISHI, « Introduction », dans Szarkowski et Shōji Yamagishi, éd., New York, New Japanese Photography, Le Musée d'Art Moderne, 1974, p.11.


[4] Kai YOSHIAKI, « “Distinctiveness versus Universality: Reconsidering New Japanese Photography »”, Trans Asia Photography Review, Volume 3, Issue 2: Local Culture/Global Photography, printemps 2013. Kai YOSHIAKI, professeur agrégé d’Histoire de l’art à l’Université de Niigata au Japon se base sur la différence de traduction de certains passages de son introduction, entre la version japonaise et la version anglaise.



Posts Récents
Archives
1596-tete-meduse02
Ledoux,_Theatre_of_Besançon
MarcQuinn_Iris
107332726
bottom of page