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Un après-midi au Musée d’Art Contemporain de Lyon


Lorsqu’on visite un musée, nos yeux de flâneurs dans les salles du musée se posent et se reposent sur les cimaises. On resort de notre balade culturelle avec nos impressions, commentaires, réactions. Mais combien d’entre nous se demandent comment tout cela a été mis en place ? Un long travail de synergie impliquant plusieurs acteurs travaillant au sein de l’institution précède chaque exposition. L’équipe du service des expositions du Musée d’Art contemporain de Lyon, composée de Marion Malissen et Juliette Tyran, chargées d’exposition, et Lauriane Vatin, régisseuse d’exposition, a accepté de nous accorder cette interview pour nous éclairer sur les coulisses de leurs métiers, si discrets et pourtant fondamentaux.



Fig. 1 : Montage d'une exposition au MAC, © Musée d'Art Contemporain. Photo: Blaise Adilon.


Bonjour à toutes et merci de votre accueil. Pouvez-vous présenter vos parcours ?

Juliette Tyran : Je n’ai pas du tout fait histoire de l’art. J’ai fait 5 ans d’études de Sciences Politiques à Aix-en-Provence. Je voulais au départ faire de l’histoire de l’art, et quand j’ai eu le concours de cette école, j’ai accepté de m’inscrire en me disant que ça me laisserait le temps de décider ce que je voulais faire pour la suite. Je me suis spécialisée dans la communication et par ce biais j’ai fait un stage dans une galerie d’art à l’étranger. Ensuite, je me suis réorientée en Histoire de l’art. J’ai refait un M2 à l’université Lumière-Lyon 2 en ‘Développement de projets artistiques et culturels internationaux’. J’ai terminé mes études en 2016. J’ai fait un stage de fin d’études au MAC (Musée d’Art Contemporain de Lyon) et après un service civique de dix mois à l’IAC (l’Institut d’Art Contemporain) de Villeurbanne en tant qu’assistant d’exposition, et j’ai fait partie de l’équipe en qualité de chargée d’exposition.

Marion Malissen : J’ai fait histoire de l’art mais uniquement pendant deux ans : quand j’ai fait mes études c’était avant la réforme des diplômes universitaires. À l’époque c’était très différent : on faisait deux ans d’abord, ce qui s’appelait un DEUG (qui correspond à L1-L2), ensuite on faisait une licence, et entre le DEUG et la licence on pouvait changer son parcours et ça ne durait qu’une seule année; ensuite on pouvait encore changer et on choisissait entre un DEA (recherche) et un DESS (équivalent d’un ancien Master Pro). C’est sans doute un système un peu compliqué, mais qui permet de changer de parcours lorsque la formation ne convient pas; et c’est ce que j’ai fait : après deux ans d’histoire de l’art à Nanterre, je me suis inscrite en L3 et ensuite en Master 1 professionnel en alternance à Quimper en ‘Valorisation des patrimoines architecturaux et artistiques’, spécialité ‘musées’ dans l’idée de me mener à l’art contemporain. Mon parcours m’a conduite à travailler pendant huit ans dans le domaine du patrimoine industriel. Il y a beaucoup plus d’emploi que dans le secteur de l’art contemporain. C’est mieux pour s’insérer dans le marché du travail parce qu’il y a plus d’emploi que dans le secteur de l’art contemporain. Cela fait plus de deux ans que je travaille ici au MAC en tant que chargée d’exposition. Grâce à ce parcours j’ai appris plein de choses : dans les institutions dans lesquelles j’ai travaillé par exemple, j’ai pu apprécier l’attention pour la scénographie et le dialogue avec les visiteurs, très différente des musées qui présentent plutôt des œuvres d’art. Parce que quand on est face à une machine qu’on doit mettre en route, si on n’explique pas comment ça marche le public ne comprend pas l’utilité de l’objet exposé. Donc une dynamique de contact avec les visiteurs se met en place, surtout en fonction du public et il faut lui faire comprendre le fonctionnement et l’utilité de ce qui est exposé. Mais il faut aussi lui donner les outils pour apprécier l’exposition.

Lauriane Vatin : J’ai fait un Master Pro à Rennes en 'Arts et métiers de l’exposition', et un autre à Montpellier sur la ‘Conservation et la diffusion des œuvres d’art du XX et XXIe siècle’, où j’ai découvert la régie technique des œuvres d’art que je ne connaissais pas de façon approfondie. Venant d’un parcours qui ne donne pas de place aux stages (prépa. littéraire et histoire de l’art), j’ai commencé à faire des stages en régie et ensuite, entre mes deux masters, j’ai travaillé deux ans pour la Biennale d’art contemporain en tant que régisseuse et, à la fin de mon master, j’ai remplacé l’ancien régisseur du MAC et ça fait bientôt quatre ans que je suis là.



Peut-on donc dire que votre métier s’apprend sur le terrain, de façon presque indépendante par rapport à la formation de provenance ?

L.V. : Oui c’est un peu le cas. Après dans le cadre de mon master professionnel c’était plus spécifique vu que notre projet de fin d’études était de monter une exposition en équipe, chacun avec des missions spécifiques. Mais notre parcours professionnel se construit au fur et à mesure qu’on progresse.


À propos des expositions : participez-vous à la programmation ?

M.M. : C’est la direction qui prépare la programmation des expositions, avec le comité scientifique qui existe déjà au sein du musée (directeur et plusieurs cadres du musée), dont la mission est d’effectuer la programmation des expositions et aussi les acquisitions.

J.T. : Ils font aussi en sorte que tout soit appliqué, mais dans une grande équipe comme la nôtre chaque étape compte. C’est un énorme travail de synergie et chaque métier se complète.


Comment s’organise votre travail, y-a-t-il une cohérence entre les différentes expositions ?

L.V. : Pour ce qui concerne les expositions, il n’y a pas de thématique annoncée. Nous savons qu’il y a toujours ce qu’on appelle un “blockbuster” - une grosse rétrospective consacrée à un artiste - qui est souvent à l’automne d’une année, parce que l’automne de l’année suivante est occupé par la biennale. Donc entre deux biennales il y a cette exposition “blockbuster” qui concentre une grosse partie de nos énergies.

M.M. : Il y a un rythme qui est scandé par les expositions. Notre travail est organisé sur de grandes périodes de deux ans d’une biennale à l’autre, ça crée un cycle au sein duquel les expositions se complètent et raisonnent l’une avec l’autre. Mais effectivement c’est la biennale qui a une thématique annoncée, qui s’étale sur trois ans.



Fig. 2 : Une salle du musée en chantier, ©musée d'art contemporain. Photo: Blaise Adilon.


Quelles sont les étapes de la préparation d’une exposition ? On se pose toujours cette question mais personne ne nous “dévoile” jamais les procédés dans les détails.

M.M. : La toute première étape c’est évidemment le choix de l’artiste, et éventuellement le choix de commissaires associés ou invités qui vont participer à l’ensemble du projet (on distingue les deux catégories parce qu’ils ne s’impliquent pas de la même manière).

L.V. : Ensuite il y a une liste d’œuvres qui émerge et qui est gérée généralement par trois personnes : soit par le conservateur de la collection, soit par la chargée d’expositions, soit par le directeur de production, qui en particulier coordonne l’aspect pratique de l’organisation de l’exposition.

J.T. : Le Directeur de production s’occupe également des échanges avec l’artiste, et peut conseiller les commissaires sur un certain nombre d’éléments, quand ce n’est pas l’artiste directement qui interagit avec les commissaires, ou qui est le commissaire associé de l’exposition. C’est l’avantage de l’art contemporain !

M.M. : Troisième étape : d’un point de vue très concret, on prend un plan de l’étage et puis les commissaires vont écrire telle œuvre là, telle œuvre là. Puis notre boulot à toutes les trois le jour J c’est de placer les œuvres et c’est à ce moment là qu’on les voit ! Ensuite il faut placer les cartels (simples, développés avec plus de texte) qu’il faut réceptionner auprès des commissaires, traduire et mettre en forme avec un graphiste. L’étape finale, ensuite, c’est la préparation du catalogue.

L.V. : En amont je m’occupe du transport des œuvres, parce que toutes les œuvres sont des prêts qui viennent d’un peu partout (un collectionneur privé à Los Angeles, ou un musée à Saint-Petersbourg par exemple) et il faut gérer les contraintes liées au transport : l’assurance, le conditionnement, le moyen de transport le plus sûr et le plus économique pour nous. Une fois les œuvres arrivées, il faut vérifier leur état, opération qu’on répète au moment de la restitution. On assume aussi l’entretien des œuvres : il y a le souci de la restauration, dont on s'occupe dans le budget de l’assurance. Le moment de l’installation est également crucial, il faut s’assurer que l’œuvre rentre dans la place qui lui est destinée et bien calculer les contraintes d’installation qui varient pour chaque œuvre.


Quels sont les délais pour l’organisation d’une exposition ?

M.M. : Tout dépend de l’exposition. Si on organise une exposition monographique sur un artiste qui travaille sur de la vidéo ou de la photo c’est relativement simple : l’œuvre dématérialisée se trouve dans son disque dur et le montage demande, dans le meilleur des cas, peu de temps. Mais il nous arrive beaucoup d’imprévus : des retards de livraison, des œuvres endommagées, des problèmes avec les prestataires… Dans les délais de montage on calcule les temps de préparation de la scénographie, créée ad hoc pour l’exposition. Les possibilités sont infinies, un avantage de notre structure c’est que les étages sont des grands espaces vides sans piliers et donc modulables. Il faut considérer également les délais de démontage de la précédente (remballage des œuvres, démontage des murs et des salles, activité pour laquelle on fait appel à des “professionnels”).

L.V. : Les expositions de plus grande envergure, celles qui se déploient sur trois étages par exemple, demandent un temps de préparation plus long, jusqu’à un an.

M.M. : Les temps varient énormément même en fonction du travail de l’artiste : travaillant avec des artistes actifs : leur production change, il y a des œuvres qui s’ajoutent progressivement et d’autres qui sont créées exclusivement pour l’exposition. Les temps de réaction étant plus courts, il est impossible de prévoir le montage de l’exposition avec des années d’avance, ce qui diffère des musées patrimoniaux où la programmation est établie avec trois-quatre ans d’avance. Ici il faut faire plus vite ! En parallèle avec le travail de Loriane (Vatin), au bureau des chargés d’exposition, on s’occupe de l’accueil des artistes et des personnes qui peuvent être impliquées dans le montage des expositions, surtout s’il y a des production sur place. Il faut les accompagner, les guider, et s’assurer que leur séjour et leur travail se passent dans les meilleures conditions.


La préparation est au cœur de votre travail. Pouvez-vous nous parler brièvement de vos activités au quotidien ?

J.T. : On prépare la liste d’œuvres, le plan, le budget, tout le début !

L.V. : Ma collègue régisseuse suit le projet de l’exposition sur la collection permanente, et en ce moment et elle vérifie l’état des pièces dans la réserve : il y a des pièces à restaurer, d’autres qui sont sur des supports informatiques obsolètes à réactualiser… il y a un grand travail de réadaptation sur des supports plus adéquats, ce qui pose des questions intéressantes à propos de la pérennité des œuvres, surtout numériques.

M.M. : De mon côté, pendant les mois passés, j’ai travaillé beaucoup sur la production de l’œuvre que Adel Abdessemed est en train de réaliser pour un projet à venir. J’ai suivi le travail des techniciens spécialisés, l’arrivage du matériel… La production a ce côté assez excitant : c’est peut-être la partie la plus “rigolote” de notre métier, parfois les artistes nous demandent de trouver des matériaux et des choses impossibles, vraiment drôles, ou qui n’existent pas ! Et ça nous donne l’opportunité de rencontrer des professionnels insolites pour le monde de l’art, par exemple un fabriquant de néon qui s’occupe d’affichages publicitaires, des carrossiers qui se retrouvent à devoir travailler dans un domaine totalement différent. On ne s’ennuie jamais, on commence toujours à zéro. Il y a aussi une partie administrative moins fascinante, mais qui a occupé une bonne partie du mois de décembre pour ce qui concerne la clôture budgétaire, les factures.

J.T. : Il faut également travailler les textes à paraître dans le catalogue, parce que l’activité éditoriale est de longue haleine, et à concorder avec le co-éditeur et les artistes.


Quels sont vos prochains projets ?

J.T. : En mars 2018, après la Biennale, on a prévu l’exposition sur les collections du MAC, que je suis, et qui présentera une vingtaine d’artistes de la collection plutôt dans le domaine des multi-médias, mais c’est assez varié.

M.M. : Je travaille sur une grande exposition qui aura lieu sur plusieurs étages d’Adel Abdessemed, qui présentera des œuvres spécialement conçues pour l’exposition. Ensuite il y a une exposition-résidence de Olivier Zabat et Lola Gonzàlez, deux artistes qui travaillent plutôt dans le domaine de l’image (photo et vidéo), qui a pour but de montrer non pas le fruit de la résidence des artistes mais plutôt les avancements de leur travail. Ces projets sont prévus pour le printemps 2018, et j’ai hâte de découvrir les résultats.


Maintenant une question un peu plus personnelle : qu’est-ce qu’il y a d’excitant dans votre travail, qu’est ce qui vous inspire ?

M.M. : La production ! Et puis après, une fois que l’exposition est prête, j’essaye de me balader dans les salles le premier mercredi de l’exposition, quand les premiers groupes d’enfants viennent visiter l’exposition et voir leurs réactions, écouter leurs commentaires qui sont plus spontanés que ceux des adultes. C’est un peu mon pêché mignon.

L.V. : Moi j’aime bien quand les œuvres arrivent et qu’on les découvre après longtemps avoir travaillé dessus ! Disons que c’est un peu le déballage de Noël, un peu mieux organisé. Le remballage par contre est un peu moins amusant, et un peu étrange.

J.T. : Ce qui m’intéresse, au-delà de la production qui représente une étape très intéressante, c’est l’aménagement des salles d’exposition. C’est le moment où notre travail prend vraiment forme, parfois on se rend compte que l’accrochage qui avait été prévu sur le plan ne fonctionne pas en réalité parce que les œuvres ne dialoguent pas les unes avec les autres. C’est la partie créative qui m’intéresse le plus, et l’interaction avec les scénographes.


D’après votre expérience, que conseillez-vous aux étudiants qui vont bientôt s’insérer dans la vie professionnelle ?

L.V. : De sortir du milieu académique, aller à la rencontre des professionnels ou des artistes pour constituer son propre réseau. Il ne faut pas avoir peur de s’impliquer dans des projets personnels ou à plusieurs. Et surtout savoir valoriser son propre CV avec tout ce qui vous aide à sortir du lot. Il faut avoir de l’initiative, et il ne faut pas hésiter.

M.M. : En dehors des stages dans le cadre de votre cursus, il faut aussi se dire qu’il y a plein de manières de se faire la main et toute initiative est quand même payante. Il est important de bien choisir sa voie en sondant le terrain avant, et en se renseignant sur les métiers qui existent dans les musées parce qu’ils sont nombreux, et choisir celui qui valorise votre parcours d’études.


Propos recueillis par Ilaria Fagone, le 14 décembre 2017. Musée d’Art Contemporain de Lyon

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